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L’approche néo-classique du changement technique : le modèle d’innovation linéaire 15

III. Exploration des référentiels théoriques pour expliquer les déterminants de

1. L’approche néo-classique du changement technique : le modèle d’innovation linéaire 15

Dans la tradition de l’économie néoclassique, l’innovation est considérée comme une réponse à la rareté relative des facteurs (et par conséquent, à leur prix) (Ruttan and Hayami, 1984 ; Rogers, 2003). Il existe donc une relation directe de cause à effet entre la recherche agricole, le développement des techniques et leur diffusion et, en bout de chaîne, leur adoption par les agriculteurs, qui induit des répercussions et des impacts d’ordre économique et social (Hall et al., 2001).

Ce référentiel structure un modèle linéaire d’innovation du changement technologique dominant. L’innovation résulte alors de la recherche scientifique qui, développée, donne lieu à la production et à la commercialisation d’un nouveau produit. Le modèle linéaire de l’innovation décrit le transfert qui va de la découverte par la recherche scientifique au

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nouveau produit ; comme une course de relais, un passage de témoin entre recherche fondamentale, recherche appliquée, développement industriel, production, marketing et vente.

Figure 1 : Le modèle linéaire de l'innovation (Kline & Rosenberg, 1986)

Le modèle linéaire de diffusion de l’innovation technologique suppose qu’il y ait une succession de causalités linéaires d’événements sans retour ni rétroaction: avancée scientifique (nouveaux produits) – nouvelles technologies – organisation du travail – faibles qualifications requises. Dans cette analyse, renforcer l’innovation passe ainsi nécessairement par une augmentation de l’effort de recherche et de développement, qui se décline ensuite en cascade sur les services, études, méthodes et enfin sur la mise en œuvre au niveau des entreprises. Dans ce modèle, le changement technologique est fonction du rapport de prix entre la nouvelle technologie et l’ancienne technologie. La conséquence la plus évidente de ce modèle est celle qui suggère que les résultats économiques dépendent de façon linéaire à la création de la connaissance scientifique nouvelle.

Bien qu’ayant été la référence pendant longtemps - certains nombres de politiques d’innovation reposent sur ce modèle ; cette vision de l’innovation comporte de sérieuses limites. La plus importante porte sur l’absence de rétroactions (Kline and Rosenberg, 1986). En effet, dans ce modèle, les séquences s’enchaînent de manière linéaire sans besoin de retour d’information et ne reconnaissant aucun mécanisme d’apprentissage tout au long du processus.

Ce modèle linéaire amène aussi à penser qu’il existe différentes catégories de connaissances, certaines plus nobles que d’autres. La connaissance scientifique, à la base de l’innovation, occupe une place de choix dans ce modèle délaissant totalement les différentes formes de savoir-faires. En effet, l’hypothèse de base du modèle linéaire suppose que c’est forcément la recherche scientifique qui donne lieu à une innovation. Or, même si elle a un rôle important, cette source d’innovation n’est pas unique (Lundvall, 1992). De nombreuses études indiquent des sources d’innovation très diverses.

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2. L’approche évolutionniste de l’innovation : les systèmes d’innovation

Les travaux de Schumpeter introduisent une rupture avec le courant néoclassique en situant l’entrepreneur au centre des processus d’innovation. Schumpeter notamment réintroduit le rôle des variables macro-économiques dans la structuration des environnements qui génèrent l’entrepreneur. Les travaux sur la compréhension des dynamismes institutionnels dans lesquelles s’insère l’innovation montrent qu’il est difficile d’imaginer que l’innovation puisse être le fruit de l’activité d’un seul et unique acteur, coupé de son environnement. L’émergence de la notion d’innovation multi-partenariale rend compte de cette évolution (Yacoub and Laperche, 2010). Cette appréhension de l’innovation converge ou mobilise les référentiels systémiques de l’innovation issus des travaux évolutionnistes autour du concept de « Système d’Innovation » (SI) (Freeman, 1991 ; Lundvall, 1992 ; Edquist, 1997 ; Amable, 2003). Les travaux sus-cités rassemblent un ensemble de corpus analytiques qui expliquent l’innovation comme résultant d’un processus généré par un système-acteur. Le fonctionnement de ce système étant structuré notamment par des réseaux et des institutions. Dans cette acception, la genèse de l’innovation technologique devient un processus systémique. Ce processus est composé de plusieurs étapes - rassemblant de nombreux individus, organisations et institutions - au cours duquel les informations et les connaissances sont associées les unes aux autres par le biais de mécanismes d’apprentissage afin de donner naissance à de nouveaux produits, procédés, services, marchés, organisations (Laperche et al., 2012).

Le SI résulte avant tout d’un construit analytique qui vise à analyser les changements techniques en catégorisant des groupes d’actions et d’acteurs susceptibles de faire émerger l‘innovation (Lundvall, 1985 ; Edquist and Hommen, 1999 ; Edquist, 2001; Amable, 2003). Ce système s’est spécifié au niveau d’une économie nationale dans les premiers travaux et se décline autour des approches en termes de Système National d’Innovation (SNI), développé par (Freeman, 1987) et (Lundvall, 1985 ; Lundvall et al., 2002). L’objectif de ces travaux étant d’expliquer les facteurs nationaux du développement de nouvelles technologies dans les pays développés, notamment par l’économie institutionnelle et non plus seulement par l’économie standard. Le SNI pose donc les bases de cette approche systémique centrée sur le rôle des différents acteurs de l’innovation, de leurs interactions et des institutions auxquels ils se réfèrent.

Dans ces approches systémiques, les phénomènes d’apprentissage font partie intégrante du processus d’innovation. Ces phénomènes structurent les capacités d’adaptation. Ils occupent

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une place importante dans la genèse de l’innovation puis les phases d’adoption implémentation (Nelson and Winter, 1982 ; Arena and Lazaric, 2003 ; Dosi and Winter, 2003). Ces apprentissages se produisent au sein d’un réseau d’acteurs qui œuvrent pour l’adoption et l’évolution et de la nouveauté. Ce réseau constitue le système qui porte l’implémentation de l’innovation c'est-à-dire son adoption dans le système productif. Considérant le processus d’innovation dans une perspective dynamique, le SI centre l’analyse sur le rôle des différents agents, sur la nature et les caractéristiques de leurs interactions et sur les institutions qui structurent ces processus ( Lundvall, 1992 ; Freeman, 1995; Edquist, 1997). Dans ces travaux, les frontières nationales structurent les institutions dédiées à l’innovation de manière générique (environnement de ces acteurs) : les instituions d’enseignement – formation, le système scientifique et technologique, le système bancaire – financier et le système administratif. La ressource fondamentale à tous est l’information. Le concept de SI connait d’autres déclinaisons selon l’échelle d’application : Systèmes Régionaux d’Innovation (SRI), et Systèmes Sectoriels d’Innovation (SSI) portés notamment par les travaux de Malerba (2002).

 Les dynamiques territoriales de l’innovation : SNI et SRI

Les travaux portant sur la structure régionale des systèmes d’innovation se développent dans les années 90 (Saxenian, 1994). L’émergence de cette échelle d’analyse territoriale met en exergue le rôle de la localisation géographique au sein d’espaces régionaux comme une condition structurante de l’innovation et la maîtrise de la technologie. Elle met en exergue les interactions entre les firmes publiques, privées, universités et institutions (c’est-à-dire les acteurs de l’innovation) qui facilitent la production de la science et de la technologie au sein des dynamiques régionales.

 Les dynamiques sectorielles de l’innovation : SSI

La sectorialisation des processus d’innovation souligne la spécificité systémique en fonction de leur nature technologique. Elle repose sur la mise en évidence des éléments propres à un secteur d'activité, en mettant en exergue comment les interactions entre firmes, centre de recherche et de formation et des institutions gouvernementales qui facilitent la production de connaissance et de technologie sont spécifiques à ce secteur (Breschi and Malerba, 1997; Malerba, 2002). L'innovation s’effectue dans un environnement sectoriel caractérisé par un

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socle commun de connaissances, de savoir-faire, de système d’information. Malerba (2002) définit ainsi le SSI comme étant « un ensemble d’agents qui interagissent à travers des relations marchandes et non marchandes pour la création, la production et la vente de nouveaux produits ou services ». Ce système sectoriel est constitué d’une base de connaissances, des technologies, des intrants et d’une demande existante ou potentielle. Les agents du système sectoriel sont des organisations (universités, institutions financières, organisations gouvernementales, associations) et des individus (les consommateurs, les entrepreneurs ou les chercheurs, les politiques).Chaque agent est caractérisé par ses processus d'apprentissage, ses compétences, ses croyances, ses objectifs, ses structures organisationnelles et ses comportements. Les agents interagissent à travers des processus de communication, d'échange (coopération et concurrence). Ces interactions sont encadrées par les institutions dédiées (les règles et les règlements) en place. Elles induisent un processus d’innovation qui met en complémentarité les entreprises mobilisant des procédés techniques similaires (Touzard et al., 2014).

Ce référentiel systémique sur l’innovation structure la grille d’analyse mobilisée pour comprendre le processus d’innovation sur les bioénergies. Il nous conduit à mobiliser et tester ces trois référentiels dans une situation d’émergence de la filière Jatropha pour expliquer ex-ante les mécanismes de cette émergence et tenter d’éclairer les éléments qui structurent les trajectoires technologiques en cours. Cette grille nous conduit à poser l’hypothèse que sur le Jatropha, le déterminisme du processus d’innovation est lié au secteur bioénergétique. Ce secteur est structuré par l’ensemble des acteurs (institutionnel, entreprises, scientifique) lié à la production d’énergie. Les ancrages territoriaux de ces acteurs sont à priori « globaux » ou nationaux. Ce secteur peut cependant se décomposer en trois sous-ensembles technologiques complémentaires en relation avec la production des matières premières, la transformation en énergie de ces matières premières et leur utilisation pour le développement. La difficulté étant de rendre compte de la mise en cohérence de ces trois sous-ensembles sur une production déterminée comme le Jatropha.