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ANTHONY, 23 ANS, ACCOMPAGNÉ PAR ORIZON, RIVES ET LE REFUGE

Dans le document L état du mal-logement en France 2022 (Page 90-93)

Anthony est un jeune homme de 23 ans, originaire de Ma-dagascar. En 2017, après avoir découvert son homosexua-lité, ses parents ont décidé de le renier : « Avant j’habitais chez mes parents, mais des personnes ont découvert que je suis gay et ils ont publié ma photo sur les réseaux sociaux.

Mes parents l’ont vu, et ils ont la tradition malgache, tout ça, la religion…, alors ils m’ont rejeté ».

Danseur dans une compagnie professionnelle, Anthony découvre l’île de La Réunion en 2019, et décide rapide-ment de s’y installer  : « Avec la compagnie, on a eu un contrat pour aller à La Réunion au mois d’octobre 2019.

Là-bas, je vois que les gens comme moi vivent bien, qu’ils sont heureux, que les efféminés ne se font pas insulter. On retourne à La Réunion avec la compagnie en novembre, avec un visa de 3 jours. Et là je commence à réfléchir, je me dis que je souffre à Madagascar, et je décide de rester ici ». 

Cependant, sans-papiers et sans repère, Anthony débute un long parcours d’errance à travers l’île : « J’ai commen-cé par dormir chez un ami, et après une autre dame m’a hébergé. Je ne disais pas que j’étais sans-papier, mais la dame a fini par comprendre ma situation et m’a dit de par-tir. Je ne connaissais personne. Je pensais à me suicider.

J’étais vraiment dans la merde. Je ne connaissais pas les démarches à faire. j’avais peur qu’on me rejette parce que je suis gay, parce que je n’avais pas mes papiers. (…) ça m’arrivait souvent que la journée je sois dehors sans rien faire. J’étais sur la route, des fois assis dans des parcs. Et j’avais pas d’argent du tout, alors parfois il y a des gens qui m’aidaient à manger. Des fois on me demandait de partir de là où je dormais, alors je demandais si c’était possible de me laisser une semaine de plus… »

En juin 2021, Anthony découvre l’existence de l’association Orizon, ce qui lui permet petit à petit de se reconstruire :

« C’est un ami à moi qui m’a parlé de l’association Orizon.

Ils m’ont aidé pour les papiers administratifs, pour faire la carte vitale. C’est avec eux que j’ai fait une demande pour être hébergé par l’association Le Refuge. Ils m’ont fait ren-contrer un médecin, et c’est grâce à eux et au médecin que j’ai pu avoir le statut d’étranger malade. (…) À Orizon j’y vais deux fois par mois, même plus. Je viens dès qu’il y a des activités, et puis je viens pour parler de mes papiers et de ma demande d’asile, ils m’aident avec l’avocat aussi ».

Depuis octobre 2021, il est hébergé par Rives : « Je suis dans un studio, tout seul, c’est meublé. Je m’y sens très bien. J’ai ma cuisine à moi, la douche, c’est tout propre. Je fais ma cuisine. C’est une bonne situation, en plus je suis seul. À Rives il y a deux assistantes sociales, un éducateur spéciali-sé pour le travail, deux infirmiers, et la tutrice. Il y a aussi un animateur. Il y a les studios et puis les bureaux. »

Anthony a aujourd’hui beaucoup de perspectives pour la suite de son parcours  : « Je veux faire des formations dans l’hôtellerie et être polyvalent. Je veux pouvoir faire la cuisine, la salle, le bar, tout. Je suis très motivé. (…) J’ai envie de vivre à la Réunion, j’ai envie de vivre en France. Je veux être citoyen, je veux travailler, je veux payer des im-pôts. Et j’ai envie de pouvoir aider d’autres personnes qui sont comme moi, malgache, gay, avec une maladie, dans la rue. »

ment pour tous les jeunes ASE qui n’entrent pas dans les circuits « classiques », c’est-à-dire qui ne peuvent pas bé-néficier de la prise en charge des contrats jeunes majeurs.

La plupart des jeunes qu’on accompagne ont fait un peu le tour des familles d’accueil et des foyers d’ASE de l’île…

Principalement, ce sont des jeunes hommes, et ils n’ont pas tous une reconnaissance d’un handicap ou d’une pa-thologie psychiatrique. L’une des raisons qui l’explique c’est leur âge : les diagnostics ne sont pas toujours posés.

Ils sont pour la plupart en rupture familiale, sont assez iso-lés, et pour eux l’insertion socioprofessionnelle est encore assez éloignée. On a aussi trois jeunes en « veille » pour lesquels il y a des situations d’incarcération. »

Après une prescription émanant des Maisons Départe-mentales de l’ASE, les jeunes accueillis sont entourés par quatre intervenants, soit deux temps plein effectifs. En-tretenant des partenariats avec la SEMADER, la SIDR et la SHLMR, les logements accueillant les jeunes sont captés en fonction des aspirations de ces derniers  : « On inter-vient sur tout le département, pas de sectorisation. En de-hors de l’Est qui est un territoire moins attractif que les autres, trouver des logements qui rentrent dans les bud-gets des personnes c’est compliqué, et ça le devient de plus en plus. Mais pour tout le public Allons Déor on n’ex-cède pas 400 euros de loyer. »

Après leur installation, les visites à domicile rythment avec l’accompagnement réalisé en direction des jeunes, comme en témoigne Alexis, accompagné par Allons Déor dans le cadre du dispositif Kaz Départ depuis 2020  : « Il y a des visites assez régulièrement, pour voir si ça va bien dans le logement et tout. ». Ce dernier, originaire de la commune de Trois-Bassins, a croisé la route d’Allons Déor durant le premier confinement, et alors qu’il bénéficiait d’un héber-gement au sein du Centre Gabriel Martin, dans le cadre de la Mise à l’Abri Généralisée (MAG).

Placé par les services de l’ASE à l’âge de 6 ans, le jeune homme de 23 ans a multiplié les passages en foyer et fa-mille d’accueil, avant de tenter un retour au domicile fami-lial à ses 17 ans qui se soldera par un échec, et qui marquera le début de son parcours d’errance : « j’ai fait les démarches pour retourner chez ma mère à 17 ans, mais je suis resté vite fait car mon Tipèr voulait que je paye un loyer, et comme je pouvais pas et il m’a mis dehors. Au début je dormais à

la rue, dans les arrêts de bus principalement, jusqu’au jour où j’ai trouvé une petite baraque que j’ai forcée, c’était une maison abandonnée à Trois-Bassins. Là j’avais 18 ans. Juste avant j’avais quand même eu l’occasion de dormir chez plusieurs de mes frères mais c’était temporairement, il n’y avait pas possibilité de rester car leur logement était trop petit pour m’accueillir et je me sentais gêné... J’avais aussi déjà essayé de téléphoner au 115 mais avec les horaires et la localisation ça n’allait jamais. (…) À la rue j’occupais mon temps comme je pouvais, je trouvais des cours à nettoyer au black, sinon je travaillais aussi un peu pour un pâtissier, qui me payait en nourriture, car sinon j’étais obligé de vo-ler pour manger. J’ai passé 1 ou 2 ans dans cette baraque abandonnée. »

Bénéficiant de l’AAH, le jeune homme a pu intégrer un logement autonome en 2020 grâce à l’accompagnement entrepris par Allons Déor « Ça fait deux ans que je connais Allons Déor, et dans ce logement je suis depuis 2 ans aussi.

C’est Kaz Départ qui m’a orienté et qui a préparé mes papiers. Ici le montant total du loyer c’est 355 euros. J’ai des aides au logement de 152 euros. (…) Au moment où je suis arrivé ici, j’ai été ému, c’était beaucoup par rapport à la situation que je venais de quitter : la galère. Je ne dis pas qu’aujourd’hui je suis sauvé, mais c’est déjà un très grand pas. Quand on m’a dit que j’allais avoir un logement, je pensais à un truc restreint, et j’ai été très surpris et très satisfait. » 

En 2023, le dispositif devrait être prolongé et renforcé pour devenir « Un Chez Soi d’Abord Jeune », et concernera aus-si les jeunes n’ayant pas connu l’ASE. « On a une réunion prévue avec le Département, et on devrait être prolongé jusqu’à 2023. Après 2023, il y aura une pérennisation, mais pas dans le même format. La plus-value évidente ce sera qu’on ne se focalise pas uniquement sur un public ASE. On adhère à la philosophie du Logement d’abord : sécuriser le parcours du jeune et ne pas faire de sortie sèche. »   À l’occasion du développement de Kaz Départ, Allons Déor compte intégrer les fonctions de psychologue et de psy-chiatre à l’équipe, à l’instar du modèle Un Chez Soi D’Abord dans lequel il s’inscrit. Bien que très récent sur l’île, le pro-jet est déjà très largement connu et sollicité par une majo-rité des acteurs sociaux, témoignant d’importants besoins.

Une difficulté demeure cependant dans l’accès à ces dispo-sitifs dédiés (les ACT en particulier), conditionné à une re-connaissance MDPH ou, a minima, à une maladie diagnos-tiquée. Or le diagnostic suppose de réaliser un important travail d’« aller vers » et de mise en confiance, tout parti-culièrement avec les jeunes, puis de relais avec les acteurs du champ sanitaire. Dans de nombreux cas, cela prend du temps, un temps parfois très long pour des jeunes qui sont déjà en situation de rupture familiale, voire institutionnelle.

Pour ces jeunes, il est nécessaire de renforcer les pratiques d’aller vers et d’accélérer l’accès aux soins. Cela nécessite une souplesse d’intervention et la recherche de solutions d’hébergement qui permettent de stabiliser la situation.

« Allons Déor, avec le dispositif Kaz Départ, ne prend en charge qu’après qu’il y ait eu une reconnaissance de la MDPH ou un diagnostic psychiatrique. C’est la seule struc-ture qui propose ce type d’offre à la Réunion, mais en termes de délai c’est très difficile. Pour plein de jeunes, on n’a pas encore le repérage du trouble, on est initiateur des prémisses d’une évaluation et d’un accompagnement santé, mais le temps que tout se pose, on ne peut pas rentrer dans une évaluation. On espère que bientôt ça ira plus vite parce que leurs orientations vont aussi passer par le SIAO. » (acteur associatif)

De la rue au logement : passer de l’expérimen-tation à la pérennisation

Au-delà des problématiques liées aux troubles psychiques, de nombreux jeunes aujourd’hui accueillis dans les dispositifs existants cumulent les difficultés : des problèmes d’ouverture des droits, de santé, d’instabilité affective, d’isolement, avec des difficultés à s’inscrire dans des parcours d’insertion. Or les moyens d’accompagnement prévus, notamment dans le cadre de l’ALT, sont clairement insuffisamment longs et sou-tenants pour permettre à ces jeunes des sorties positives de ces dispositifs. Pour y remédier, certains mettent en œuvre des moyens supplémentaires, en étant parfois « en dehors des clous » des dispositifs et en se mettant en difficulté.

Entre 2013 et 2016, l’AJMD a ainsi porté l’expérimenta-tion du dispositif « Ti Kaz A Nou » qui visait à accom-pagner un public jeune désocialisé rencontrant une plura-lité de difficultés (sociales, économiques, familiales, santé, logement), financé par l’État et la Fondation Abbé Pierre à

l’origine. Sept jeunes étaient accueillis dans une maison au sein de laquelle ils bénéficiaient de la présence d’un éduca-teur spécialisé qui vivait sur place. Il n’était pas demandé de contrepartie financière, en revanche un système de loyer à points avait été mis en place. Les jeunes gagnaient des points en participant aux tâches ménagères ou au jardin, en réali-sant du bénévolat pour des associations. Même si le dispo-sitif était pensé comme un logement de transition vers du logement pérenne, la durée d’accompagnement n’était pas prédéfinie et les jeunes ne quittait le dispositif que lorsqu’ils le souhaitaient. Outre des postes de travailleurs sociaux, les financements permettaient l’animation d’ateliers (activités sportives, culturelles, prévention et sensibilisation, gestion budgétaire...). Après le retrait de l’État et de la Fondation Abbé Pierre, l’association a poursuivi l’expérimentation jusqu’en 2018 grâce au FSE.

« Les cases du FSE ne sont pas adaptées au social. Chez nous c’était un accompagnement sans limite de durée, et chez eux c’était un accompagnement de 1 an. Donc tous les ans il fallait sortir le jeune du logiciel et le remettre dedans. » (acteur associatif)

Le dispositif s’est clôturé en 2018 : les difficultés engendrées par le financement FSE ont conduit l’AJMD à transformer les 7 places de Ti Kaz A Nou en places d’ALT, tout en main-tenant autant que possible les modalités d’intervention ex-périmentées.

« On avait les mêmes publics sur Ti Kaz A Nou et sur l’ALT, je ne voyais pas pourquoi mettre autant de fonds pour Ti Kaz A Nou alors que tous nos jeunes avaient besoin de ça.

On a négocié avec l’État pour que les fonds qu’ils investissaient dans le projet soient redirigés vers l’ALT. Ca nous a permis de stabiliser des postes de travailleurs sociaux, et de faire de l’animation. Mais on est hors cadre de l’ALT. Si on ne le fait pas, qui va le faire ? » (acteur associatif)

C’est aussi faute de moyens adaptés et à cause de la complexité des dispositifs existants qu’est né le pro-jet de la résidence Hermès implantée à Saint-Be-noît. Pour répondre aux besoins des jeunes les plus ex-clus, ayant parfois connu des passages à la rue, la Mission Locale Est a fait le choix, soutenu par la DEETS, d’expéri-menter l’ouverture dès 2020 d’une Maison Relais à Saint-Benoît dédiée au public jeune. De prime abord, ce dispositif

l’origine pour le public isolé, comme un lieu de vie de stabilisation du parcours résidentiel en accédant à un « logement adapté », sans durée maximum d’accompagnement. Autrement dit, les personnes ont un logement personnel, c’est leur « chez soi », il n’y a pas d’objectif de relogement.

« La Maison Relais ce n’est pas pour un public jeune. C’est pour les personnes ayant eu un long parcours d’errance avec l’idée de pouvoir se poser. Mais au national on a rencontré deux ou trois Maison Relais jeunes, où l’idée c’est que c’est du logement temporaire. Ça nous interroge de comprendre ce qui a généré ça, sans doute un enjeu écono-mique. » (acteur institutionnel)

« La Maison Relais pour nous c’est du logement donc je ne vois pas pourquoi les gens sortent. Il y a eu une question de financement qui est à l’origine du projet, mais aussi un énorme blocage politique sur les FJT dans les communes.

Pour être honnête ça n’a de Maison Relais que le vocable et le financement. » (acteur institutionnel)

Une évaluation partenariale de ce projet expéri-mental est nécessaire, sans pour autant remettre en question la qualité du travail social effectué ni l’in-térêt de rechercher des réponses alternatives pour le logement des jeunes en difficulté. De surcroît, si la logique d’accompagnement global sur l’accès à un logement et à un emploi est intéressante, il n’en demeure pas moins qu’un titre d’occupation temporaire d’un logement ne peut être lié à la signature d’un contrat dans le cadre du chan-tier d’insertion proposé par la Mission Locale. Ce montage témoigne aussi des difficultés à trouver des financements-qui permettent aux structures de proposer aux jeunes un accompagnement, et un accès au logement avec une durée d’occupation suffisamment longue pour leur assurer une in-sertion sociale et professionnelle durable. Ainsi, l’évaluation permettrait d’en tirer des enseignements et de déterminer de nouvelles orientations, notamment pour :

• sortir du cadre de la Maisons Relais et s’inscrire davan-tage vers celui de la « résidence sociale » qui semble plus adaptée à la nature du projet social.

• respecter des aspects réglementaires le cas échéant (ex : un contrat d’occupation temporaire qui n’est pas condi-tionné à un contrat dans le chantier d’insertion) ;

• pérenniser le financement de la résidence sur les lignes de crédits adéquats. En parallèle, les crédits utilisés ac-tuellement par la Résidence Hermès pourrait être réaf-fecté à la création d’une véritable Maison Relais au regard des besoins non couverts sur le reste du territoire.

LA RÉSIDENCE HERMÈS :

Dans le document L état du mal-logement en France 2022 (Page 90-93)