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La suite du travail réalisé sur la compréhension de la reconnaissance de l’ADN par le répresseur Lactose a permis d’appréhender les mécanismes moléculaires qui régissent la reconnaissance non spécifique de l’ADN. En effet, en utilisant un oligonucléotide n’incluant pas la séquence de reconnaissance spécifique du répresseur Lactose, la structure en solution du complexe non spécifique a pu être déterminée (Kalodimos et al., 2004a). La reconnaissance non spécifique de l’ADN par le répresseur Lactose se fait toujours par une forme dimérique. Cependant, la protéine est tournée d’environ 25° par rapport à l’ADN en comparaison avec la structure du complexe spécifique. Cette modification entraîne une perte drastique de tous les contacts spécifiques. Les résidus Y7, Y17, Q18 et R22, importants pour contacter les bases dans le complexe spécifique, voient leurs positions évoluer dans le complexe non spécifique, et, participent ainsi à la formation de liaisons hydrogène avec les groupements phosphates du squelette de l’ADN. De façon générale, tous les contacts avec les bases de l’ADN sont perdus dans la reconnaissance non spécifique alors que la majorité des contacts avec le squelette de l’ADN sont conservés (Figure 33). La perte de ces contacts spécifiques explique comment une protéine peut donc de se fixer sur l’ADN génomique et glisser le long de l’ADN en ne réalisant qu’une reconnaissance purement électrostatique. Enfin, lorsqu’elle trouve sa séquence spécifique, les contacts avec les bases peuvent alors se mettre en place dans le grand sillon et dans le petit sillon (dans cet exemple du répresseur Lactose). De façon intéressante, l’extrémité C-terminale reste non structurée dans le complexe non spécifique. Ce n’est qu’au contact d’une cible ADN spécifique qu’il y aura structuration de cette partie en hélice α pour assurer la reconnaissance spécifique. Comme la courbure de l’ADN est aussi associée à la structuration de la partie C-terminale (insertion de l’hélice α dans le petit sillon), il semble normal que l’on retrouve un ADN sous forme B et totalement linéaire dans le complexe non spécifique. Il est très fréquent d’observer un couplage entre la reconnaissance spécifique et la structuration de certaines parties de la chaîne polypeptidique ; cette observation n’est pas uniquement restreinte aux interactions Protéine-ADN (Wright and Dyson, 2009).

Nous venons de voir que les bases moléculaires de la reconnaissance non spécifique de l’ADN réalisée par le répresseur Lactose ont pu être élucidées avec la résolution de la structure du complexe non spécifique mais ce complexe non spécifique se doit d’être transitoire afin de permettre la diffusion de la protéine le long de l’ADN génomique. Des expériences ont été mises en œuvre afin de mettre en évidence l’aspect transitoire de cette interaction non spécifique.

Figure 33 : Comparaison de la reconnaissance spécifique et non spécifique de l’ADN réalisées par le répresseur Lactose.

(A) Représentations schématiques des structures en solution du répresseur Lactose libre, en interaction non spécifique avec l’ADN (code PDB 1osl) et en interaction spécifique avec l’ADN (code PDB 1l1m). (B) Détails des contacts intermoléculaires observés dans chacun des complexes. (Kalodimos et al., 2004a).

Dans un premier temps, les mouvements de l’ordre de la milliseconde ont été étudiés dans le système répresseur Lac/cible ADN. L’amplitude de ces mouvements peut être explorée en étudiant la relaxation des atomes d’azote 15N formant le squelette peptidique. On peut avoir accès aux

mouvements de l’ordre de la milliseconde en déterminant le terme d’échange (souvent appelé Rex) qui

donne accès à la constante de temps associée à des changements conformationnels de la chaîne polypeptidique. Il apparaît donc que lorsqu’une chaîne polypeptidique est très contrainte, comme c’est le cas dans un complexe protéine ADN spécifique, et qu’elle reste figée dans sa conformation, les termes d’échange (Rex) des noyaux 15N du squelette peptidique sont relativement faibles. Les mesures

des termes d’échange ont été réalisées sur le répresseur Lactose dans sa forme libre mais aussi pour les complexes spécifique et non spécifique avec l’ADN (Figure 34B). Peu de termes d’échange

conformationnel sont retrouvés dans le complexe spécifique, ce qui signifie que la protéine est très stable et présente peu de mouvements de l’ordre de la milliseconde. En revanche, dans le complexe non spécifique, la chaîne polypeptidique apparaît extrêmement dynamique dans cette gamme de temps. De plus, ces mouvements sont localisés au niveau de l’interface protéine ADN, témoignant d’une association relativement labile entre la protéine et la cible non spécifique. Ces résultats ont été confirmés par des mesures cinétiques d’échange H/D et le calcul de facteurs de protection des protons amines (Figure 34C). Il apparaît clairement que l’interface protéine ADN est beaucoup moins accessible au solvant dans le complexe spécifique, ce qui confirme une interaction forte (basée sur des contacts spécifiques) entre les deux partenaires en comparaison avec le complexe non spécifique qui sera beaucoup plus labile et donc plus accessible au solvant (Kalodimos et al., 2004a, Kalodimos et al., 2004b).

Figure 34 : Caractérisation structurale, dynamique et de la protection à l’échange proton/deutérium de la voie de reconnaissance de l’ADN du répresseur Lactose.

(A) Représentations schématiques des structures en solution du répresseur Lac libre, en complexe non spécifique (code PDB 1osl) et en complexe spécifique (code PDB 1l1m). (B) Représentations sur les modèles structuraux des termes d’échanges lents observés dans les différents cas de figures (forme libre, complexe non spécifique et complexe spécifique). (C) Représentations sur les modèles structuraux des facteurs de protection à l’échange proton/deutérium observés dans les différents cas de figures (forme libre, complexe non spécifique et complexe spécifique). (Kalodimos et al., 2004a, Kalodimos et al., 2004b).

Toutes ces études structurales en solution sur le système répresseur Lactose - opérateur Lactose ont permis de comprendre au niveau structural comment un domaine de liaison à l’ADN est capable de discerner sa cible spécifique de l’ADN génomique dans la cellule. Cependant, elle ne donne pas de preuve expérimentale concernant le déplacement de la protéine le long de l’ADN génomique. Durant les dix dernières années, des développements méthodologiques en RMN ont donné l’accès à la détection d’intermédiaires très transitoires en utilisant des sondes ADN marquées par des agents paramagnétiques. De façon simplifiée, un marquage paramagnétique a pour effet de modifier les propriétés de relaxation (perte de l’aimantation entraînant un retour à l’équilibre thermodynamique) des spins qui en sont proches. La proximité entre la sonde paramagnétique et le noyau observé augmente sa vitesse de relaxation transverse, ce qui aura pour effet d’élargir la raie observée sur le spectre. En marquant des oligonucléotides à différentes positions, le groupe de Marius Clore (NIH, Bethesda) a suivi l’élargissement des signaux sur la protéine en faisant varier la position des sites paramagnétiques. Ces oligonucléotides renferment la cible spécifique. L’interaction entre l’homéodomaine HOXD9 et un ADN de 24 paires de bases renfermant le site de liaison spécifique (Figure 35A) a été choisie comme modèle pour cette étude. Quatre sondes ADN ont été utilisées qui ne diffèrent que par la position du site paramagnétique. Le schéma de la figure 35B illustre comment la protéine va rechercher son site spécifique en se déplaçant le long de la cible ADN et sera ainsi sensible au marquage paramagnétique. Il est important de savoir que, dans ce cas précis, les auteurs connaissent le mode de reconnaissance spécifique de la protéine et ont en leur possession les coordonnées de la structure en solution de ce complexe protéine - ADN. Des complexes protéine - ADN ont donc été formés entre ce domaine de liaison à l’ADN et chacune de ces cibles ADN et ce pour deux forces ioniques, à 20mM NaCl et à 160mM NaCl. Les auteurs ont ensuite mesuré les vitesses de relaxation transverse des atomes d’azote

15N de la protéine, puis ils ont calculé les valeurs d’augmentation de la vitesse de relaxation transverse

de chacun des atomes d’azote 15N de la protéine pour chacun des complexes aux deux forces ioniques

(en prenant comme référence un complexe formé avec un ADN non marqué). Les résultats sont représentés sur la Figure 35C-D et montrent les valeurs d’augmentation de la vitesse de relaxation transverse de chacun des atomes d’azote 15N de la protéine sur une représentation schématique de la

structure du complexe spécifique. Pour les expériences réalisées à faible concentration en sel, les variations de vitesse de relaxation transverse des atomes d’azote 15N, dues à la proximité de la sonde

paramagnétique, sont en accord avec la structure du complexe spécifique. Des conditions de faible force ionique favorisent la mise en place de l’interaction spécifique. Par contre, à plus haute force ionique (une force ionique comparable à celle de la cellule), d’autres parties de la protéine sont

sensibles à la sonde magnétique. Ceci témoigne des mouvements de la protéine le long de l’ADN à la recherche de sa cible spécifique. Grâce à ces expériences, les auteurs ont pour la première fois mis en évidence le déplacement d’un domaine de liaison à l’ADN le long de l’ADN (Iwahara and Clore, 2006, Iwahara et al., 2006). D’autres expériences, toujours réalisées par le groupe de Marius Clore, ont aussi permis de mettre en évidence les sauts de brin en brin que peuvent réaliser les domaines de liaison à l’ADN dans le but de trouver leur site spécifique de reconnaissance.

Figure 35 : Mise en évidence de la diffusion de l’homéodomaine HOXD9 le long de l’ADN

(A) Séquence de l’ADN de 24 paires de bases utilisée, le site de reconnaissance spécifique est encadré et les positions de marquage paramagnétique sont indiquées. (B) Représentation schématique de la recherche de la cible spécifique par l’homéodomaine HOXD9. Différents intermédiaires non spécifiques sont représentés. La couleur rose montre un effet de la sonde paramagnétique sur la protéine. (C) Représentation schématique des résultats expérimentaux observés à 20mM NaCl. (D) Représentation schématique des résultats expérimentaux observés à 160mM NaCl. Pour C et D, une échelle de l’augmentation de la relaxation transverse due à l’agent paramagnétique est représentée en bas.

Au cours de cette partie, nous avons pu voir que l’interaction entre un domaine de liaison et sa cible ADN est très complexe. En effet, un facteur de transcription est capable de diffuser le long de la chromatine afin de trouver sa cible ADN spécifique. Il devra donc être capable de se fixer de façon non spécifique sur l’ADN génomique mais aussi de façon spécifique sur sa cible préférentielle. Nous avons pu voir que ces deux types d’interactions sont différents au niveau structural avec l’exemple du répresseur Lactose et qu’ils vont mettre en jeu différents types de reconnaissance. En effet, l’interaction non spécifique est essentiellement basée sur des contacts électrostatiques qui permettent une interaction transitoire en accord avec les mouvements observés permettant la recherche de la cible spécifique. Par contre, la reconnaissance spécifique est basée sur des contacts spécifiques permettant à la protéine de s’ancrer sur l’ADN afin que celle-ci puisse réaliser sa fonction biologique. L’exemple du répresseur Lactose, qui fixe chacun de ces monomères sur des demi-sites différents, met en évidence la plasticité et l’adaptabilité caractéristiques des domaines de reconnaissance de l’ADN. Cette plasticité ne repose pas uniquement sur la faculté intrinsèque d’adaptation de la protéine, l’ADN pouvant aussi s’adapter aux contraintes stériques imposées par la protéine.

La flexibilité de la molécule d’ADN joue également un rôle important dans la reconnaissance. En effet, il existe de nombreux exemples de complexes protéine-ADN dans lesquels la structure de l’ADN diffère d’une hélice de forme B linéaire. Par exemple, on peut voir sur la Figure 36A-B-C, que l’ADN peut se déformer pendant l’interaction spécifique. Cependant, on remarque que dans ces trois types de complexe (Sox17-ADN, IHF-ADN et TBP-ADN, Figure 36), les déformations sont dues à une interaction dans le petit sillon. L’encombrement stérique engendré par l’insertion d’éléments de structures secondaires dans le petit sillon est souvent à l’origine des phénomènes de courbure de l’ADN. Dans le cadre du répresseur Lactose, c’est aussi l’insertion de l’hélice α C-terminale qui entraîne la courbure de l’ADN. Il est important de noter que la distorsion de l’ADN lors de l’interaction protéine- ADN a un coût énergétique qui sera compensé par la mise en place de contacts intermoléculaires supplémentaires (Privalov et al., 2009). De façon intéressante, la distorsion de l’ADN est aussi observée dans le cadre d’interactions non spécifiques comme on peut le voir dans la structure cristallographique du nucléosome. En effet, l’ADN doit se courber pour pouvoir s’enrouler autour de l’octamère d’histones (Figure 36D).

Figure 36 : Courbure de l’ADN lors de la reconnaissance Protéine-ADN.

(A) Structure cristallographique de la protéine Sox17 liée sur sa cible ADN, code PDB 3f27, (Palasingam et al., 2009). (B) Structure cristallographique de l’ « Integration Host Factor » (IHF) lié sur sa cible ADN, code PDB 1owg (Lynch et al., 2003). (C) Structure cristallographique de la TBP liée sur sa cible ADN, code PDB 1YTB, (Kim et al., 1993). (D) Structure cristallographique du nucléosome, code PDB 1aoi, (Luger et al., 1997). Les histones H2A sont colorées en orange, H2B en mauve, H3 en rouge et H4 en bleu.