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6 Populations et éléments méthodologiques

6.4 Tests psychophysiques

6.4.2 Appréciation hédonique des stimuli

Le traitement cognitif des signaux physiques a lieu en plusieurs étapes. Ainsi, la mesure de la « réalité psychologique » peut aussi se faire à différents niveaux. Nous avons repris la représentation (adaptée des travaux de Scherer) proposée par Dan Glauser (2009) pour présenter les trois modules de l’expérience subjective dans la genèse des émotions afin d’illustrer l’importance du choix des indicateurs pour les mesures psychophysiques d’appréciation hédonique (figure 13). La mesure des expressions faciales, par exemple, ne reflète pas tout ce qui pourrait être exprimé verbalement et vice versa.

60 Partie de la représentation inconsciente restant inaccessible

Partie de la représentation inconsciente devenue consciente mais non verbalisée

Partie de la représentation inconsciente verbalisée intuitivement sans représentation consciente Représentation construite et verbalisée n’ayant aucun fondement inconscient (ex. stéréotype) Surplus de sens au label non fourni par des représentations conscientes

Représentation consciente construite n’ayant aucun fondement inconscient et n’étant pas verbalisée Partie de la représentation inconsciente devenue consciente et verbalisée de manière appropriée

Figure 13. Les trois modules de l’expression subjective dans la genèse d’une émotion (figure adaptée de Dan Glauser, 2009).

Chaque indicateur utilisé pour mesurer l’expression émotionnelle n’est qu’un reflet partiel de l’expérience vécue par le sujet.

Réponses verbales (études 1a et 2)

Les réponses verbales sont très souvent utilisées dans les études en neurosciences sensorielles pour évaluer la reconnaissance et la valence hédonique d’un stimulus. Nous y avons eu recours dans nos études avec les réserves qui s’imposent. Le détail des questions que nous avons posées aux enfants pour obtenir une réponse verbale et la façon dont nous avons traité ces dernières sont exposés dans les articles 1a et 2.

De façon générale, vu les particularités de langage présentées par les enfants avec un TSA, il a été compliqué d’obtenir des réponses verbales de la part des enfants. Pour ceux qui ont donné une telle

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réponses, il a aussi parfois été délicat de l’utiliser. Il a aussi été difficile d’interpréter ces réponses. Dans notre recherche, cela concerne plus particulièrement les réponses aux questions hédoniques. Il est connu, par exemple, que les enfants avec un TSA ont des difficultés à exprimer verbalement leur ressenti émotionnel (Cascio et al., 2016; Hill, Berthoz, & Frith, 2004; Legiša, Messinger, Kermol, & Marlier, 2013; Robledo, Donnellan, & Strandt-Conroy, 2012; Savarese, 2013). Ces enfants sont connus aussi pour leurs difficultés à identifier leur ressenti émotionnel. Dans une des rares études empiriques sur l’alexithymie chez les enfants avec un TSA (25 enfants TSA de 8 à 13 ans versus 32 enfants au DT de 8 à 12 ans), Griffin, Lombardo et Auyeung 2015) mettent en évidence une occurrence plus élevée d’alexithymie chez les enfants avec un TSA en comparaison avec ceux du groupe contrôle. Dans le domaine de l’olfaction, Legiša et al. (2013) ont étudié les réponses hédoniques à des stimuli olfactifs données par des enfants avec un TSA appariés à des enfants au DT (âge 8 à 14 ans). Ces réponses ont été données verbalement et ont été mesurées à travers les expressions faciales et des réactions physiologiques (battements du cœur et conductance cutanée). Les enfants des deux groupes démontrent des réponses faciales et physiologiques similaires selon les stimuli olfactifs. Ils diffèrent toutefois dans leurs réponses verbales qui montrent une moins bonne concordance avec les expressions faciales chez les enfants avec un TSA que chez les enfants au DT.

Aussi, pour mieux appréhender le phénomène émotionnel, nous avons diversifié les méthodes de mesure de l’appréciation hédonique, à savoir, l’utilisation de pictogrammes (smileys) ou la mesure des expressions faciales.

Réponses motrices (étude 1 b)

L’utilisation de pictogrammes de visages exprimant des émotions (smileys) pour la mesure de l’appréciation hédonique est un outil fréquemment utilisé lors de tests d’évaluation sensorielle avec des enfants (Laureati, Pagliarini, Toschi, & Monteleone, 2015). Les pictogrammes de visages exprimant des émotions sont aussi fréquemment utilisés comme support visuel de communication auprès de personnes ayant des difficultés avec le langage oral (déficience intellectuelle, TSA…) (par exemple, Picture Exchange Communication System (PECS) Bondy & Frost, 1994, 2001; ou Makaton Grove & Walker, 1990; Margaret Walker, 1987).

Nous avons recouru à ces pictogrammes dans l’étude 1b. Nous avons demandé aux enfants d’appuyer sur des boutons représentant des smileys pour répondre à la question de l’appréciation hédonique d’images d’aliments (figure 14). Nous avons utilisé un clavier d’ordinateur dissimulé sous un cache blanc ; la touche “S” était liée au visage exprimant une émotion positive et la touche “K” au visage exprimant une émotion négative.

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Figure 14. Réponse d’appréciation avec un pictogramme (smileys) et une réponse motrice

Boutons poussoirs utilisés pour récolter les réponses hédoniques des enfants dans l’étude 1, axe visuel.

Vu les particularités cognitives et sensori-motrices présentées par les enfants avec un TSA, la prudence s’impose dans le traitement des réponses obtenues avec ce dispositif (cf. article 1b).

Lecture faciale (étude 2)

Afin de mesurer l’appréciation hédonique des enfants pour les stimuli olfactifs dans l’étude 2, nous avons évalué leurs expressions émotionnelles faciales. Les émotions faciales sont une expression de ce qu’un individu peut ressentir tant inconsciemment que consciemment. Elles peuvent exprimer une émotion (affect display), elles peuvent solliciter une réaction de la part d’un interlocuteur (froncer des sourcils pour demander une explication), elles peuvent témoigner d’un engagement cognitif (froncer des sourcils pour dire que nous ne comprenons pas une explication) (Kaiser, Wehrle, & Schenkel, 2009). Les expressions faciales ne sont pas l’image exacte de l’émotion ressentie, mais en représentent un signe observable à partir duquel il est possible de faires des inférences (cf. figure 13).

Nous avons codé notre matériel vidéo avec un logiciel de reconnaissance des expressions faciales, le FACET™ SDK (iMotions Inc., Cambridge Innovation Center, US). Ce logiciel analyse les visages image par image. Il extrait de chaque image composant la séquence vidéo des propriétés caractéristiques (features), telles que perçues par un codeur humain (sur une échelle d’intensité allant de 0 = absent à 1 = intensité très élevée), de différents sentiments généraux. Il compare les caractéristiques du matériel à analyser avec des données mémorisées dans une base de données et les traduit en diverses valeurs comme les Actions Unit Codes (Friesen & Ekman, 1978) ou la valence des expressions faciales. Nous avons utilisé les valences positives, négatives et neutres. La figure 15 présente le traitement des vidéos.

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Figure 15. Traitement des vidéos par le logiciel de reconnaissance faciale FACET™ SDK (iMotions Inc., Cambridge Innovation Center, US) (adapté de IMotions, 2016, p. 21).

À notre connaissance, ce logiciel n’a pas été utilisé auparavant pour la lecture des expressions faciales chez des individus avec un TSA. Une étude récente (Brewer et al., 2016) a évalué cette thématique en présentant à 40 adultes avec un TSA et 13 adultes au DT des photographies de visages d’individus avec et sans TSA représentant différentes émotions. Ces photographies avaient été réalisées en demandant à des personnes avec et sans TSA, dans un contexte d’interaction ou pas, d’exprimer des émotions. Les conclusions de cette recherche indiquent que la reconnaissance des émotions mimées est plus difficile sur les visages des personnes avec un TSA, et ce tant pour les individus avec TSA que ceux au DT. Par contre, même si l’expression sur leurs visages est moins bien reconnue que sur les visages des individus au DT, elle l’est quand même. Il est très possible que le traitement proposé par le logiciel utilisé dans notre recherche permette une meilleure lecture que dans l’étude de Brewer et al. (2016) car la comparaison est faite avec un grand nombre de visages et de codages.

Choix alimentaire (étude 2)

Afin de mesurer les effets d’une familiarisation olfactive sur l’alimentation, nous avons proposé aux enfants de choisir l’aliment qu’ils préféraient entre deux variantes olfactives d’un même aliment. Ce test est une façon de mesurer tant l’appréciation hédonique (sur la base de stimuli visuels et olfactifs) d’un aliment que la motivation23 à le consommer. Dans la motivation, il y a toujours une motivation antécédente qui détermine s’il y aura émotion ou non et une motivation conséquente qui se traduit dans une tendance à l’action. La motivation conséquente est fonction de la motivation antécédente qui influence la décision d’agir en fonction des priorités momentanées et dans le contexte donné (Aue, 2009). Dans notre expérimentation (étude 2), nous avons tenté de contrôler certains facteurs antécédents comme la faim (réalisation du test à l’heure habituelle du repas), le nombre de

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familiarisations olfactives, l’agrément intrinsèque des odeurs et de l’aliment, afin de mieux comprendre les différences individuelles lors du choix de l’aliment.