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La paroi cellulaire de M. tuberculosis est constituée de trois couches distinctes :121 la membrane plasmique, le squelette qui est constitué d’un complexe covalent de peptidoglycane, d’arabinogalactane et d’acide mycolique et enfin la couche externe de type capsule qui est riche en polysaccharides et protéines.122

Les bactéries de la branche des Corynebacteriaceae produisent une paroi cellulaire entourant leur membrane plasmique ayant une structure unique, dite de chémotype IV, ayant à la fois des caractéristiques de bactéries Gram-positives et de bactéries Gram-négatives.122 La paroi cellulaire de M.

tuberculosis est formée d’un peptidoglycane constitué d’un polysaccharide basé sur la répétition d’un

hétérodimère de sucres qui est lié de manière transversale à des peptides de petite taille (Figure 37). Dans le cas de M. tuberculosis, le polysaccharide concerné est un polymère où la N-acétyl-β-D- glucosylamine (NAG) et de l’acide N-acétyl-muramique (NAM) sont successivement liés via des liaisons glycosidiques β(1,4). Quant au peptide, il s’agit d’un tétrapeptide, le L-alanyl-D-isoglutaminyl-méso- diaminopimélyl-D-alanine qui permet l’assemblage de deux polysaccharides via des liens peptidiques avec la fonction acide du NAM.123 Ce sont les chaînes tétrapeptidiques qui assurent la rigidité du peptidoglycane et donc des cellules bactériennes via l’interaction interpeptidique entre deux résidus acide méso-diaminopimélique (méso-DAP) ou entre un résidu acide méso-DAP et un résidu D-alanine (Figure 37).124

121 Rastogli, N., Frehel, C., David, H.L., Curr. Microbiol., 1986, 13, 237-242. 122

Brennan, P.J., Nikaido, H. Annu. Rev. Biochem. 1995, 64, 29-63.

123

Wietzerbin, J., Das, B.C., Petit, J.-F., Lederer, E., Leyh-Bouille, M., Ghuysen, J.-M. Biochemistry, 1974, 13, 3471- 3476.

124

Figure 37 : Structure du peptidoglycane.120

Par ailleurs, il est établi que 10 à 12 % des résidus NAM sont également substitués par des chaînes arabinogalactanes branchées,125 cette liaison s’effectuant via un lien phosphodiester en position 6 du résidu NAM (Schéma 38).126 Les arabinogalactanes sont des hétéropolysaccharides constitués d’une alternance d’arabinoses et de galactoses tous deux exclusivement sous forme furanose127 et leur arrangement présente certains motifs récurrents qui ont pu être mis en évidence.128 En effet, il a été ainsi observé que la chaîne galactane, colonne vertébrale de l’arabinogalactane, est un arrangement linéaire de 23 unités alternées de 5- et 6-β-D-galactoses. Sur chaque chaîne galactane, deux à trois chaînes arabinianes constituées de 23 résidus arabinoses se terminant par des clusters spécifiques de type hexaarabinofuranosyl. Il a également été démontré que deux tiers des clusters avaient leurs quatre arabinoses terminaux acylés par un résidu mycolique, les acides mycoliques étant des acides gras α-

125

Misaki, A., Seto, N., Azuma, I. J. Biochem., 1974, 76, 15-27.

126

McNeil, M., Daffe, M., Brennan, P.J. J. Biol. Chem., 1990, 265, 18200-18206.

127 Brennan, P.J. Tuberculosis, 2003, 83, 91-97. 128

Corynebacteriaceae.129

Figure 38 : Représentation de la structure chimique du complexe mycolyl-arabinogalactane-peptidoglycane.122

D’un point de vue structural, il est à noter que les acides mycoliques mycobactériens se distinguent des acides mycoliques des autres membres des Corynebacteriaceae par leur taille plus importante (entre 70 et 90 atomes de carbone) et par la taille de leur résidu α-alkyle (chaîne α) également plus importante (entre 20 et 26 atomes de carbone) ; on se réfère au résidu portant la fonction hydroxyle sous la dénomination de chaîne méro. Les acides mycoliques des mycobactéries sont également les plus fonctionnalisés, à la fois par des groupements polaires et apolaires (Figure 39).130 Ces modulations sont à l’origine de leur dénomination et sont exclusivement des doubles liaisons cis, des

129

McNeil, M., Daffe, M., Brennan, P.J. J. Biol. Chem., 1991, 266, 13217-13223.

130 Barry, C.E.3rd, Lee, R.E., Mdluli, K., Sampson, A.E., Schroeder, B.G., Slayden, R.A., Yuan, Y. Prog. Lipid Res.,

cyclopropanes cis, des doubles liaisons trans α-méthylées, des cyclopropanes trans α-méthylés, des résidus α-méthoxyméthyles (acides M-mycoliques), des résidus α-méthoxycétones (acides K- mycoliques), des α-méthoxyesters (acides WE-mycoliques) et des α-méthoxyépoxydes (acides E- mycoliques) (figure 39). Ces fonctionnalisations surviennent en deux points de la chaîne méro, la divisant grossièrement en tiers sauf dans le cas des chaines méro courtes (acides α‘-mycoliques) qui sont monofonctionalisées et dans le cas des chaînes ω-1-méthoxylés (acides ω-1-M-mycoliques) de souches à prolifération rapide qui sont fonctionnalisées trois fois. Les acides mycoliques les plus répandus sont les acides α-mycoliques dont la chaîne méro est fonctionnalisée par des doubles liaisons cis et/ou des résidus cyclopropyl cis. Chez M. tuberculosis, plus de 500 acides mycoliques différents ont été identifiés, dont uniquement des acides mycoliques de type α, M et K.130

Figure 39 : Exemples représentatifs d'acides mycoliques.130

Dans ce contexte, l’inhibition de la biosynthèse de chacun des constituants (acides mycoliques, arabinogalactanes, peptidoglycanes) du complexe mycolyl-arabinogalactane-peptidoglycane, considéré

témoignent les cinq composés suivants, actuellement utilisés en thérapeutique.

- Isoniazide (INH, 101) (CMI 0.15 µM vis-à-vis de H37Rv)131

Première molécule de synthèse à être utilisée pour soigner la tuberculose (1952)110, l’INH interfère avec la biosynthèse des acides mycoliques en ciblant l’InhA, une énoyl-ACP réductase essentielle à l’élongation des acides gras. D’un point de vue moléculaire, l’INH est une acylhydrazine de petite taille et de structure très simple.

L’INH est une pro-drogue nécessitant une étape préliminaire d’activation oxydante in vivo par la péroxydase KatG de M. tuberculosis (Figure 40). L’implication de KatG a été mise en évidence par l’observation de sa perte d’activité dans des souches résistantes à l’INH132 puis confirmée par des études génétiques.133 Le radical acyl formé se lie de manière covalente au cycle nicotinamide de la coenzyme NAD134 induisant dissociation du NAD de l’InhA, menant à l’arrêt de la synthèse des acides mycoliques puis à une lyse cellulaire.135

Figure 40 : Activation et action de l'INH.

- Ethionamide (ETH, 105) (CMI 1.5 µM vis-à-vis de H37Rv)131

L’ETH est un composé de synthèse découvert en 1956 pour ses propriétés antituberculeuses,136 très proche de l’INH à la fois par sa structure et par son mode d’action. En effet, après activation opérée dans ce cas par la monooxygénase EthA137, l’ETH se lie avec InhA et inhibe la biosynthèse des acides mycoliques selon le même

131

Rastogli, N., Labrousse, V., Goh, K.S. Curr. Microbiol., 1996, 33, 167-173.

132

Middlebbrook, G., Cohn, M.L., Schaefer, W.B., Am. Rev. Tuberc., 1954, 70, 852-872.

133 Zhang, Y., Heym, B., Allen, B., Young, Stewart, C. Nature, 1992, 358, 591-593. 134

a) Banerjee, A., Dubnau, E., Quemard, A., Balasubramanian, V., Um, K.S., Wilson, T., Collins, D., de Lisle, G., Jacobs, W.R.Jr. Science, 1994, 263, 227-230. b) Broussy, S., Bernardes-Genisson, V., Gornitzka, H., Bernardou, J., Meunier, B. Org. Biomol. Chem., 2005, 3, 666-669. c) Broussy, S., Bernardes-Genisson, Quémard, A., Meunier, B., Bernardou, J. J. Org. Chem., 2005, 70, 10502-10510.

135

Dessen, A., Quemard, A., Blanchard, J.S., Jacobs, W.R.Jr., Sacchettini, J.C. Science, 1995, 267, 1638-1641.

136 Liebermann, D., Moyeux, M., Rist, N., Grumbach, F. CR Hebd. Acad Sci., 1956, 242, 2409-2412. 137

processus que l’INH.134 L’ETH est complémentaire de l’INH, une résistance à l’INH n’induisant pas forcément de résistance à l’ETH.

- Ethambutol (EMB, 106) (CMI 2.4 µM vis-à-vis de H37Rv)131

L’EMB a été synthétisé en 1961 par la compagnie américaine Lederle Laboratories et rapporté pour ses propriétés antituberculeuses sur souches sensibles et résistantes à l’INH ainsi que pour sa faible toxicité.138, 139

L’EMB interfère avec la synthèse de l’arabinogalactane via l’inhibition de la polymérisation de l’arabinose en arabinane, donnant naissance à des chaînes tronquées dépourvues des clusters terminaux sur lesquels se fixent les acides mycoliques (Figure 38).140 L’utilisation d’EMB sur des souches sensibles entraîne une accumulation significative de décaprénylphosphoarabinose, un donneur d’arabinose impliqué dans la biosynthèse de l’arabinane.141 Il a donc été suggéré que le mode d’action de l’EMB reposait sur l’inhibition d’une arabinosyltransférase précisément responsable de la polymérisation de l’arabinose. Cette hypothèse est d’ailleurs renforcée par l’obtention de preuves génétiques et biochimiques ayant mis en évidence, dans des lignées de mutants résistants à l’EMB, des mutations sur les gènes EmbA et EmbB codant pour l’arabinosyltransférase concernée.142

- Cyclosérine (107) (CMI 150 µM vis-à-vis de H37Rv)131

La cyclosérine (107), analogue cyclique de la D-alanine, présentant des propriétés antibiotiques à large spectre, est un métabolite de Streptomyces orchidaceus découvert simultanément en 1955 par des chercheurs de Merck143a),c) et de Lilly143b).

Il a été établi que 107 interrompt la biosynthèse du peptidoglycane via l’inhibition des enzymes D-alanine racémase (AlrA) et D-alanine : D-alanine ligase (Ddl), deux enzymes respectivement impliquées dans l’isomérisation de la L-alanine en D-alanine et dans la formation d’un dipeptide de D-alanine essentiel à la formation d’un précurseur pentapeptidique du peptidoglycane.144

138

Wilkinson, R.G., Sheperd, R.G., Thomas, J.P., Baughan, C. J. Am. Chem. Soc., 1961, 83, 2212-2213.

139

Thomas, J.P., Baughn, C.O., Wilkinson, R.G., Sheperd, R.G. Am. Rev. Respir. Dis., 1961, 83, 891-893.

140

Mikusova, K., Slayden, R.A., Besra, G.S., Brennan, P.J. Antimicrob. Agents Chemother., 1995, 39, 2484-2489.

141

Wolucka, B.A., McNeil, M.R., de Hoffman, E., Chojnacki, T., Brennan, P.J. J. Biol. Chem., 1994, 269, 23328- 23335.

142

Belanger, A.E., Besra, G.S., Ford, M.E., Mikusova, K., Belisle, J.T., Brennan, P.J., Inamine, J.M. Proc. Natl. Acad.

Sci. USA, 1996, 93, 11919-11924.

143 a) Kuehl, F.A.Jr., Wolf, F.J., Peck, F.J., Trenner, N.J., Peck, R.L., Buhs, R.P., Howe, E., Putter, I., Hunnewell, B.D., Ormond, R., Downing, G., Lyons, J.E., Newstead, E., Chaiet, L., Folkers, K. J. Am. Chem. Soc., 1955, 77, 2344-2345.

b) Hidy, P.H., Hodge, E.B., Young, V.V., Harned, R.L., Brewer, G.A., Philips, W.F., Runge, W.F., Stavely, H.E.,

Pohland, A., Boaz, H., Sullivan, H.R. J. Am. Chem. Soc., 1955, 77, 2345-2346. c) Stammer, C.H., Wilson, A.N., Holly, F.W., Folkers, K. J. Am. Chem. Soc., 1955, 77, 2346-2347.

- Pyrazinamide (PZA, 108) (CMI < 50 µM)145

Depuis sa découverte en 1952 par Yeager et al.,146 l’utilisation du PZA a largement contribué au raccourcissement des traitements, particulièrement grâce à son action vis-à-vis de bacilles semi-dormants contre lesquels les autres drogues sont inefficaces.147

Bien que ciblant la paroi mycobactérienne, le PZA n’inhibe la synthèse d’aucun de ses constituants mais agit selon un mode d’action non conventionnel et encore mal compris. En effet, dans les conditions de cultures classiques, dans lesquelles le pH est neutre, le PZA n’est pas actif vis-à-vis de M. tuberculosis. Le PZA ne s’avère efficace que dans des conditions de pH acide correspondant aux conditions des processus inflammatoires caractéristiques des conditions de survie des bacilles semi- dormants.148

Il a toutefois été démontré que le PZA est en réalité une pro-drogue, qui se convertit en acide pyrazinoïque (109) sous l’action de l’enzyme pyrazinamidase (PZase) (Figure 41). Afin d’expliquer l’effet du PZA, Il est proposé que le PZA désénergise la membrane en abaissant les potentiels membranaires par accumulation de charges (protons) provenant de l’acide pyrazinoïque 109 généré.149 Les potentiels membranaires étant essentiels à la formation de l’ATP,150 leur diminution contribue alors à l’appauvrissement énergétique des bacilles et réduit in fine leur viabilité.

Figure 41 : Activation du PZA.

Par ailleurs, il a été montré que l’acide pyrazinoïque inhibait également de manière simultanée la synthèse de protéines et la synthèse d’ARN.149 En utilisant des composés radio-marqués, les auteurs ont pu démontrer que cet arrêt de la machinerie cellulaire était dû à une réduction très significative de l’entrée dans la cellule de méthionine et d’uracile indispensables à la synthèse de protéines et d’ARN.

144

Caceres, N.E. Harris, N.B, Wellehan, J.F., Feng, Z., Kapur, V., Barletta, R.G. J. Bacteriol., 1997, 179, 5046-5055.

145

Salfinger, M., Heifets, L.B. Antimicrob. Agents. Chemother., 1988, 32, 1002-1004.

146 Yeager, R.L., Munroe, W.G.C., Dessau, F.I. Am. Rev. Tuberc., 1952, 65, 523-546. 147

Zhang, Y., Mitchison, D. Int. J. Tuberc. Lung Dis., 2003, 7 (1), 6-21.

148

Zhang, Y., Scorpio, A., Nikaido, H., Sun, Z. J. Bacteriol., 1999, 181, 2044-2049.

149 Zhang, Y., Wade, M.M., Scorpio, A. Zhang, H., Sun, Z. J. Antimicrob. Chemother. 2003, 52, 790-795. 150