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La présente étude a permis tout d’abord de confirmer la possibilité d’appliquer la classification de Nordbø et ses collaborateurs (2006) à notre échantillon. Ces chercheurs, par le biais d’entrevues semi-structurées, centrées sur le patient et menées de manière interactive, ont pu approfondir et mieux saisir les fonctions psychologiques sous-jacentes aux comportements alimentaires pathologiques. Cette méthode a permis d’apprécier davantage la réalité des patientes et d’établir une classification à huit construits, cette dernière permettant de représenter l’ensemble des fonctions psychologiques rapportées dans les études portant sur le sujet. La présente étude a permis de reproduire la même

classification à l’aide d’énoncés auto-rapportés et ainsi de valider cette dernière à l’aide d’une méthode significativement moins longue et moins coûteuse. Les patientes n’avaient qu’à répondre à une simple question, « Quelles sont les fonctions de mon trouble des conduites alimentaires que j’ai identifiées cette semaine (à quoi me sert-il)? », et c’est à partir des réponses obtenues que nous avons pu reclasser les différentes fonctions. À cet effet, l’excellent accord inter-juge obtenu (K= 0.91) et l’adhérence des fonctions rapportées à la classification (79,68% des fonctions classifiables) assure la fidélité de l’instrument et montrent la possibilité d’utiliser cette classification auprès de notre échantillon, ajoutant un appui empirique à l’utilisation de celle-ci chez les personnes souffrant de TCA. Également, le recours à une définition exhaustive des fonctions lors de la classification a permis d’assurer un maximum de validité.

De plus, certaines fonctions psychologiques distinctes et n’étant pas décrites par Nordbø et ses collaborateurs (2006) ont été nommées par les patientes de notre échantillon, notamment répondre aux attentes et de rébellion. Ces nouvelles fonctions ressortent aussi dans la littérature et il n’est donc pas surprenant de les retrouver parmi nos données. En effet, certains auteurs soulèvent la dépendance que présente souvent cette clientèle quant aux attentes des autres et la difficulté dont elles peuvent faire preuve à se définir autrement que par les autres (Ronze, Mamelle, Combe & Pugeat, 2010). Plusieurs de ces patientes ressentent un profond sentiment d’impuissance et d’inefficacité et se trouvent donc dépendantes des demandes externes. Entre autres, la discipline du corps leur donnerait l’impression d’être de bonnes filles qui tentent de convenir aux attentes parentales (Gabbard, 2000). Pour ce qui est de la rébellion, cette fonction peut être vue comme un moyen de communication, cependant plus agressif que ce qui est suggéré dans la grille de

Nordbø et ses collaborateurs (2006). En effet, il n’est pas rare de voir ces filles pratiquer ces comportements dans le but de s’opposer activement à leur famille ou aux demandes de leur entourage (Chassler, 1994; Gabbard, 2000). Gabbard (2000) explique que le refus de s’alimenter peut être vu comme un rejet face à une mère trop intrusive. Cette attitude provocante pourrait aussi permettre d’exprimer leur mécontentement face à certains désirs qu’elles ne pourraient assouvir. Ces nouvelles fonctions seraient intéressantes à investiguer dans de futures recherches sur le sujet.

En lien avec nos résultats, il est possible de constater que les fonctions les plus fréquemment nommées par nos participantes, soit celles en lien avec l’évitement et les sentiments de puissance et de sécurité, sont également celles les plus souvent répertoriées dans les études antérieures (Nordbø & al., 2006; Serpell & al., 1999; Serpell & Treasure, 2002). En effet, dans la première étude de Serpell et al. (1999), ce sont les thèmes gardien et contrôle qui sont les plus souvent nommés dans les lettres écrites par les participantes, ceux-ci faisant référence aux enjeux des fonctions sécurité et puissance utilisés dans la présente étude. Dans l’étude de Serpell et Treasure (2002) portant sur une population souffrant de boulimie, le thème gardien est toujours celui le plus souvent répertorié, suivi de ceux d’évitement et de contrôle. Nordbø et ses collaborateurs (2006) ont également démontré l’importance de ces fonctions dans leur étude, où la majorité des participantes ont répondu se servir de leurs comportements alimentaires pour se procurer un sentiment de sécurité, éviter des stimuli aversifs et ressentir un sentiment de puissance.

Également, comme Nordbø et ses collègues (2006) l’ont soulevé dans leur conclusion, nos résultats laissent voir que les fonctions confiance, prise en charge et communication sont fortement liées entre elles. À cet effet, Nordbø et ses collaborateurs

(2006) voyaient en ces construits un côté plus relationnel qui pourrait constituer un renforçateur social de la maladie. Suite à ce constat, il convenait de se questionner sur la possibilité de regrouper certaines fonctions, ce que nous avons voulu valider par le biais d’une analyse factorielle suivie d’une ANOVA. L’analyse factorielle permet de trouver la variance commune entre plusieurs variables et a donc permis de regrouper ici les différentes fonctions. C’est ainsi que trois regroupements de fonctions ont été relevés, lesquels ont été nommés évitement (sécurité et évitement), relationnel (confiance, prise en charge et communication) et narcissisme (puissance, mort et identité). Malgré le faible indice d’adéquation de la solution factorielle, les résultats obtenus de cette analyse nous ont permis de réfléchir à la signification et à l’implication clinique d’une telle catégorisation. Comme proposé par Nordbø et ses collaborateurs (2006), il est possible de déduire du groupe confiance-prise en charge-communication les aspects plus relationnels et sociaux qu’ils représentent. En effet, le comportement alimentaire semble alors en réaction à un besoin relationnel et d’affiliation, la maladie servant à attirer le regard de l’autre, l’attention de l’extérieur. Les fonctions sécurité et évitement semblent similaires de par l’évitement de stimuli aversifs. Sous le besoin excessif d’organiser et de structurer son quotidien, la personne qui répond à la fonction sécurité évite d’être en contact avec tout ce qui pourrait être imprévu ou surprenant, que ce soit au niveau des émotions, des relations ou du poids (Nordbø & al., 2006). Quant au groupe mort-puissance-identité, ces trois fonctions semblent liées par le fait qu’elle implique un certain narcissisme. À ce sujet, la littérature, davantage d’approche psychodynamique, soulève l’importance du narcissisme chez la clientèle souffrant de TCA, où les défenses et les blessures narcissiques s’exprimeraient à travers les habitudes alimentaires pathologiques et les préoccupations alimentaires et

corporelles (Lehoux, Steiger & Jabalpurawa, 2000; Sines, Waller, Meyer & Wigley, 2008; Waller, Sines, Meyer, Foster & Skelton, 2007; Steiger & Shaw, 1997; Steiger, Jabalpurawa, Champagne, Stotland, 1997). Selon certains auteurs, les TCA trouveraient leur origine au niveau de certains conflits développementaux, plus spécifiquement pendant la phase développementale caractérisée par l’égocentrisme et le développement du narcissisme chez l’enfant, occasionnant une faible estime de soi, un sentiment d’incompétence et d’inefficacité (Johnson, 1991). Pour remédier à ce sentiment d’insatisfaction et pour rétablir leur estime personnelle, le narcissisme serait investi dans l’image corporelle et le contrôle alimentaire. Bref, le contrôle sur son corps et sur la nourriture et la poursuite de la perfection permettraient de pallier artificiellement au sentiment d’inefficacité, le contrôle interne se voulant comme une tentative de contrôle sur le monde externe (Chassler, 1994; Gabbard, 2000; Johnson, 1991; Vitousek & Ewald, 1993). À ce propos, Gabbard (2000) appuie l’idée que c’est en développant une autodiscipline de leur corps que ces personnes développeraient un certain sentiment d’efficacité et d’individualité. Devenir le plus mince possible leur donnerait ainsi l’impression d’être quelqu’un d’unique et spécial (Gabbard, 2000; Johnson, 1991) et d’affirmer leur indépendance (Vitousek & Ewald, 1993), d’où la fonction identité. Les symptômes du TCA, comme la perte de poids, permettraient la construction d’un soi fort et puissant et d’acquérir ainsi un sentiment de fierté, d’accomplissement, de supériorité et de contrôle (Vitousek & Ewald, 1993), tel que le suggère la fonction de puissance. À l’extrême, en réaction à ces sentiments de vulnérabilité et d’inefficacité, les comportements alimentaires peuvent même être utilisés de façon masochiste (Lerner, 1991), comme le veut la fonction mort. À ce moment, l’impression de n’avoir pu assouvir ses besoins développementaux créerait une frustration intense et des

fantaisies de contrôle omnipotent et destructeur. N’ayant pu développer une identité intégrée, le clivage devient un mécanisme de défense permettant de pallier à l’image non intégrée des relations d’objet où la personne tend à idéaliser la figure maternelle et soutenir une image de soi toute mauvaise. Comme les sentiments négatifs envers la mère sont inconcevables, les pulsions agressives sont retournées vers soi et assouvies par les comportements alimentaires autodestructeurs, comme la restriction alimentaire ou les crises de boulimie. Cette position, où la personne se trouve devant la possibilité de choisir sa destinée, c’est-à-dire de vivre ou de mourir, procurerait une gratification intense en permettant à la personne d’expérimenter un sentiment de toute-puissance (Lerner, 1991).

Bref, cela suggère la possibilité de regrouper ces fonctions en trois catégories plus larges représentant des enjeux liés à l’évitement (sécurité et évitement), au besoin d’affiliation (confiance, prise en charge et communication) et au narcissisme (mort- puissance-identité).

Malgré l’intérêt clinique suscité par ces regroupements de fonctions représentant des enjeux psychologiques plus larges de la maladie, la faible valeur du KMO issue de l’analyse factorielle ne permet pas de valider ces nouveaux regroupements. Toutefois, les résultats de l’analyse factorielle confirmatoire permette de penser qu’une étude plus poussée sur ces variables, qui impliquerait un plus grand nombre de participants, pourrait permettre de valider l’utilisation d’une telle catégorisation. À cet effet, il est suggéré de recourir à un échantillon d’un minimum de 100 participants et d'avoir un ratio de 10 sujets par variable insérée dans l'analyse (Hair & al., 1998). Également, l’ANOVA en lien avec l’analyse factorielle n’a pas permis de trouver de différence significative entre les groupes. Il arrive que ces catégories de fonction nouvellement regroupées montrent des profils

symptomatologiques opposés. Par exemple, la fonction mort suggère la présence de symptômes dépressifs et anxieux les plus sévères de l’échantillon (M = 45.60 et 33.60)

comparativement à la fonction puissance qui est l’une des fonctions montrant les symptômes cliniques les moins sévères (M = 24.70 et 15.10). C’est ainsi que, bien que les

nouvelles catégories formées par cette analyse soient représentées par davantage de participantes que pour les huit fonctions de départ, aucune différence significative n’a été répertoriée entre les groupes quant à la sévérité des symptômes et la motivation au traitement. Il serait intéressant d’étudier ce lien plus en profondeur.

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