• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II – LE PARADIGME DE LA MULTIFONCTIONNALITÉ DE L’AGRICULTURE :

2.4 SES APPROCHES

La littérature présente deux approches de soutien à la MFA. Elles ont été élaborées dans les arènes internationales pour inciter les États à la développer (Handfield, 2010; Mundler, 2010;

Mundler et Ruiz, 2015). Les États sont les répondants du bien commun. Ils sont appelés à remédier aux lacunes du marché pour ce qui concerne le développement de leur secteur agricole, et sa contribution à la qualité du cadre de vie et de récréation de leurs collectivités territoriales (MAPAQ, 2013b).

2.4.1 Son approche positive

Cette approche reconnaît la MFA comme une caractéristique inhérente aux activités et aux exploitations agricoles. Elle ambitionne à rétribuer les initiatives de valorisation des externalités positives. Elle vise, donc, les fonctions non marchandes, ou les biens publics, pour lesquelles les coûts et les investissements encourus par les exploitants ne sont pas internalisés par le marché. Les exploitants doivent se soumettre aux critères gouvernementaux pour être compensés (Handfield, 2010; Mundler, 2010; Mundler et Ruiz, 2015; UPA, s. d.a). Telle était, par ailleurs, la recommandation du rapport Saint-Pierre et la visée du PPAMFA (MAPAQ, 2010b; Saint-Pierre, 2009)18. Celui-ci a instauré un système de contractualisation et de rémunération pour les biens et les services non marchands produits (MAPAQ, 2010b; UPA, s. d.a). Mais cette approche reste cantonnée dans la logique économique; elle procure un soutien pécuniaire pour les fonctions non marchandes. Elle calcule les avantages procurés par les pratiques qui les valorisent. Ce calcul est, néanmoins, ardu. Plusieurs questions demeurent sans réponse. Pour quels avantages procurés les pratiques devraient-elles être rétribuées?

De quelle façon les acteurs qui en bénéficient devraient-ils être cernés? Quels coûts devraient être internalisés? Dans quelle mesure le calcul des avantages et des coûts devrait-il être actualisé pour renouveler leur internalisation et leur rétribution? À quelles échelles devraient-ils être considérés? (Mundler et Ruiz, 2015, p. 6). Le soutien pécuniaire est, à lui seul, inapte à développer la MFA, en ce sens où la logique économique aborde mal ce qui a été exclu de son cadre. Ses instruments, eux, ne tiennent pas compte des relations qui existent entre les fonctions; ils les dissocient pour calculer leur contribution respective à la société et rétribuer les pratiques qui les mettent en valeur. Ils désintègrent la multifonctionnalité par là même (Mundler, 2010). Une autre faiblesse de cette approche réside dans la raison des interventions publiques qui doivent avoir cours pour pallier les lacunes du marché; ce dernier ne se résume pas à une combinaison élémentaire de lacunes et de vertus (Mundler, 2010, p. 33). Elle passe, enfin, sous silence les fonctions marchandes soutenues par le prix des biens et des services produits telles que la diversification économique et la pluriactivité; la MFA ne peut être comprise comme une opposition simpliste entre les fonctions marchandes et non marchandes qui doivent être valorisées ensemble et en même temps (Mundler, 2010; Mundler et Ruiz, 2015; Pluvinage, 2010; Schoenborn, 2014).

18 Le rapport Saint-Pierre sera traité dans un appendice lié au point 3.2.1.

2.4.2 Son approche normative

Cette approche ne se rapporte pas à la MFA inhérente aux activités et aux exploitations agricoles, mais bien à celle qui est commandée par la société. Elle cherche à établir des normes environnementales et socioéconomiques pour inciter les exploitants à développer des pratiques qui valorisent les fonctions estimées par leurs concitoyens mais, en définitive, retenues par les pouvoirs publics dans une conception substantialiste du bien commun (Mundler, 2010; Mundler et Ruiz, 2015; UPA, s. d.a). Elle mobilise la MFA dans une perspective de régulation de leurs pratiques (Ferdous, 2013). Elle consiste, ainsi, en une approche politico-administrative dite top-down. Elle instaure une coercition qui oblige les exploitants à respecter les normes établies pour assurer leur éligibilité aux programmes gouvernementaux de soutien aux activités et aux exploitations agricoles. La normativité entraîne une variation dans leur statut; ils en tirent parti, non plus par droit, mais par privilège.

Elle dessert, en conséquence, ceux dont les pratiques ne respectent pas les normes préétablies dans une optique de récompense et de punition (Handfield, 2010). Les politiques gouvernementales écoconditionnelles de soutien aux activités et aux exploitations agricoles en constituent un exemple (Handfield, 2010; Royer et Mercier-Gouin, 2010; UPA, s. d.a). Cette approche implique la détermination de visées précises pour constituer les normes gouvernementales. Elle occulte, dès lors, la complexité de la MFA qui ne peut être comprise comme la simple somme de ces visées; elle réduit sa portée comme caractéristique des activités et des exploitations agricoles (Mundler, 2010; Mundler et Ruiz, 2015). Sa dynamique top-down la réduit, elle aussi, car elle la dissocie des particularités territoriales.

2.4.3 Son approche intégrée

Mundler propose une autre approche de soutien à la MFA pour remédier aux lacunes des deux précédentes (Mundler, 2010). Elle redonne toute son importance aux fonctions des activités et des exploitations agricoles, et à leurs relations. Elle propose, alors, de retracer leur ascendance étymologique (Lafontaine et Jean, 2010; Mundler, 2010). Le terme multifonctionnalité renvoie à ce qui est multifonctionnel ou à ce qui remplit de multiples fonctions. Il prend racine dans le terme fonction – du latin functio – qui signifie un accomplissement. Il se rapporte, en conséquence, aux accomplissements propres aux éléments qui composent un ensemble ou un système (« Fonction », 2014). La MFA rassemble, donc, des références conceptuelles et théoriques liés au fonctionnalisme. Ces références sont

issues de la physiologie qui étudie les fonctions des organes et des tissus des êtres vivants (Lafontaine et Jean, 2010; Mundler, 2010). La fonction organique indique un service rendu par un organe ou un tissu en lien avec le développement et la survie du corps animal ou végétal qui le comprend. Elle est multiple; les services rendus par un organe ou un tissu sont de plusieurs ordres. La fonction organique est mobilisée, dans les sciences sociales, pour illustrer certains phénomènes.

Cette approche intégrée reconnaît la MFA comme une caractéristique des activités et des exploitations agricoles, et un dessein politique qui aspire à les renouveler pour développer leurs fonctions occultées ou marginalisées par le productivisme (Lafontaine et Jean, 2010;

Mundler, 2010, Mundler et Ruiz, 2015; Parent, 2010). Elle prend racine dans le développement durable et elle réintroduit la dynamique territoriale qui lui est corollaire; elle admet le rôle de toutes les fonctions des activités et des exploitations, et de leur agencement durable, dans le développement des territoires où elles sont pratiquées et tenues, et elle lance un appel à la territorialisation de l’action publique (Lafontaine et Jean, 2010; Mundler, 2010; Mundler et Ruiz, 2015; Parent, 2010). Cette approche mise sur le concours des acteurs territoriaux au renouvellement des approches de production agricole, mais aussi de développement rural (Mundler, 2010) :

L'enjeu est ici de repenser le rôle de l'agriculture et ses relations avec les autres composantes de la société, et d'examiner l'aspect multidimensionnel des activités humaines dans ce qu'elles apportent au développement social et économique dans sa globalité. Ce ne sont pas seulement les produits qui sont concernés par la multifonctionnalité, mais les diverses pratiques des agriculteurs et de leur famille dans les espaces qu'ils occupent. Ces fonctions ne peuvent être raisonnées indépendamment de la signification qu'y mettent les agriculteurs et les autres usagers des espaces ruraux (Mundler, 2010, pp. 33-34).