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Antécédents individuels du harcèlement moral

CHAPITRE I PHÉNOMÈNE DU HARCÈLEMENT MORAL

1.5 ANTECEDENTS DU HARCELEMENT MORAL

1.5.1 Antécédents individuels du harcèlement moral

Jauvin et al. (1999) proposent de repartir les facteurs individuels déterminant une agression humaine en quatre groupes : 1) les caractéristiques biologiques (ex.: l’âge, le sexe), 2) le style de vie (ex.: la consommation d’alcool ou de drogues) et 3) les caractéristiques psychologiques (ex.: la personnalité, la confiance en soi, l’optimisme, etc.) et 4) les stratégies de défense et d’adaptation (ex.: le soutien social, le déni, etc.).

1.5.1.1 Thèses expliquant la prédisposition à être agresseur

Quant à la perspective biologique

Les adeptes d’approche biologique défendent une idée d’après laquelle la violence c’est un résultat du processus complexe du cerveau et l’agressivité est innée. Ils examinent le rôle des hormones, des caractéristiques héréditaires, le tempérament de la personne, son style de vie pour expliquer les causes d’un acte violent. Par exemple, pour expliquer l’agressivité chez les individus du sexe masculin, Darwin met au premier plan sa théorie de sélection naturelle, d’après laquelle l’homme se bat d’avantage parce que son corps s’est adapté mieux au cours de l’évolution que celui de femme pour combattre un adversaire. De même, la victimisation des femmes s’explique par leur caractère affectif et la dominance des émotions négatives, telles que la peur, les pleurs dans des situations frustrantes (Garcia, Hacourt, et Bara, 2005). Bien qu’on ne puisse pas appliquer les théories de perspective biologique pour expliquer le harcèlement moral au lieu de travail, on pourrait quand même en tirer des explications des actes violents.

Quant à la perspective psychologique

Quant au rôle de la personnalité de type A

La personnalité de type A est un modèle de comportement qui se réfère à la combinaison de caractéristiques personnelles telles que : le désir persistant de reconnaissance, de promotion et de niveau élevé de compétitivité. L’interaction de ces facteurs endogènes avec l’environnement accélère tous les processus mentaux et physiques et impacte le besoin d’accélérer en permanence le rythme de son travail. Le grand nombre de preuves indique que les individus avec le comportement de type « A » participent souvent à des conflits

63 interpersonnels pour des raisons d’impatience et d’irritabilité (Rosenman et Friedman, 1961). En effet, ils considèrent souvent les autres comme une source de retard dans leur travail. Les personnes avec le comportement de type « A » préfèrent travailler seuls, et quand ils doivent travailler avec les autres, ils souhaitent vivement contrôler la situation. Enfin, à force de s’énerver régulièrement ils démontrent souvent le niveau d'agression plus élevé.

Un autre facteur qui rend les personnes plus enclines à s’engager dans les conflits est une auto-régulation. Les individus avec une forte sensibilité sociale et un fort sentiment de préoccupation par les réactions des proches sont moins prédisposés à participer aux conflits interpersonnels (Baron, 1989).

Une expérience négative et des souvenirs y associés sont aussi à l’origine de réponses agressives (Anderson et Bushman, 2002). Un affect négatif (une mauvaise humeur, une tension physiologique) peut évoquer des sentiments désagréables. Ceux-ci, à leur tour, peuvent entraîner une irritation, un agacement, une colère et vice versa. Les traits personnels, les souvenirs et les sentiments peuvent déterminer le type de réaction humaine. Ainsi, la perception du problème va dépendre de l’intensité des événements confrontés et de caractéristiques personnelles, en fonction desquelles la personne va formuler sa réponse.

La réponse agressive peut dépendre également de l’évaluation cognitive de la situation. Suite à une stimulation interne, un individu va essayer d’identifier sa raison. Cette évaluation peut amener à une réponse injuste. Cela est particulièrement le cas dans des situations ambiguës. Cette évaluation vise à déterminer la nature intentionnelle ou accidentelle de l’événement, le regret et des excuses fournis, ce qui implique soit la diminution soit l’accroissement de la probabilité d’une réponse agressive (Neuman et Baron, 1998).

Quant au rôle de l’estime de soi…

Plusieurs chercheurs déclarent que la protection de l’estime de soi est un besoin qui prédétermine le comportement humain dans plusieurs situations sociales. L’estime de soi peut être comprise comme une évaluation globale favorable de soi-même. Dans toute interaction sociale, la reconnaissance mutuelle du statut de l’opposant est un élément clé. Le dialogue se passe bien quand les partenaires reconnaissent et respectent la position et le statut de son partenaire, ce qui sous-entend que les processus de l’évaluation de soi-même et d’autrui sont convergents. Le conflit entre les parties est un résultat de divergence d’opinions. Baumeister,

64 Smart, et Boden (1996) suggèrent, que l’estime de soi élevée est liée à la violence et au comportement agressif. Les personnes modestes, avec une estime de soi faible, démontrent des réactions dépressives, et n’osent pas violer les normes sociales puisqu’elles ne sont pas sûres de gagner la compétition. À contrario, les réponses agressives résultent d’une menace de l’estime de soi élevée. Autrement, c’est une auto-évaluation interne favorable qui rencontre une évaluation externe défavorable. Quand les opinions externes mettent en doute une évaluation de soi-même favorable, la personne en question peut agresser. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de la mise en péril de l’estime d’une personne incertaine, dépendante de l’opinion publique, d’une personne croyant à sa supériorité, arrogante, narcissique, égoïste et autoritaire.

Quant au profil narcissique…

Stucke (2002) cité par Stale Einarsen et al. (2010) affirme que le comportement agressif est observé chez les personnes narcissiques avec une estime de soi instable. Cependant, ces individus vont essayer de stabiliser leur estime de soi élevée mais instable en traitant négativement les autres personnes de son entourage. Marie-France Hirigoyen (1998) opte pour la même hypothèse. Elle entend par le harcèlement moral toute conduite abusive venant d’une personne perverse narcissique. Une personne perverse est décrite comme un individu ne se préoccupant que de lui-même, n’ayant aucune empathie envers son entourage. Ce sont des personnes, qui étaient elles-mêmes stigmatisées dans le passé et qui se déchargent sur les plus faibles afin de valoriser leur propre personnalité. Elles le font spontanément et naturellement, puisqu’il n’existe aucune autre façon de communication qui leur fait plaisir. Ces individus ne connaissent pas de sentiment de respect ni de tolérance, nient toutes les émotions et agissent selon la raison. Ils se chargent de souffrances et de malheur, n’ayant, en revanche, aucun sentiment de responsabilité. Agresser les autres gratuitement c’est un moyen d’éviter la tristesse, la dépression et l’insatisfaction de la vie.

Quant au rôle des émotions négatives…

Einarsen, Raknes, et Matthiesen (1994) ont constaté que des nombreuses victimes perçoivent l’envie/la jalousie comme une des raisons principales pour lesquelles elles ont été harcelées. L’envie se forme lorsque quelqu’un possède un objet souhaité par une personne envieuse. Cela implique le sentiment d’infériorité ressenti par la personne envieuse. L’envie mène à l’hostilité quand la personne envieuse garde une estime de soi élevée et considère

65 qu’elle mérite quoi qu’il arrive un objet souhaité. Dans ce cas-là, la possession de l’objet désiré par une autre personne est vue comme injuste et peut inciter un comportement violent. En revanche, si l’agresseur accepte sa position inférieure, l’agression ne se produira pas. Ainsi, la réponse affective dépend encore une fois de l’auto-évaluation. De même, certaines formes d’émotions négatives, comme la frustration peuvent provoquer des réactions agressives (Berkowitz, 1989; Baumeister, Smart, et Bodenn, 1996). En résumé, le harcèlement peut être expliqué comme un mécanisme d'autoréglementation de protection de l’estime de soi.

Quant au besoin de supériorité…

L’ensemble de théories en psychologie individuelle explique que le comportement dysfonctionnel d’individu est conditionné par l’impossibilité de satisfaire le besoin d’appartenance. Cette lacune conduit la personne à se comporter avec les membres de l’organisation comme avec des êtres inférieurs, se valorisant ainsi au détriment des autres (Dreikurs, (1971) cité par Astrauskaite, Kern, et Notelaers (2014).

Une autre étude expliquant la violence conjugale a confirmé que les femmes exerçant une activité professionnelle sont attaquées par leurs conjoints plus souvent que les femmes au foyer, probablement en raison d'incohérence des statuts, car une femme qui reste à la maison ne menace pas implicitement le statut supérieur de son mari, Hornung, McCullough, et Sugimoto (1981), cités dans Baumeister, Smart, et Boden (1996).

Quant à la perspective sociale

Rôle de la famille/ du groupe

Un des besoins primordiaux de l’être humain est celui d’appartenance. Maslow (1943) le place au troisième niveau dans sa célèbre pyramide. Adler (1964) présente le concept d’intérêt social qui peut être défini comme « une mesure dans laquelle un individu remplit son

besoin d'appartenance pour le bien commun ». L'intérêt social se reflète dans les attitudes et

les comportements d'aider, de coopérer et d’encourager les autres. Ainsi, le développement de l'appartenance et de l'intérêt social dans la famille conduit à la capacité d'établir des relations sociales saines et à la réussite des tâches sociales et professionnelles. Conformément à cette hypothèse, le manque d'appartenance menace une estime de soi. Dans telles circonstances stressantes la personne se sentira inférieure, ce qui pourrait conduire à une évaluation erronée de son l'environnement (Astrauskaite, Kern, et Notelaers, 2014). Analysant les relations entre

66 les groupes, Sherif (1958) arrive à la même conclusion, supposant que certaines personnes grandissant dans les circonstances de vie malheureuses peuvent devenir plus intenses dans leurs préjugés et leur hostilité.

Quant à la perspective psychosociale

Quant au rôle du style de vie dans les incidents du harcèlement moral

Selon Adler, cité par Astrauskaite, Kern, et Notelaers (2014) l’individu ne peut pas être séparé du système sociale. Ainsi, la personnalité et le style de vie sont des produits du contexte social. L’individu se sert des croyances et des valeurs, assimilées dans l’enfance pour résoudre les problèmes au travail, avec la société et dans la vie personnelle. Le processus de formation de ces croyances et des valeurs peut être réussi ou défectueux. Par exemple, le sentiment d’infériorité, de négligence ou d’échec du besoin d’appartenance peut être compensé par les tentatives destructives d’occuper une place importante dans la société. Dans ce scénario, la personne va jouer le rôle de l'instigateur ou de l’agresseur. Avec cette expérience négative et erronée la personne verra le monde décourageant et hostile, où elle se sentira victime de l'environnement.

En se basant sur les recherches empiriques, Astrauskaite, Kern, et Notelaers (2014) proposent que non seulement les agresseurs, mais aussi les victimes expriment la méfiance, le manque d’appartenance. En outre, les auteurs optent pour une hypothèse d’existence de victimes provocatrices, qui semblent se présenter comme des victimes d’agression, mais en réalité peuvent délibérément ou inconsciemment viser à obtenir un statut supérieur afin de compenser leur sentiment d'infériorité.

Quant à la perspective organisationnelle

Certains cas du harcèlement sont les résultats de micro-politique établie dans les organisations, caractérisée par la mauvaise structure organisationnelle et le processus organisationnel mal défini. Par exemple, les lacunes dans la structure formelle obligent des fois certains membres d’organisation dépourvus de responsabilité à participer à la prise de décisions stratégiques. Cette situation peut leur offrir un statut privilégié et le pouvoir d’influence aboutissant parfois à l’abus du pouvoir. Dans les circonstances de chaos organisationnel, il n’est pas rare que les membres se battent pour protéger leur statut organisationnel et l’estime de soi, évoquée ci-dessus (Zapf et Einarsen par Einarsen et al.,

67 2010).

1.5.1.2 Thèses expliquant la vulnérabilité individuelle associée au

harcèlement moral

La prédisposition de personne à la victimisation s’explique par plusieurs hypothèses. Dans une étude qualitative Baillien et al. (2009) spécifient que la victime est une personne faible, intolérante et timide. Les recherches montrent que certaines victimes d’intimidation au travail sont plus névrotiques, plus sensibles et expriment le niveau de colère plus élevé (Balducci, Cecchin, et Fraccaroli, 2012).

En ce qui concerne les variables sociodémographiques, plusieurs études font preuve que les jeunes travailleurs sont plus vulnérables en termes de harcèlement (Bué et al., 2008; De Cuyper et al., 2009; Demir et Rodwell, 2012; Reknes et al., 2013). Les personnes entre 16 et 24 (12,4%) ans et 35-44 ans (11,5%) sont plus disposées au risque d’être harcelées. Ce risque décroît avec l’âge pour aboutir à 8,1% pour les personnes de plus de 55 ans (Hoel et Cooper, 2000; Hacourt et Thomaz, 2005).

Quant au sexe de victimes, les femmes nous sont apparues comme particulièrement vulnérables au comportement de harcèlement. Les travaux dévoilent à plusieurs reprises que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer une expérience de comportement hostile (Cole et al., 1997) : 18% des femmes contre 16,8% des hommes (Bué et al., 2008); 5,55% contre 4,47% (Carnero, Martinez, et Sanchez-Mangas, 2010); 27% contre 22% (Hoel et Cooper, 2000); 66% contre 26% (Quine, 2001); 1,9% contre 0% (Salin, 2001) et 12,6% contre 12,4% (Seo, 2013).

1.5.2 Antécédents situationnels et organisationnels du harcèlement