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5. TARIFICATION DU CARBONE POUR LE SECTEUR AÉRIEN ET APPLICABILITÉ AU CANADA

5.1 La taxe carbone

5.1.4 Applicabilité au Canada

Le contexte géographique et politique du Canada est bien différent de celui de l’UE. Effectivement, le Canada couvre un immense territoire et ne possède qu’une seule frontière terrestre avec un autre état : les États-Unis. L’aviation joue également un rôle important dans le transport de marchandises et de passagers en plus d’approvisionner des communautés éloignées. (Chalifour et Besco, 2018) Ces critères doivent donc être pris en compte afin de déterminer quel type de taxe serait le plus approprié.

Le tableau 5.1 résume quels types de taxes qui sont appliquées, respectivement, au transport domestique et international aérien. Au Canada, le carburant pour les vols domestiques est déjà taxé. Au niveau fédéral on retrouve la taxe d’accise (10 cents le litre) et la TVA (5 %) qui s’appliquent sur l’essence alors qu’au niveau provincial, les valeurs de TVA varient. À cela, il faut ajouter les taxes provinciales sur l’essence qui varient entre 6 cents et 25 cents le litre. (Ressources naturelles Canada, 2019) Dans le cas des taxes sur les billets d’avion, il importe de faire la distinction entre « taxe » et « redevance ». Selon la définition de l’OACI, les redevances « sont des droits perçus pour financer le coût de la fourniture d’installations et services destinés à l’aviation civile » alors que les taxes « ont pour but de procurer des recettes publiques générales, au niveau national ou local, qui seront utilisées à des fins non aéronautiques » (OACI, 2000).

Selon ces définitions, les montants associés aux frais d’aéroports, de sécurité et de navigation de l’air sont considérés comme des redevances et non des taxes puisqu’ils servent à financer des activités aéronautiques. Dans cette optique, on pourrait affirmer qu’il n’y a pas de taxes sur les billets d’avion, mais plutôt des redevances. Effectivement, la seule taxe qui y est prélevée, à l’échelle nationale, est la TVA comme il a été mentionné précédemment. La taxe dite « par vol », quant à elle, n’existe pas au Canada ni nulle part ailleurs. Essentiellement, le transport aérien domestique au Canada est déjà relativement bien couvert par différentes taxes et redevances tandis que le transport international s’en sort plutôt bien, exempté de taxes. Le carburant utilisé pour le transport international échappe à la taxation, et ce même dans le CPC (Ricardo Energy & Environnement, 2018).

Tableau 5.1 : Taxes appliquées au transport domestique et international au Canada (compilation d’après : Ressources naturelles Canada, 2019; Ricardo Energy & Environnement, 2018)

Type de taxe Transport domestique Transport international

Taxe sur le carburant Oui Non

Taxe sur les billets d’avion* Non Non

Taxe « par vol » Non Non

Taxe sur la valeur ajoutée Oui Non

* Attention à la distinction entre « taxe » et « redevance »

À la lumière de ce qui précède, il est possible d’analyser le contexte canadien sachant que l’implantation de la taxe carbone à l’échelle du pays a déjà commencé et qu’elle devrait augmenter le prix du carburant. La taxe carbone du « standard fédéral » a été fixée à 20 $ CA la tonne en 2019 et augmentera progressivement jusqu’à atteindre 50 $ CA en 2022 (Deloitte, 2019). Cette mesure a fait réagir l’industrie aérienne. À cet effet, le Conseil national des lignes aériennes du Canada a demandé à AirTrav, une firme de consultation en aviation internationale, de réaliser une série d’études sur les conséquences de la taxe carbone sur le secteur de l’aviation canadienne. La dernière étude a évalué son impact financier sur différentes routes domestiques dans les provinces où le « standard fédéral » s’applique (Ontario, Manitoba, Saskatchewan et Nouveau-Brunswick) en plus d’estimer les revenus générés par cette taxe.

L’étude affirme que la taxe carbone augmenterait de 800 millions de dollars canadiens par année le coût du transport aérien au Canada et que cette augmentation des prix, combinée à la proximité des États- Unis, pourrait encourager les Canadiens à prendre l’avion de l’autre côté de la frontière. Cela pourrait aussi freiner le tourisme et inciter la population à voyager à l’international plutôt qu’au pays. (Conseil national des lignes aériennes du Canada [CNLA], 2019)

Du point de vue du citoyen, l’étude déplore l’inégalité qui serait créée avec les communautés éloignées (CNLA, 2019). Il est vrai que la taxe carbone n’est pas prévue de s’appliquer sur le carburant des aéronefs pour les provinces du Yukon et du Nunavut. Ce faisant, une famille voyageant de Churchill à Ottawa verrait le coût de ses billets d’avion augmenter de 350 $ CA entre 2019 et 2030 alors qu’une autre famille, voyageant de Yellowknife à Ottawa, serait épargnée de ce fardeau financier (CNLA, 2019). Il faut cependant mettre les choses en perspective et comprendre que ces provinces sont épargnées de ces frais puisqu’elles dépendent fortement du transport aérien (ECCC, 2016).

L’étude d’AirTrav souligne aussi l’aubaine que représente la taxe carbone pour le gouvernement fédéral en termes de revenu. Dès 2022, les redevances perçues seraient supérieures à celles associées à la taxe d’accise fédérale et aux taxes provinciales sur le carburant combinées (figure 5.4). (CNLA, 2019)

Figure 5.4 : Revenus projetés des taxes dans le secteur aérien domestique (tiré de : CNLA, 2019) Il est vrai que les montants de ces revenus peuvent paraître impressionnants, mais lorsqu’on considère qu’en 2016 le Canada a versé près de 4,8 milliards de dollars canadiens en subvention au secteur des énergies fossiles cela permet de relativiser (Climate transparency, 2018). En l’occurrence, cela porte plutôt l’intérêt sur la question : de quelle façon ces revenus seront-ils utilisés? Le gouvernement propose de retourner la quasi-totalité (90 %) des recettes aux particuliers, petites et moyennes entreprises, municipalités et organismes publics ou à but non lucratif (Belzile, 2019, 8 juillet). C’est ce qu’on appelle une approche de fiscalité neutre (Webster, 2019, septembre). Ainsi, dans certains cas particuliers, comme les foyers à faibles revenus, le montant retourné pourrait être supérieur à la somme payée initialement.

(Belzile, 2019, 8 juillet) Le Conseil national des lignes aériennes du Canada présente les recettes de la taxe carbone comme un revenu supplémentaire pour le gouvernement alors que dans les faits, si celui-ci tient promesse, ce n’est pas nécessairement le cas.

En somme, le gouvernement du Canada s’est déjà bien occupé du transport aérien domestique qui est sous sa juridiction en taxant le carburant au niveau fédéral et provincial et en appliquant la TVA. La taxe carbone, nouvellement mise en place, de même que la Norme sur les combustibles fossiles, si appliquée au secteur aérien, devraient permettre de générer des revenus et migrer vers des carburants à plus faible intensité carbonique. Une taxe environnementale sur les billets d’avion pourrait aussi être envisagée puisqu’actuellement il n’y en n’a pas en place, mais cette mesure supplémentaire pourrait être perçue comme déraisonnable dans le présent contexte où déjà, le déploiement de la taxe carbone suscite de fortes oppositions. Par ailleurs, on assiste à un déséquilibre entre le transport domestique et international. Les conclusions et les opinions des acteurs impliqués dépendent ainsi de la perspective avec laquelle ils observent le problème.