acceptable comme titulaire de quelques actions, peut être dangereuse pour la société si elle la domine. L'administration qui dispose de larges pouvoirs doit toujours garder à l'esprit le but des clauses d'agrément qui est de refuser les actionnaires pouvant porter atteinte à l'intérêt de la société. Or le pouvoir de nuire dépend aussi de l'ampleur de la parti-cipation. On sera tenté de considérer comme a priori plus justifié le
s11 Ainsi dans I' ATF 93 II 329 a-t-on admis que le fait pour une banque de créer un accréditif aparaissant irrévocable et permettant de ce fait à son bénéficiaire d'en abuser, est en rapport direct (de causalité réelle et adéquate) avec le dommage, même si la banque ne savait pas que le bénéficiaire en abu-serait (337 et ss, cons. 4). Sur le danger ainsi créé et la responsabilité qui en découle selon l'art. 41 CO, dans une situation présentant de fortes analogies avec le présent problème : ibid., p. 339, cons. 5.
142 DROIT SUISSE
refus d'un actionnaire de contrôle s'il n'est pas entièrement infondé ou manifestement motivé par des intérêts égoïstes de l'administration (ce qui pourra être le cas, par exemple, lorsque l'acquéreur a exprimé l'in-tention de changer une administration qu'il estime peu compétente) 312.
Quant à l'admission en violation des statuts d'un nouvel actionnaire de contrôle, elle ne peut entraîner de dommage en rapport avec elle que si ce nouvel actionnaire est lui-même auteur du dommage. Le problème est le même que celui qui vient d'être examiné (ci-dessus, ad (aa) ; la possibilité que l'acquéreur cause un dommage
à
la société est toutefois accrue du fait que son pouvoir est plus grand. La doctrine américaine a, en outre, souligné le devoir que les administrateurs et les titulaires du contrôle en général ont envers leurs co-actionnaires de veillerà
ce que leurs successeurs (sur lesquels ils ont pouvoir de se prononcer) présen-tent les qualités nécessaires pour continuerà
administrer correctement la société s13. La violation de ce devoir peut fonder la responsabilité des dirigeants sociaux.Cette position nous paraît devoir être également adoptée en droit suisse, compte tenu des devoirs qui incombent
à
l'administration, de façon générale, dans la cession de contrôle 314 • On réservera, comme on vient de le voir, le problème de la solidarité.312 Il n'est question ici que de l'acquéreur qui rachète le contrôle en bloc, d'un vendeur averti ; aussi n'examinerons-nous pas le problème soulevé par la Com-mission bancaire belge dans son rapport 1970/71 (p. 142) de l'application de la dause d'agrément à un acquéreur qui tient ses droits de nombreux actionnaires dispersés et mal informés des affaires sociales. La Commission estime qu'il est du devoir de l'administration de protéger les actionnaires individuels qui ont vendu leurs actions en ignorant leur valeur réelle et les perspectives d'avenir de la société. Le pouvoir discrétionnaire conféré à l'administration dans ce do-maine implique, estime la Commission, l'existence d'un devoir fiduciaire général a l'égard non seulement de la société, mais aussi des actionnaires individuels,
« visant à assurer au mieux les droits et intérêts des actionnaire en ce qui touche leurs droits sociaux, même dans des opérations qui ne se situent pas dans le cadre interne de la société» (op. cit., p. 142). S'il s'agit toutefois d'une cession entre actionnaires de contrôle, il n'appartient pas à l'administration de juger si les termes de l'accord sont plus ou moins justifiés, ef si le vendeur, parfaitement informé de la situation de la société, a fait ou non une bonne affaire.
313 Dans un « looting case » particulièrement caractéristique (Gerdes v. Rey-uolds, 28 NYS, 2nd 622) la Cour Supérieure de l'Etat de New-York a longue-ment défini le devoir d'administrateurs cédant leurs actions de contrôle à des acquéreurs dont les intentions sont visiblement peu honorables. Elle souligne que cette situation n'est pas sans rappeler celle d'administraleurs qui démis-sionnent en laisant « les intérêts de la société sans soins et protections adé-quates» (18, 19, p. 651). Elle indique en outre les éléments qui sont de nature à éclairer l'administration sur les intentions de ceux entre les mains desquels elle remet la société (voir ég. Berle, 58 Columbia Law Review 1958, p. 1223).
314 Ci-dessous, p. 169 et ss.
DROIT DES SOCIÉTÉS 143
3.
Modification du but ou de l'objet social.On a souligné plus haut le rôle important joué par la cession de contrôle en matière de concentration d'entreprises ; dans ce cas elle aura bien souvent pour conséquence une modification considérable du fonc-tionnement de l'entreprise cédée : réorganisation de certains services, abandon de certaines activités, développement d'autres secteurs de pro-duction, fermetures d'usines, extension de l'activité à des secteurs voi-sins, cession ou reprise de certains moyens de production, etc. Ces aménagements peuvent être progressifs, mais au terme de l'évolution, le champ d'activité de la société aura considérablement changé. Il s'agit d'une modification de l'objet social tel qu'il figure dans les statuts qui devrait en principe être préalablement décidée par l'assemblée générale aux conditions prévues à l'art. 649 CO.
Si la modification de l'activité est plus considérable encore, c'est le but social qui devra être changé. Une décision de l'assemblée générale doit alors être prise aux conditions aggravées de l'art. 648 CO.
La distinction entre but et objet social présente certaines difficul-tés
m
et, de même, la détermination du genre d'activités qui nécessitent une extension formelle de l'objet. On admet dans la doctrine que le but est une notion plus large et moins concrète que l'objet. Il définit le type de domaine dans lequel va se développer l'activité sociale (exploitation d'établissements bancaires, d'immeubles, organisation de transports de services, fabrication de tels types de biens, etc.) 816. L'objet, en revanche, doit être plus concret et plus immédiat, il se rapproche de la notion de moyen 317 ; c'est le «cercle des opérations». Une certaine tendance à le définir de façon assez vague fait qu'il se confond souvent avec une conception à peine détaillée du but. Une réorientation de l'activité sociale, par exemple, après insertion dans un groupe de sociétés, qui tendrait à l'abandon de certains secteurs de production au profit d'une organisa-tion de vente globale ou qui limiterait la fabricaorganisa-tion à un type de produits n'apparaissant qu'à un stade inachevé du processus de production315 Siegwart, op. cit., ad art. 626, N 32, p. 211 ; Hess, Gegenstand und Zweck des Unternehmens, RSJ 12 (1938) 177 et 178; Muret, op. cit., p. 114 et ss.
316 Hess, RSJ 12 (1938) 177 ; Siegwart, op. cit., ad art. 626, N 38, p. 213.
817 Voir Muret, op. cit., p. 115 sur la distinction entre objet et moyens ainsi que la définition de ces derniers; Hess, RSJ 12 (1938), 177; Siegwart, op. cit.,
ml art. 626, N 35, p. 212.