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Jusqu’à présent, nous avons commenté une représentation numérique du corpus (figure 3.3) grâce à des tables explicitant des listes d’expressions et des intensités de lien et à notre connaissance historique. Tel une « porte d’entrée », l’outil numérique « ouvrait » le corpus selon une perspective différente. Nous inversons ici la démarche en générant des représentations quantitatives à partir d’un questionnement a posteriori afin de tester les possibilités heuristiques de l’analyse numérique pour les historiens. Le travail historique a montré que la communauté française de chimie du solide s’est construite sur trois éléments forts : une rivalité identitaire, un apport (instrumental et théorique) de la physique, une structuration par les financements industriels Teissier (2014). Nous aborderons par la suite les deux premiers éléments de construction de la communauté, identitaire et disciplinaire, en essayant d’évaluer l’apport de la méthode quantitative dans chacun des deux cas.

3.3.1 Interroger la structuration identitaire d’une communauté disciplinaire

L’émergence d’une communauté scientifique est induite par la construction d’une identité nouvelle, basée sur des organisa- tions sociales et des perceptions psychologiques. Dans le cas de la chimie du solide en France, la mémoire collective est polarisée

autour de l’opposition entre deux mandarins, Hagenmuller et Collongues, qui sont encore considérés aujourd’hui par de nom- breux chimistes du solide comme « les deux pères fondateurs » de la discipline. Ce trait constitutif de la mémoire collective peut-il être visualisé ? Nous interrogeons le corpus en demandant à Haruspex de dénombrer, pour chaque entretien, les occurrences des expressions « Hagenmuller » et « Collongues » et nous visualisons la répartition obtenue sur la figure 3.6.

Celle-ci met en évidence un équilibre des populations entre les deux mandarins, ce qui confirme l’importance de cette polarité dans la mémoire collective. Citer les deux noms est donc un signe d’appartenance à la communauté. Le noyau dur de chacun des deux camps (qui cite davantage l’un que l’autre) se situe près du mandarin, mais entre les deux : A. Kahn, D. Serreau pour Collongues ; M. Pouchard, G. Ouvrard pour Hagenmuller. Les nœuds proches d’un mandarin mais tournés vers l’extérieur (qui n’en citent qu’un) sont soit des étrangers à la communauté (J.-F. Fauvarque, D. Jérôme), soit des marginaux de la communauté du point de vue de la génération (H. Mondange) ou des thèmes de recherche (J-L. Adam, J. Zarzycki). La ligne verticale centrale permet de visualiser les représentants des autres écoles de recherche (P. Caro, J. Flahaut, A. Rousset, M.-C. Vitorge), ne prenant position ni pour l’un mais citant également les deux. Ainsi, la figure 3.6, issue d’un questionnement, raffine l’analyse globale de la figure 3.3, confirme l’interprétation historique par des données quantitatives et ouvre des perspectives d’interprétation nouvelle sur les raisons de certains positionnements. D’autres dénombrements pourraient être tentés avec d’autres ensembles de noms pour visualiser d’autres configurations.

FIGURE3.6 – Répartition des entretiens en fonction du nombre d’occurrences à Collongues ou à Hagenmuller. Certains ne citent pas l’un, d’autres pas l’autre. La position est relative aux nombres d’occurrences de Hagenmuller ou Collongues représentés en 2 pôles (nœuds de forme carrée). Ces pôles sont des nœuds artificiels. L’entretien avec P. Hagenmuller a été retiré de cette analyse.

3.3.2 Sélectionner les registres sémantiques de la mémoire collective

Une communauté scientifique comme la chimie du solide se définit aussi par des thèmes de recherche (étude de la relation structure-propriété), des outils matériels (diffraction des rayons X) et théoriques (théorie des bandes), des objets d’étude (cristaux inorganiques). Nous construisons une nouvelle représentation numérique du corpus dans sa globalité en sélectionnant unique- ment les mots-clés liés au registre épistémique (disciplines, thèmes, outils, objets, etc.). Ceci nécessite une supervision manuelle des 1372 expressions-clés (étape d’enrichissement des expressions). Bien que laborieuse, cette étape ne peut probablement pas être automatisée à cause de potentielles erreurs d’indexation. La figure 3.7 fait ainsi apparaître une sous-structure épistémique du corpus global. Ont été écartées les relations entre nœuds des registres identitaires (noms propres notamment) et institutionnels (organisation des laboratoires, interactions industrielles). La cartographie épistémique rebat les cartes par rapport à la représen- tation globale du corpus en figure 3.3. Elle ne structure plus le corpus selon la polarisation gauche/droite des deux mandarins (Hagenmuller/Collongues) et dissout le cluster périphérique centré sur les industries automobile et électrique. En d’autres termes, en surprenant l’historien trop habitué à son corpus, elle le pousse à modifier ses habitudes de pensée.

Cartographie épistémique. La cartographie épistémique fabrique un réseau plus dense, plus régulier et plus éclaté dans la distribution des nœuds que la cartographie globale. Son interprétation a posteriori permet de dégager trois ensembles d’observa- tions. Premièrement, il est possible de retrouver des regroupements par école de recherche, quoique de manière moins saillante. Ainsi, en haut à droite, un cluster Collongues est regroupé par l’évocation de l’alumine, composé-phare du laboratoire des années 1960 et 1970 : J.-P. Boilot, P. Colomban, A. Kahn, M. Perez, J. Thery, D. Vivien. Mais, trois membres de l’école ont été redistri- bués ailleurs : D. Serreau, secrétaire du laboratoire, et P. Barboux, chercheur héritier, ont des intensités de lien trop faibles pour être liés au réseau (en bas au centre). De même, H. Mondange, qui a fait sa carrière à l’ombre de Collongues et de leur maître

à tous deux, Georges Chaudron (chimie métallurgique), se trouve repositionnée dans un cluster métallurgie, entre physique et chimie, à gauche de la figure (J.-C. Catonné, J. Friedel, M. Pouchard, L. Priester). Les relations de type école ou discipline sont amoindris devant les objets et thèmes de recherche : « acier », « dislocation » et « fer » pour le cluster métallurgie. Dans le même registre, apparaissent aussi les thèmes marginaux de la chimie du solide. Lié au cluster métallurgie, on repère le cluster des solides faiblement organisés (grains, morphologie, sels, surfaces) par rapport à la norme dominante des cristaux (C. Bonino, J.-C. Catonné, J.-F. Fauvarque, S. Lefrant, A. Rousset, J. Zarzycki). L’exemple le plus emblématique, présentant les liens les plus forts en triangle, à droite (J.-L. Adam, J. Lucas, MM. Poulain), est le laboratoire rennais d’étude des verres à base d’éléments autres que l’oxygène (« fluorés », « chalcogénures », « lanthanides »). Ce triangle est relié à plusieurs chimistes du solide étudiant les cristaux à base des mêmes éléments (P. Caro, J. Flahaut et J. Rivet, G. Ouvrard, M. Tournoux).

Porosité entre industrie et académie. Deuxièmement, si les clusters par école de recherche sont démembrés ou affaiblis au profit des regroupements épistémiques (objets, thèmes), les modifications de relation entre sphères académiques et industrielles sont plus surprenantes encore : le cluster périphérique (automobile et énergie) est reconfiguré autour de deux « chaînes » dis- tinctes, c’est-à-dire des enchaînements de trois ou quatre nœuds fortement liés par paires. La première chaîne est visible en bas à droite : J.-C. Griesemann (pile à combustible chez Renault) est lié à P. Lucchese (énergie renouvelable au CEA), qui est lié à P. Maestro (développement de pigments chez Rhodia), lui-même associé à P. Caro (luminescence fondamentale au CNRS). La seconde chaîne part de P. Beuzit (manager chez Renault) puis J.-P. Lisse (chimiste des piles à combustible chez Citroën) et se termine avec M. Pouchard (chimie théorique des matériaux électrochimiques à l’université). Ces deux chaînes parcourent toutes deux un chemin géographique de la périphérie vers le cœur de la cartographie et un chemin professionnel du commercial et industriel vers le fondamental. La transformation des clusters en chaînes confirme la porosité des sphères industrielles et acadé- miques dans la mise en place de systèmes d’innovation sur les matériaux. Elle suggère, dans le même temps, des chemins pour étudier ces interactions.

Relations épistémiques vs. homogénéité sociale. Abordons dans un troisième temps ce qui constitue la partie la plus centrale de la figure 3.7 et la plus épineuse à interpréter aussi : un cluster dense formé par 5 nœuds au centre (P. Caro, J. Galy, P. Hagen- muller, M. Pouchard, D. Jérôme). Il ne s’agit plus d’un effet d’école comme pour la figure 3.3 puisque le nœud P. Hagenmuller est moins dominant qu’auparavant et qu’il est peu ou pas lié à certains de ses héritiers directs (J. Etourneau, M. Tournoux) ou indirects (J. Lucas, G. Ouvrard). De quoi s’agit-il alors ? Trois observations préliminaires avant de répondre : la présence notable d’un chimiste indépendant des deux écoles dominantes (P. Caro), lui-même lié à trois chimistes plus âgés que lui (J. Flahaut, A. Hérold, M. Tournoux) ; la présence non moins notable d’un physicien du solide (D. Jérôme de la même génération que M. Pouchard), lui-même lié à un second physicien (son mentor J. Friedel) et un chimiste de son laboratoire d’Orsay (A. Moradpour) ; enfin, des liens entre les nœuds basés sur des références à des structures cristallines (« bronzes », « cuprates »), des éléments chimiques (« vanadium »), des propriétés physiques (« conducteur », « isolant », « raies », « spectres ») et des concepts théoriques (« spin », « transition métal-isolant »). Le cluster central fait donc surgir des relations épistémiques fortes liant des hétérogénéités sociales (physiciens versus chimistes, mandarins versus outsiders). Il rend compte d’un ensemble épistémique plus large qu’une école de recherche mais différent d’une discipline comme la chimie du solide. Ce faisant, l’analyse numérique pourrait donner lieu à des typologies nouvelles en terme d’organisation sociale des sciences.

Conclusion sur la représentation épistémique. Au terme de cette analyse, la représentation épistémique de la figure 3.7 per- met de dégager deux perspectives intéressantes. Tout d’abord, au niveau réflexif, elle sert de garde-fou méthodologique : une image inattendue qui suscite la surprise refrène les généralisations trop hâtives. Ensuite, l’image épistémique relativise le rôle de la cellule sociale de la communauté française des chimistes du solide : l’école de recherche et son mandarin, qui structuraient le corpus global sur la figure 3.3. Elle fait donc plus de place aux interactions hétérogènes (université/industrie, physique/chi- mie, outsiders/mandarins), qui ont pu être sous-estimées dans la mémoire collective et/ou dans l’interprétation historique. Ainsi, sélectionner le registre épistémique dans les mots-clés pourrait permettre de visualiser des épistémologies multiples par école de recherche, par discipline ou sous d’autres formes à déterminer. Dans la perspective d’un élargissement du corpus, les carto- graphies épistémiques permettraient de s’affranchir des spécificités disciplinaires pour identifier et caractériser plus largement les aspects épistémiques de la recherche sur les matériaux dans le cas de la France (et ensuite au niveau international) et ainsi d’affiner la cartographie de la mémoire collective sur les matériaux.

L’une des pistes prometteuses touche à la définition de régimes de production des savoirs Pestre (1997), qui sont définis par la manière dont les aspects économiques, organisationnels et épistémiques sont liés pour produire une connaissance donnée. Des pistes de réflexion peuvent ainsi être esquissées par l’observation de la représentation. Ainsi, de manière centrale, apparaissent des clusters plus ou moins forts indiquant des complexes industriels bien reconnaissables (automobile, chimie, énergie, métallurgie, télécommunication), dont le rôle est primordial dans l’organisation de la recherche en matériaux. De même, sur les marges (en haut à droite), apparaît un cluster quadrilatère reliant Caro, Flahaut, Pérez et Rousset autour du concept d’atelier, c’est-à-dire un espace de savoir-faire, intermédiaire entre laboratoire et centre R&D. La formation de tels clusters invite à des études plus approfondies des systèmes économico-techniques esquissés, des dynamiques d’innovation ou au contraire des inerties.

Une cartographie des relations entre les acteurs sur un autre plan, celui de l’économie, de l’industrie et de la gestion fait fait ressortir une autre structuration de la communauté.

F IG U R E 3.7 – Intervie wés év oquant des sujets scientifiques : ph ysique, chimie ou indif férencié (sciences). En des sous d’un seuil de pondération (0 .32 ), les liens ne sont pas af fichés. Les nœuds roses sont des chimistes, les v erts des ph ysiciens, en gris les autres. Les liens bleus sont de ph ysique, les liens roses sont de chimie les jaunes sont indif férenciés (ph ysique/chimie). Les cerclages des nœuds sont fonction de la date de thèse : les plus anciens sont plus foncés.

3.3.3 D’autres vues du mêmes univers : les relations politiques et industrielles

Ayant introduit la forte importance des proximités sociales et économiques dans une cartographique globale (figure 3.3), au détriment de l’expression des liens épistémiques qui se révèlent uniquement derrière un filtre (figure 3.7), nous nous intéressons maintenant aux proximités industrielles entre les entretiens du corpus (figure 3.8). Cette représentation du corpus souligne la

FIGURE 3.8 – Graphe des acteurs liés par des proximités d’ordre industriel. Les nœuds verts ou jaunes sont les industriels et ingénieurs, les roses les chimistes, les bleus les physiciens

structuration d’un cluster déjà identifié : celui des industriels (en bas à droite de la figure 3.3). Parmi les proches de ce cluster sur la figure 3.8 (Jean-Claude Catonne, Philippe Colomban, Jeanine Théry, Philippe Barboux, Jacques Livage), on retrouve certains proches précédemment analysés. Des différences notables sont intéressantes : Philippe Colomban et Jacques Livages sont très distants du groupe des industriels sur la figure 3.3, leur relation aux autres est davantage d’ordre épistémiques. Philippe Barboux, totalement mis à l’écart des relations épistémiques (figure 3.7) s’avère être lié aux industriels d’une part mais également aux chimistes d’autre part ; il conviendrait d’investiguer ces liens. La proximité de Jeanine Théry, avec ce cluster d’industriels ne se traduira que par une vague influence sur le graphe général, davantage polarisée par ses recherches sur l’alumine avec Boilot et Kahn, objet de recherche caractéristique de l’école de Collongues.

Il est alors possible de s’intéresser au détail des liens unissant le noyau d’ingénieurs et d’industriels. La figure 3.9 montre que ces liens sont essentiellement des groupes automobile. Quelques proches collaborateurs de ce cluster central, mais clairement hors de la zone d’influence, évoquent également l’industrie automobile, c’est le cas de Jean-Claude Catonne. Une autre représentation intéressante est celle des liens (toujours d’ordres industriels et politiques) régissant les relations entre les non-industriels, c’est-à- dire à la figure 3.8 sans les 5 nœuds du cluster central identifié précédemment. La figure 3.10 permet d’identifier que les relations de type industrielles entre les non-industriels sont très différentes de celles composant le noyau exclu. Les groupes automobiles ont perdu en influence au profit des grands groupes de chimie : Rhodia, Péchiney, Rhône Poulenc, Saint Gobain ainsi que le monde de la pharmacie, ou des grands acteurs de l’électronique : Philips, Bell, Alcatel, Thomson, ESA. Ce changement de nature et d’intensité laisse néanmoins percevoir la relativement forte dimension industrielle de Jacques Lucas et dans une moindre mesure celle de Jacques Friedel. À l’inverse, Philippe Barboux, précédemment identifié à plusieurs reprises comme proche des milieux industriels se retrouve isolé. Cet isolement traduit une forte dépendance à l’égard du milieu automobile et un fort décalage avec les (quelques) préoccupations industrielles des autres chercheurs académiques.

Cette dernière analyse moins aboutie ici sur le plan historique met en évidence des pistes de recherches très ciblées, n’ayant pas été relevées par les travaux d’analyse qualitative précédents (thèse, article, livre) sur la structuration de la discipline. Les pistes sont la place de Jacques Lucas sur le plan industriel dans la communauté académique, le rôle pivot de Philippe Barboux, fortement dépendant du secteur automobile sur le plan industriel, faiblement intégré à la communauté scientifique sur le plan épistémique et lien crucial entre les communautés académique et industrielle sur un plan encore non-identifié.

FIGURE3.9 – Zoom des interactions de type industriel entre les acteurs centraux du graphe figure 3.8

FIGURE3.10 – Graphe représentant les sujet industriels partagés entre les scientifiques académiques

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Conclusion et perspectives

La conclusion reprend les trois perspectives présentées dans le résumé : pragmatique, heuristique et réflexive.

Tout d’abord, la dimension pragmatique concerne la fiabilité de la méthode numérique d’analyse du corpus. Cette approche n’a pas donné lieu à des résultats aberrants. Au contraire, la représentation globale du corpus de la figure 3.3, pour laquelle la seule intervention a consisté à fixer des paliers de visualisation, a pu être interprétée de manière conforme à notre connaissance qualitative du corpus et historique des communautés scientifiques correspondantes. Ceci est aussi le cas pour l’analyse spécifique de la sous-structure épistémique de la figure 3.7. Les résultats des analyses de différentes vues du corpus sont cohérentes entre elles, c’est le cas de l’identification du cluster d’industriels et des liens qu’il tisse avec les académiques. Notre méthode numérique semble donc adaptée à l’analyse de corpus textuels de sciences humaines et sociales. Ceci ne signifie pas pour autant que toute représentation puisse trouver une signification, que toute interprétation puisse trouver une visualisation ou que toute interprétation

soit univoque.

Ensuite, notre méthode peut ouvrir des perspectives de recherche aux historiens. L’heuristique se joue au moins à trois niveaux. Premièrement, l’interprétation de relations surprenantes permet de braquer le regard sur un angle mort ou d’ouvrir une voix non explorée. La possibilité de dé-corréler les registres de langage, organisant les expressions en catégories (disciplinaires, identitaires ou organisationnelles) est une voie intéressante pour faire apparaître des relations insoupçonnées : clusters, chaînes, paires de nœuds et nœuds isolés. Deuxièmement, le tracé de nouvelles représentations suite à un questionnement historique peut confirmer quantitativement des résultats qualitatifs. Le clivage de la mémoire collective entre deux « pères fondateurs » (figure 3.6) a fourni un cas d’étude satisfaisant. Le filtrage des mots-clés par des registres sémantiques est prometteur, notre essai pour le registre épistémique s’étant avéré concluant. Troisièmement, une piste plus porteuse encore nous semble être la comparaison entre la structure globale du corpus (figure 3.3) et l’une de ses sous-structures, notamment épistémique (figure 3.7). Ceci pourrait modifier l’usage et la signification de l’outil numérique Haruspex : plus que dans l’interprétation d’une image statique, l’heuristique pourrait se trouver plus fondamentalement dans l’écart entre deux images numériques, c’est-à-dire dans les relations entre différentes structures mémorielles.

Enfin, notre pratique réflexive détaillée en section 5, nous a appris que l’interaction entre le numérique et les humanités est d’autant plus efficace que numériciens et historiens peuvent dialoguer librement et à égalité. De telles interactions interdiscipli- naires, constructives et critiques, façonnent d’ailleurs le meilleur garde-fou contre de possibles débordements d’ordre numérique (car à peu près n’importe quoi peut être visualisé) ou historique (car à peu près n’importe quoi peut être expliqué). Cette analyse marque une étape dans le programme de recherche consacré aux archives orales concernant la « recherche sur les matériaux » depuis les années 1940. Il était indispensable, pour développer Haruspex et tester sa fiabilité sur les archives orales, de choisir un sous-corpus bien connu : la chimie du solide.

À mesure que l’analyse des archives orales sera élargie à d’autres domaines que la chimie du solide, la connaissance quali- tative des sous-corpus s’amoindrira ou sera fragmentée, chaque sous-corpus ayant été constitué par des historiens différents. Or, nous avons compris, avec ce premier cas d’étude, à quel point une appréhension intime des textes mémoriels et des méthodes numériques était déterminante. La cartographie de la mémoire collective sur les matériaux ne se fera donc pas sans mal. Elle ne se fera pas, quoiqu’il en soi, sans un travail collectif, empirique, durable et interdisciplinaire. Loin des standards des humanités numériques et des méthodes de cartographie de big data, Haruspex esquisse une voie étroite, modeste certes, mais résolument humaine et stimulante.

Chapitre 4

Autres applications : corpus de textes et

patrimoine

« C’est l’hypothèse qu’émet l’atlas : qu’un lien existe entre ce qui apparemment diffère au plus haut point. »

Georges Didi-Huberman à propos de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg

Contents

1 Littérature scientifique et Nantes1900 . . . 117 1.1 Présentation de l’expérience . . . 117 1.2 Résultats . . . 117 1.3 Conclusion . . . 122 2 Étude des proceedings du CIRP . . . 123 2.1 Introduction . . . 123 2.2 Quelques résultats sur des thématiques . . . 124 3 Conclusion . . . 124 4 Application au patrimoine : les Salons Mauduit . . . 124 4.1 Ambitions . . . 126 4.2 Expériences précédentes . . . 126 4.3 Approche conceptuelle . . . 127 4.4 Cas d’étude . . . 129 4.5 Conclusion sur l’usage de Haruspex pour la documentation du patrimoine . . . 131 5 Conclusion . . . 132

En plus du corpus d’histoire de la chimie du solide, Haruspex a permis d’étudier d’autres corpus de textes. Ces études font le lien avec le monde du patrimoine. Chaque exemple choisi ici met en avant un type d’usage différent.

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Intégration continue de littérature scientifique aux données du projet Nantes1900

Cette étude montre comment Haruspex peut créer des relations entre des documents avec des regards croisés sur des objets communs. Il s’agit de documents complexes divisés en parties. Nous nous intéressons ici aux relations inter et intra-documents, ainsi qu’aux relations que ces documents peuvent entretenir avec des sources structurées différemment (base de données de fiches historiques liées).

1.1

Présentation de l’expérience