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4 3 Approche propositionnelle du CE

 

Une approche théorique actuellement en plein essor pourrait apporter une meilleure compréhension de ce phénomène, il s’agit de l’approche propositionnelle de l’apprentissage associatif (De Houwer, 2009b ; Mitchell, De Houwer, & Lovibond, 2009) mentionnée en introduction. Le modèle propositionnel est présenté comme une alternative aux théories classiques de formation de liens associatifs. Cette théorie stipule que nous n’apprenons pas de simples associations entre les éléments de l’environnement, mais que nous formons des connaissances qui nous renseignent de manière spécifique sur le type de relations existant entre des stimuli, ces connaissances sont appelées des propositions. Cette approche permet de franchir certaines limites des modèles précédemment décrits.

4. 3. 1. Le type de relation

Les propositions sont définies comme des croyances (belief), qui renseignent sur la manière dont les éléments de l’environnement sont liés entre eux. Prenons par exemple les

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propositions « A est équivalent à B » et « A est l’opposé de B ». Chacune de ces propositions implique A et B, mais elles diffèrent dans la manière dont A et B sont reliés. C’est en cela que la proposition diffère d’un « simple » lien associatif. La proposition spécifie la force mais aussi la structure de la relation entre les événements. Le type de relation existant entre les éléments de l’environnement influencerait de manière déterminante les comportements. Pour illustrer cela, prenons l’exemple d’une personne atteinte d’une maladie X inconnue, se rendant chez son médecin. Des analyses médicales révèlent la présence d’une substance Y inconnue. Connaitre la relation existant entre X et Y serait alors vital. En l’occurrence, si la substance est à l’origine de la maladie (Y cause X), la guérison passerait par une tentative de retrait de cette substance. Cependant, cette intervention serait inutile si la substance est la conséquence de la maladie (X cause Y) (De Houwer, in press) ou si ces deux éléments sont simplement corrélés. Au delà de simplement établir un lien (une connexion) entre deux événements, connaître de manière spécifique la relation existant entre ces éléments s’avère particulièrement important pour nous permettre de nous conduire de manière adaptée.

La création de propositions est considérée comme un processus non-automatique car il nécessite certaines ressources cognitives et la conscience de l’information apprise (Mitchell, De Houwer, & Lovibond, 2009). Selon les auteurs, il n’est pas possible d’apprendre une relation entre deux événements dans l’environnement sans être, ou avoir été, conscient de cette relation au moins au moment de l’apprentissage. Cependant, cela n’exclut pas que des processus automatiques puissent contribuer à l’apprentissage. De plus, le modèle propositionnel n’est pas incompatible avec l’idée que l’émergence de la réponse conditionnée puisse se faire sur un mode automatique. Ce qui est soutenu, c’est que l’apprentissage est un processus non automatique, cependant, une fois qu’une information est apprise, la présentation du SC peut déclencher automatiquement la réponse conditionnée.

La manière dont une proposition va influencer le comportement dépend de son évaluation, c’est-à-dire du fait qu’elle soit considérée comme vraie. Une proposition sera considérée comme vraie si elle est en accord avec d’autres propositions considérées comme vraies. Celles-ci peuvent provenir de différentes sources comme les expériences passées, les connaissances, les instructions et le raisonnement déductif.

Appliquée au conditionnement évaluatif, l’approche propositionnelle stipule qu’un SC changera de valence lorsque le participant aura formé une proposition à propos du lien

SC-SI, c'est-à-dire lorsqu’il aura la connaissance consciente du type de relation qui existe entre ces stimuli. La formation d’une proposition serait une étape nécessaire à l’établissement d’un effet de conditionnement évaluatif. Cependant, les différents auteurs n’expliquent pas toujours comment les propositions mènent au changement de valence ni exactement comment une proposition est formée. Une explication possible serait de considérer que cette connaissance servirait en quelque sorte de « justification », au fait d’apprécier ou non un stimulus initialement neutre. Le fait de savoir qu’un stimulus est associé à des chocs électriques permettrait de « justifier » que l’on n’apprécie pas ce stimulus (De Houwer et al., 2005). Cependant, cela n’implique pas que l’effet de la proposition soit intentionnel. Une fois créée, cette connaissance pourra activer de manière automatique la réponse émotionnelle conditionnée lors de la présentation du SC.

Ces dernières années, de nombreux résultats expérimentaux sont venus appuyer la perspective selon laquelle l’effet de CE ne s’observe qu’en présence des SC pour lesquels le participant a conscience des associations, c’est-à-dire lorsqu’il a la connaissance explicite du fait qu’un stimulus a été associé à un SI particulier, ou à un SI d’une valence spécifique (voir chapitre 1). Ces travaux semblent étayer la thèse d’un processus non- automatique et coûteux en ressources cognitives (Bar-Anan, De Houwer, & Nosek, 2010 ; Hofmann et al., 2010). Une série d’études de Förderer et Unkelbach (2011a) a mis en évidence que la manière dont les stimuli étaient associés, affectait l’effet de conditionnement évaluatif. Dans ces études, des photographies d’individus évalués comme neutres étaient associées à des images (dé)plaisantes (photographies de paysages, d’animaux). Lors de l’apprentissage, au-delà d’une simple association, les participants apprenaient comment les stimuli étaient liés. Ainsi, les participants apprenaient qu’un individu (SC) aimait (ou détestait) un stimulus plaisant (noté SI+) ou déplaisant (noté SI-). Les résultats montrent que l’établissement d’une relation « positive » entre SC et SI (par exemple SC aime SI+) mène à un effet de CE classique (changement de valence du SC dans le sens de la valence du SI), alors que cet effet est inversé lorsque la relation apprise entre SC et SI est « négative » (par exemple SC déteste SI+). La théorie propositionnelle est actuellement la seule à même d’expliquer les effets influencés (voire inversés) par le type de relation établi entre SC et SI.

Concrètement, un même individu paraîtra plus déplaisant si on apprend qu’il aime les pitbulls, que si on apprend qu’il les déteste. Il s’agit pourtant des mêmes stimuli (mêmes SC et SI), il semble donc que, comme le soutient l’approche propositionnelle, ce soit la

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manière dont ils sont liés qui influence le changement émotionnel. Ainsi, il ne suffit pas d’apprendre qu’un stimulus neutre est associé à un stimulus affectif pour qu’un changement évaluatif s’opère. Ce que nous apprenons c’est comment ces deux stimuli sont liés. Ce qui nous renseignerait sur la manière dont des éléments sont liés est appelé une proposition.

4. 3. 2. La validité de la relation

 

Dans un autre registre, l’approche propositionnelle de l’apprentissage associatif stipule que pour être appliquée, une proposition doit aussi être considérée comme vraie. En accord avec cela, dans une série d’expériences réalisées par Peters et Gawronski (2011), des photographies d’individus étaient présentées avec des descriptions de leur comportement (les comportements décrits étaient soit vraiment plaisants, soit vraiment répréhensibles). Après chaque présentation, le participant était immédiatement informé de la validité de l’association apprise. Certaines associations étaient suivies du message « VRAI » ; d’autres étaient suivies du message « FAUX ». Les résultats montrent que la validité perçue d’une association affecte les évaluations. Ainsi, lorsque l’information apprise était considérée comme vraie, les résultats correspondaient à ce qui est typiquement observé en conditionnement évaluatif, à savoir un changement de valence du SC dans le sens de la valence du SI. Cependant, lorsque l’information apprise était considérée comme fausse, les évaluations des SC reflétaient la valence inverse du SI.

L’ensemble de ces résultats est difficilement explicable par les modèles holistiques, référentiels ou d’attribution implicite erronée considérant que l’apprentissage repose sur la formation, et la mise à jour automatique d’associations entre représentations mentales du SC et du SI en mémoire. Ces modèles ne permettent pas d’entrevoir la nécessité de ressources cognitives, la possibilité d’intégrer différents types de relations entre les stimuli, ni la nécessité d’évaluer la validité des associations.

4. 3. 3. Interprétation propositionnelle de la résistance à l’extinction du CE

 

Aborder l’apprentissage dans une perspective propositionnelle est susceptible d’apporter de nouvelles contributions dans la compréhension des mécanismes régissant le conditionnement évaluatif, en particulier certains résultats problématiques comme la résistance à l’extinction. En se plaçant dans la perspective de l’approche propositionnelle, la résistance à l’extinction du conditionnement évaluatif pourrait être expliquée par le fait que la proposition responsable du changement de valence du stimulus ne serait pas affectée par les procédures d’extinction classiques. Le conditionnement évaluatif serait plus difficile à éteindre à cause de la nature de la proposition créée lors du conditionnement. Pour illustrer cela, prenons un exemple concret.

Selon l’approche propositionnelle, les relations dans l’environnement vont être intégrées sous forme de propositions. Par exemple, dans l’expérience de Hermans et al (2002), lors de l’exposition à une phase de conditionnement associant une photo et un choc électrique, plusieurs informations peuvent potentiellement être apprises. Par exemple, une proposition qualifiée pourrait renseigner sur le fait que « l’image est suivie par un choc électrique ». Cependant, d’autres informations plus générales pourraient aussi être apprises, comme le fait que « l’image a tendance à aller de pair avec un choc électrique ». Pour être appliquée, l’approche propositionnelle nous dit qu’une proposition doit être considérée comme vraie. A ce titre, la proposition qualifiée est plus vulnérable, que la proposition générale, car plus facilement falsifiable (De Houwer, 2010). Lors de la phase d’extinction, après plusieurs expériences du SC sans le SI, la croyance « l’image est suivie par un choc électrique » sera plus rapidement rendue non applicable que la croyance « l’image a tendance à aller de pair avec un choc électrique ». Ceci expliquerait pourquoi le conditionnement évaluatif serait plus difficile à éteindre qu’un conditionnement classique. En conditionnement classique, les relations apprises sont le plus souvent prédictives et les propositions créées seraient donc plus facile à falsifier (car elles offrent des prédictions précises), alors que les propositions responsables de l’effet de conditionnement évaluatif, seraient plus générales, moins spécifiques et donc plus difficiles à faire disparaître. Si l’effet de conditionnement évaluatif dépend, en effet, de la création et de l’évaluation d’une proposition, un moyen de faciliter (ou de simuler) l’extinction, serait donc de trouver une procédure permettant de rendre la proposition responsable du changement de valence non applicable, ou de la changer.

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Dans la littérature, on trouve des études suggérant que l’expérience directe, et l’information par le langage, peuvent être vues comme deux moyens de modifier les comportements (Eelen, Hermans, & Baeyens, 2001). Dans le domaine de la psychologie clinique, on observe d’une part que les patients créent des relations (parfois de manière erronée) entre certains stimuli de l’environnement et des événements négatifs (par exemple : « Si je touche cette main je vais être malade »). D’autre part, les recherches montrent que les interventions cognitives, de type restructuration cognition cognitive, sont efficaces pour modifier les croyances et les comportements. Une nouvelle manière d’aborder la résistance à l’extinction du conditionnement évaluatif, serait donc le recours à des interventions plus cognitives ciblant directement les croyances responsables du changement (et du maintien) de la valence.

Dans le domaine de l’apprentissage associatif, les comportements peuvent être modifiés par l’expérience mais aussi par les instructions. Un participant peut par exemple, apprendre lors d’une phase de conditionnement, qu’un stimulus est suivi d’un choc électrique. Cet apprentissage étant attesté par une modification de la RED lors de l’exposition au stimulus (Hermans et al., 2002). Cependant, cet apprentissage peut aussi bien être réalisé sans expérience directe de l’association. Le simple fait d’informer une personne qu’un stimulus sera suivi d’un choc électrique provoque aussi une modification de la RED, en l’absence de toute expérience directe (Cook, & Harris, 1937). L’importance des apprentissages verbaux dans les troubles émotionnels est d’ailleurs maintenant reconnu puisque, dans le DSM-V (APA, 2013), le diagnostic de TSPT peut maintenant être considéré lorsqu’un individu apprend qu’un proche a été exposé à un traumatisme. L’effet des apprentissages verbaux a aussi été observé en conditionnement évaluatif par De Houwer (2006a) et Gast et De Houwer (2013). Dans cette étude, il a été montré que le fait d’informer des participants qu’un non-mot serait associé à un stimulus affectif, dans une phase ultérieure de l’expérience, était suffisant pour obtenir un effet de conditionnement évaluatif, en l’absence de toute association effective, ceci étant attesté par l’utilisation de mesure implicite de valence (IAT).

De la même manière, dans le domaine de l’apprentissage associatif, il existe des preuves, que les instructions sont aussi efficaces pour les procédures d’extinction. Suite à une phase de conditionnement lors de laquelle un stimulus était suivi d’un choc électrique, le fait d’informer le participant que le stimulus ne sera plus jamais suivi par un choc, suffit à diminuer significativement la réponse conditionnée de peur (Cook, & Haris, 1937) sans

aucune exposition réelle à cet événement. La question est maintenant de savoir si de telles instructions peuvent être efficaces pour observer une extinction de l’effet de conditionnement évaluatif.

Lipp, Mallan, Libera et Tan (2009, expérience 2) ont tenté d’introduire des instructions verbales dans une procédure d’extinction de CE. Dans leur étude, lors de la phase de conditionnement, un SC+ (une figure géométrique) était toujours suivi d’un SI plaisant (un visage souriant), alors qu’un autre SC- était toujours suivi d’un SI déplaisant (un visage en colère). A la fin de la phase de conditionnement les auteurs on pu constater que le SC+ permettait aux participants de prédire l’arrivée du SI plaisant, et le SC- l’arrivée du SI déplaisant. De plus, les évaluations montrent que le SC+ était devenu significativement plus plaisant que le SC-. Avant la phase d’extinction, la moitié des participants était informée que les SC ne seraient plus suivis des SI. Tous les participants étaient ensuite exposés à une phase d’extinction lors de laquelle les SC étaient présentés sans les SI. Les résultats montrent que les participants ayant reçu les instructions, manifestaient une diminution de l’attente du SI avant même le premier essai d’extinction ; cependant les instructions n’avaient aucun effet sur les évaluations. Dans chacune des conditions, la différence entre évaluation du SC+ et SC-, tendait à se réduire mais restait significative ; aucune différence n’a été observée entre les groupes (informé vs non informé).

Comme nous l’avons vu avec l’expérience de Hermans et al. (2002), il est probable que plusieurs informations à propos de la relation SC-SI soient apprises lors d’une phase de conditionnement, par exemple une information prédictive et une information plus générale. Les instructions utilisées dans l’étude de Lipp et al. (2009) ciblent dans ce cas la relation prédictive et manifestent leur effet sur la valeur prédictive du SC. Cependant, le fait d’être informé que « le SC ne suivra plus le SI » ne permet pas de remettre en cause la connaissance générale (qui pourrait être du type « le SC a tendance à aller de pair avec le SI ») qui semble pouvoir être responsable de l’effet de conditionnement évaluatif. Gast et De Houwer (2013) ont aussi informé les participants à propos de l’extinction, et ont observé des résultats différents. Alors que dans leur expérience 1, utilisant une mesure explicite, l’effet de CE était significativement réduit par les instructions d’extinction, l’effet de CE restait intact dans l’expérience 2 utilisant des mesures implicites. L’effet d’instructions portant sur l’extinction (l’absence de présentation du SI) est donc mitigé. Si, en dépit des instructions, la relation apprise entre SC et SI influence toujours les

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évaluations, une manière d’intervenir pourrait alors être de modifier directement le type de relation apprise entre les stimuli.