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Chapitre 2 : Une étude sur le vieillissement, l'enquête Vivre-Leben-Vivere

2. Une étude et un cadre conceptuel interdisciplinaires

2.1. Les approches conceptuelles de l’étude

2.1.1. Le concept de ressources

L’approche conceptuelle principale de l’étude VLV se situe autour de la notion de ressources, qui est utilisée par de nombreuses disciplines (gériatrie, psycho-gériatrie, psychologie, sociologie, socio économie ou encore démographie). Ce concept partagé permet d’assurer une base interdisciplinaire commune à l’étude (Ludwig, Cavalli, & Oris, 2014).

Le concept de ressource s’appuie sur la perspective du parcours de vie et sur la psychologie développementale du lifespan. Il suppose que la quantité de ressources disponibles à chaque individu est ancrée dans une interaction dynamique et permanente entre la personne et les facteurs socio-structurels inscrite dans le temps à travers des processus d’accumulation de (dés)avantages. C’est pourquoi l’étude VLV se focalise sur les trajectoires de vie antérieures (figure 9) afin de pouvoir étudier les chemins et les événements qui construisent le parcours de vie d’un

individu en dissociant les effets à long terme (par exemple la construction du réseau familial), à court terme et sur les événements (par exemple la retraite ou les problèmes de santé) en tant que déterminants des différences individuelles dans les conditions de vie et de santé des personnes âgées. Chaque période et évènement de vie sont ainsi des moyens de reconstitution du processus d’accumulation d’avantages et/ ou de désavantages décrit par Dannefer (2003). Conceptuellement, de telles dynamiques développementales peuvent être reliées au processus de constitution de « réserve » (Richards & Deary, 2005) ou de « capital » (Bourdieu, 1980). Ce processus peut être envisagé comme une gestion constante d’adaptation développementale incluant de négocier avec les évènements et les conditions de vie critique. Il est important de noter qu’au-delà et plus loin que la notion de ressources, il y a l’idée que toutes les ressources interagissent entre elles et constituent un système dynamique, lequel défini les situations individuelles ou les états à un moment donné de la vie (Lalive d’Epinay et al., 1983).

Fondamentalement, dans une perspective gérontologique, le système de ressources défini l’état individuel d’autonomie, de fragilité ou de dépendance (Spini et al., 2007).

Figure 9. Modèle théorique de recherche interdisciplinaire (Ludwig, Cavalli & Oris, 2014)

Dans cette perspective, le concept de système de ressources permet une synthèse de la notion de ressources. Ce système se réfère à l’ensemble de l’individu (physique et psychique) et aux moyens socio-culturels (socioéconomiques, familiaux et relationnels) dont il dispose et qui définissent sa situation individuelle à un moment donné de sa vie (Lalive d’Epinay et al., 1983). A ce niveau, chacune des

disciplines engagées dans l’étude VLV apporte ses meilleures compétences analytiques pour détailler la distribution de la variété de types de « capitaux » que les personnes âgées peuvent détenir. Avant même et au-delà des ressources elles-mêmes, les politiques sociales et les valeurs (figure 9) sont extrêmement liées à la distribution interindividuelle des ressources dans les sociétés occidentales (Kohli, 1997). En effet, les arrangements des politiques sociales structurent les ressources individuelles à travers les mécanismes d’allocations de ressources légales, matérielles et socio-culturelles, mais aussi à travers les principes culturels et les moyens convenus par les règles institutionnelles.

Dans l’étude VLV, les politiques publiques et les acteurs sont étudiés du point de vue des personnes âgées selon la manière dont ils affectent l’accès aux ressources, impacte les relations de genre et les inégalités en général. Par exemple, les différentes situations de santé physique dépendent de variables empruntées à des dimensions sociales comme le statut socio-économique. La plupart des questions ne peuvent être significatives sans l’intervention d’autres variables issues d’autres thématiques. Un quatrième aspect du concept de ressources considère les pratiques ou en d’autres termes, les actions individuelles (figure 9). Depuis que l’autonomie a été définie comme une pratique, cela se réfère à la façon dont les individus utilisent leurs ressources pour se développer, pour faire face et s’adapter aux changements de conditions au cours du vieillissement et préserver leur autonomie du plus jeune au plus grand âge. Ainsi, ensemble, les trajectoires de vie, les ressources individuelles, les politiques sociales et les valeurs, ainsi que les pratiques, déterminent les différences individuelles dans le bien être (figure 9). Ici, le

« bien-être » inclut plus que « l’efficacité et le développement personnel » (Baltes, 1997). Il est compris sous le sens qu’Amartya Sen en donne et qui a plaidé pour la mesurer sur le niveau de développement d'une société à travers la véritable liberté que les individus ont « to lead the kind of lives they value –and have reason to value

» (Sen, 1999, p.18). Notre travail explore les cases « ressources » et « bien-être » de ce modèle en se centrant spécifiquement sur le grand âge.

2.1.2. Le concept de vulnérabilité

Dans le cadre du PRN LIVES Overcoming Vulnerability : Life Course Perspective dont l’étude VLV fait partie, l'étude de la vulnérabilité est une notion phare du pôle de recherche. Bien que le concept clef de l’étude se focalise sur la notion de ressources, celui de vulnérabilité s'intègre néanmoins, et prend tout son sens dans l’étude de la population âgée. Il est assez récent, se développant et se diffusant à partir des années 1980 dans différents champs de recherches. Au sein du pôle de recherche LIVES, les scientifiques proposent une définition possible de vulnérabilité à laquelle ils se réfèrent dans leurs études. Ainsi la vulnérabilité est considérée comme « un manque de ressources qui, dans des contextes particuliers place les

individus ou des groupes d'individus dans un risque majeur d'expérimenter (1) des conséquences négatives et liées à des sources de stress (2) une incapacité à faire face efficacement à ces facteurs de stress et (3) une incapacité de récupération suite à ces facteurs de stress ou de tirer parti des opportunités dans un délai donné »13 (Spini et al., 2013, p.19). La vulnérabilité est ainsi vue comme un processus latent affaiblissant les individus ou groupes d'individus, qui peut être invisible en l'absence de facteurs de stress ou d’événements critiques. Cependant, les personnes vulnérables de manière latente risquent d'avoir des difficultés à faire face à des facteurs de stress ou lors d’événements critiques et révéler ainsi un état de vulnérabilité manifeste (Spini et al., 2013).

La vulnérabilité est généralement considérée en sciences humaines et sociales comme un concept plus présent dans les sociétés post-industrielles caractérisées par une croissance incertaine. Cette notion prend son sens à la suite des changements importants qui se sont opérés après la période des Trente Glorieuses, apogée pour Kohli (2007) du parcours et des trajectoires de vie fortement institutionnalisées. La désinstitutionnalisation du parcours de vie ainsi que les changements socio-historiques ont mené les chercheurs à porter un intérêt à l'étude de la vulnérabilité à travers deux approches qui sont la perspective de la stratification sociale et la biographisation (Oris, Roberts, Joye & Ernst-Stähli, 2016).

Ces approches sont intéressantes à prendre en compte dans le cadre de l'étude sur le grand âge dans le sens où la population très âgée est la possible représentante de ces changements et a accumulé tout au long de son parcours de vie des événements et des périodes marquant son insertion dans un (ou plusieurs) type(s) de trajectoire(s) de vie. En outre, la notion de vulnérabilité se rapproche de la notion de fragilité plus fréquente en gérontologie qui se traduit également par un processus (latent) de fragilisation et un état de fragilité (Lalive d'Epinay, Spini et al., 2008).

2.1.3. La notion de fragilité

Le concept de fragilité est une notion phare de ce travail car au même titre que les concepts de ressources et de vulnérabilité, il s'agit d'un aspect important, presque essentiel, du grand âge et qui constitue un point majeur de l’étude VLV. Tout d’abord par le fait que la fragilité a été développée par des recherches antérieures menées au CIGEV, notamment lors de l’étude Swilsoo (Lalive d’Epinay, Spini et al., 2008).

Mais aussi du fait que cette notion se situe entre autonomie et dépendance et vise à mettre en lumière les trajectoires et les différentes facettes du vieillissement.

Comme la vulnérabilité, le concept de fragilité appliqué aux personnes âgées appelle une définition multiple et différente suivant les disciplines qui le discute et revêt plusieurs facettes. Aussi, le concept de fragilité peut être rapproché de celui de

13Traduit de l’anglais par l’auteure

vulnérabilité comme l'utilisent Nicolet et Oris pour capter l'efficacité du dispositif de l'enquête VLV (Nicolet & Oris, 2013).

Le concept de fragilité amène un apport supplémentaire à la réflexion sur la compréhension du vieillissement. Au cours du temps, il se complète et s'affine, sans pour autant que se dégage une définition consensuelle utilisable telle quelle dans toutes les disciplines. Cependant, nous invitons le lecteur à continuer cette réflexion au chapitre cinq de ce travail où le concept de fragilité est abordé beaucoup plus en détail.