Un autre mode d’action reconnu et exploité dans le cas de nombreux antibiotiques utilisés consiste au blocage de la synthèse protéique au niveau du ribosome bactérien.
Pour rappel, les ribosomes sont parmi les plus gros complexes enzymatiques naturels. Ils sont présents dans toutes les cellules vivantes (eucaryotes ou procaryotes) et sont impliqués dans la synthèse des nouvelles protéines.151 Bien que quelques variations existent selon les organismes, les ribosomes possèdent généralement plus d’une cinquantaine de constituants (protéines ribosomiques et ARN ribosomiques (ARNr)) répartis en deux sous-unités (une petite et une grosse) qui, une fois assemblées, forment un ribosome fonctionnel. Chaque sous-unité est caractérisée par son coefficient de sédimentation qui, dans le cas des bactéries, font respectivement 30S et 50S. La sous-unité 50S, d’une masse totale d’environ 1.6 MDa, contient deux molécules d’ARNr (23S et 5S) et 34 protéines tandis que la sous-unité (30S), d’une masse totale d’environ 0.8 MDa, contient une molécule d’ARNr (16S) et 20 protéines.151 Leur assemblage conduit à un ribosome 70S.
Le déplacement à travers le ribosome de l’ARN messager (ARNm) et des ARN de transfert (ARNt) permet la synthèse de chaînes polypeptidiques selon un mécanisme très précis en trois phases basé sur l’appariement entre des triplets successifs de nucléotides (ou codons) de l’ARNm et d’anticodons de l’ARNt auquel est lié un acide aminé via une liaison ester.152,153 La synthèse peptidique débute par une phase d’initiation, lorsqu’un codon d’initiation d’un ARNm se lie à un complexe constitué de la sous-unité 30S et d’un ARNt d’initiation porteur d’une méthionine. Le nouveau complexe s’associe alors à la sous- unité 50S pour constituer le ribosome (Figure 42). La paire codon-anticodon est alors localisée dans un site dit peptidyl-ARNt (site P). La phase d’élongation peut alors commencer : le codon suivant, positionné dans le site dit aminoacyl ARNt (site A), est alors lui aussi apparié à l’anticodon correspondant d’un ARNt porteur d’un acide aminé. A ce stade, on observe une étape de transpeptidation, au cours de laquelle la fonction amine libre de l’acide aminé porté par l’ARNt du site A effectue une attaque nucléophile sur la fonction carboxyle estérifiée de l’acide aminé porté par l’ARNt du site P, suivie d’une étape de translocation au cours de laquelle l’ARNm se décale d’un codon, positionnant ainsi l’ARNt porteur du dipeptide du site A au site P. L’ARNt désacylé se retrouve alors déplacé du site P au site de sortie (ou exit, site E) où il se dissocie du ribosome. Le troisième codon se trouve alors dans le site A et le processus peut se répéter, la chaîne peptidique en croissance émergeant à l’arrière du ribosome après avoir emprunté le tunnel traversant la sous-unité 50S.151 L’étape d’élongation se poursuit jusqu’à l’apparition d’un codon stop dans le site A. Dans ce cas, une protéine (EF6) se lie au codon et catalyse la saponification de la liaison peptide-ARNt, libérant la chaîne polypeptidique.153 La sous-unité 50S se dissocie finalement de la sous-unité 30S et de l’ARNm.
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Figure 42 : Structure et fonctionnement du ribosome.151
En interférant avec cet arrangement tridimensionnel complexe, certains antibiotiques permettent de stopper totalement la machinerie cellulaire de synthèse protéique, conduisant la cellule à sa mort.154
- Les aminoglycosides (streptomycine 100 (CMI 1.7 vis-à-vis de H37Rv), kanamycine 110 (CMI 4.1aµM
vis-à-vis de H37Rv), amikacine 111(CMI 0.9 µM vis-à-vis de H37Rv))131 L’isolation en 1944 de la steptomycine 100107 a été la première avancée tangible dans la lutte contre la tuberculose. Plus tard, en 1957, la kanamycine 110 a été isolée par Umezawa et
al. à partir d’une souche de
154
Streptomyces kanamyceticus.155 Enfin, en 1972, la firme pharmaceutique Bristol-Banyu a décrit
l’amikacine 111, un dérivé hémisynthétique de la kanamycine.156
Ces trois composés aminoglycosidiques inhibent la synthèse polypeptidique en se liant à l’ARNr 16S de la sous-unité 30S, empêchant ainsi la traduction de l’ARN.157,158 Les souches résistantes au traitement par ces composés portent généralement des mutations sur 16S au niveau du site de liaison des aminoglycosides ou sur la protéine ribosomique 12S qui interagit intimement avec 16S dans une région voisine du site de liaison des aminoglycosides. 159
Il est à noter qu’une résistance croisée est souvent observée entre la kanamycine et l’amikacine,160 alors qu’aucune résistance croisée entre la streptomycine et les deux autres n’a pour l’instant été notée, suggérant des mécanismes de résistance légèrement différents.161
- Capréomycine (112) (CMI 3 µM vis-à-vis de H37Rv)131
La capréomycine est un polypeptide macrocyclique isolé de Streptomyces capreolus en 1959 par une équipe des laboratoires Lilly.162 Ce composé agit en inhibant la synthèse des protéines en se liant de manière covalente et conjointement aux sous-unités ribosomales 30S et 50S. Des études ont montré en effet que la capréomycine interagissait simultanément avec l’ARNr 16S (au niveau de l’hélice 44) et avec l’ARN 23S (au niveau de l’hélice 69).163
Or ces deux hélices sont impliquées dans la formation d’une structure dite pont inter sous-unités B2a, résultant des interactions entre l’ARNr 23S et l’ARNr 16S lors de l’association des sous-unités 30S et 50S pour former le ribosome fonctionnel.164
Le pont inter sous-unités B2a est situé au centre de l’interface entre les deux sous-unités et matérialise la démarcation entre les sites A et P du ribosome (Figure 42). Une perturbation de la formation de ce pont interfère à la fois en agissant comme une barrière au passage de l’ARNt et en
155
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mouvements de translocation.163