III.1 Combinaison de diodes électroluminescentes
III.1.5 Application spectroscopique
Nous décrirons dans ce paragraphe une application de la source à combinaison de LED pour l’OCT plein champ : une alternative simple et rapide à l’OCT plein champ spectroscopique « traditionnelle ».
• Principe et limitation de l’OCT plein champ spectroscopique « traditionnelle »
L’OCT spectroscopique est une extension des techniques d’OCT conventionnelles qui permet d’extraire, outre l’image tomographique de l’échantillon, une information spectroscopique [72, 75, 88], obtenue à l’aide d’une analyse de Fourier du signal interférométrique. Elle donne accès aux composantes spectrales rétrodiffusées par l’échantillon et donc aux propriétés de diffusion et d’absorption de l’échantillon sur la totalité du spectre incident. Bien que très différents (l’absorption est un phénomène global se cumulant sur tout le chemin optique alors que la diffusion est un phénomène local ayant lieu aux interfaces d’inhomogénéités d’indices de réfraction), ces deux processus sont difficiles à distinguer [89, 90].
Dans l’OCT plein champ spectroscopique développée antérieurement, l’information spectroscopique, la densité spectrale de puissance, est obtenue par transformées de Fourier discrètes du signal interférométrique acquis par chaque pixel de la caméra sur la totalité de la profondeur de l’échantillon [75]. Cette méthode spectroscopique nécessite donc un déplacement axial de l’échantillon inférieur à 200 nm, afin que l’échantillonnage du signal interférométrique à partir duquel on reconstruit l’information spectroscopique respecte le critère de Nyquist. L’étude d’un échantillon sur 200 µm d’épaisseur nécessite donc l’acquisition 4000 images tomographiques, imposant un temps d’acquisition très long, puis le traitement numérique de ces 4000 images. Le traitement numérique consiste en la
réalisation de N×N transformées de Fourier rapides locales (N étant le nombre de pixels de la caméra utilisée) avec accroissement de la taille des vecteurs données par ajout de zéros afin de réduire le pas d’échantillonnage de la transformée de Fourier discrète, puis calcul du centre de masse du spectre. Ce traitement numérique est évidemment très lourd en termes de temps de calcul (plusieurs heures) et capacité de stockage requise (plusieurs centaines de giga‐octets), ce qui limite considérablement son application, en particulier pour l’imagerie in vivo.
Nous proposons ici une méthode alternative, en tirant parti de la modularité spectrale de la source à combinaison de LED. En éclairant successivement l’échantillon avec différents spectres (par exemple les spectres des différentes LED) et en comparant les images tomographiques obtenues, on peut en déduire les propriétés de diffusion et d’absorption de l’échantillon sur les différentes gammes spectrales utilisées. L’analyse spectroscopique proposée ici est certes beaucoup moins précise que par analyse de Fourier (on n’a accès aux propriétés de l’échantillon que sur des gammes spectrales plus ou moins larges) mais présente l’avantage d’être simple dans sa mise en œuvre et ses traitements numériques. • Illustration de la modularité du spectre et de sa reconstruction
L’un des avantages majeurs de la combinaison de LED est la grande facilité dans la modularité du spectre d’émission : en modifiant simplement le courant d’alimentation de chaque LED, on peut créer sans ajouter de filtres de nombreux spectres, de longueur d’onde moyenne, de largeur spectrale et de forme diverses.
Afin d’illustrer cette propriété, nous avons réalisé différents spectres d’émission que nous avons acquis à l’aide d’un spectromètre sensible dans le proche infrarouge (spectromètre HR4000 de Ocean Optics). La Figure III.15 (haut) montre les spectres obtenus dans le cas où seule la LED à 804 nm est alimentée (figure de gauche) et dans le cas où deux LED, à 771 nm et 859 nm, sont alimentées (figure de droite). L’interférogramme associé à ces spectres est présenté sur la Figure III.15 (milieu). Une transformée de Fourier discrète, avec apodisation par fenêtre de Hanning et accroissement de la taille des vecteurs données par ajout de zéros afin de réduire le pas d’échantillonnage de la transformée de Fourier discrète, de ces interférogrammes permet de retrouver la forme exacte du spectre incident, comme le montre la Figure III.15 (bas).
On retrouve bien la forme du spectre incident puisque les objets présents dans les bras de l’interféromètre ont un coefficient de réflexion quasiment indépendant de la longueur d’onde dans la plage de longueur d’onde considérée. Dans le cas où l’objet présente une réponse dépendant de la longueur d’onde, le spectre reconstruit sera différent du spectre incident et la comparaison de ces deux spectres permettra de déduire les propriétés spectroscopiques de l’échantillon sur la gamme spectrale sondée. C’est ce principe que nous souhaitons mettre en œuvre dans l’analyse spectroscopique.
Figure III.15 : Illustration de la modularité du spectre obtenu par la combinaison LED et la reconstruction de ce spectre par le dispositif d’OCT plein champ. (haut) Spectre à la sortie de la fibre optique, mesuré à l’aide d’un spectromètre. (milieu) Interférogramme enregistré par le dispositif d’OCT plein champ. (bas) Spectre reconstruit par transformée de Fourier de l’interférogramme. • OCT plein champ spectroscopique avec la combinaison de LED
Nous souhaitons étudier les différences de réponse de l’échantillon en fonction de la longueur d’onde, et ceci sur tout le spectre effectif du dispositif. Un premier diagnostic, peu coûteux en temps d’acquisition et en traitement numérique, consiste à enregistrer des images tomographiques standard (c’est‐à‐dire avec un pas d’échantillonnage axial de l’ordre du micromètre) en allumant successivement chaque LED, c’est‐à‐dire en illuminant l’échantillon successivement à 5 longueurs d’onde différentes, de 770 à 860 nm. Les différences éventuelles entre les différentes images tomographiques sont directement reliées aux propriétés spectrales d’absorption de l’échantillon (en général, les propriétés de diffusion ne variant pas de façon assez significative sur cette gamme de longueur d’onde).
Afin de tester la validité de cette méthode, nous l’avons appliqué à de l’encre bleue présentant un spectre d’absorption très marqué sur la gamme spectrale des LED utilisée (cf. Figure III.16). Une pile d’images tomographique a été réalisée sur une goutte d’environ 200 µm d’épaisseur en éclairant successivement avec la LED à 771 nm et la LED à 859 nm. Les coupes axiales obtenues sont présentées respectivement sur la Figure III.17 (gauche) et
la Figure III.17 (droite) et traduisent effectivement l’absorption supérieure de l’encre à 771 nm. Figure III.16 : Transmission de l’encre bleue en fonction de la longueur d’onde et comparaison avec les spectres d’émission des LED utilisées pour la combinaison. Figure III.17 : Coupes tomographiques axiales obtenues pour une goutte d’environ 200 µm d’encre bleue éclairée par la LED à 771 nm (gauche) et la LED à 859 nm (droite).
Cette méthode pourrait donc être utilisée pour distinguer différents pigments ou encres dans les œuvres artistiques (tableaux, vernis d’instruments de musique…). Cependant, il faut évidemment réaliser un compromis entre les résolutions axiale et spectrale des différentes images tomographiques réalisées, résolutions toutes deux imposées par la largeur spectrale de la source lumineuse utilisée.
Cette technique est donc un bon point de départ à l’étude spectroscopique de l’échantillon, qui peut être complétée si cela est nécessaire par la méthode « traditionnelle » décrite précédemment.