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171 . De très bons antécédents favorisent parfois l'indulgence du général et le cas devient particulièrement révélateur lorsque le prévenu est poursuivi pour des fautes contre le

service. En 1908, alors que le rapporteur et le commissaire du Gouvernement auprès du

conseil de guerre d'Orléans

172

demandent une mise en jugement, Georges Ménétrier,

cavalier au 7} régiment de dragons, poursuivi pour abandon de poste, bénéficie d'un

non-lieu, dans la mesure où l'instruction montre que ses antécédents sont « excellents ».

Le général Millet commandant la V

e

région de corps d'armée opte alors pour « une

punition disciplinaire (...) suffisante »

173

, jugeant sans doute inutile d'exposer un bon

soldat à une peine disproportionnée ou d'engorger les conseils de guerre. Toujours en

1908, il en est de même pour André Masson, cavalier au 4 } régiment de hussards,

poursuivi pour désertion à l'intérieur

174

ou pour Marius Bourgeois, dont le général fixe

169

Nous aurons l'occasion de revenir plus tard, notamment lorsque nous aborderons la question du traitement de la récidive, sur le fait que les verdicts sont tout autant fondés sur le parcours des prévenus que sur les faits. La (ré)activation de la mémoire judiciaire et disciplinaire est en effet au coeur du fonctionnement de la justice militaire.

170

Période pendant laquelle il n'avait toutefois pas cessé de porter l'uniforme.

171 Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R356, dossier d'Albert Roy, conclusions du commissaire du Gouvernement, (pièce n°21).

172

Sur ce point, voir la note 111.

173 Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R360, dossier de Georges Ménétrier, ordonnance de non-lieu (pièce n°29).

174

Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R360, dossier d'André Masson, ordonnance de non-lieu (pièce n°26).

lui-même la peine à « 60 jours de prison dont 8 de cellule pour absence illégale »

175

.

Le fait que le prévenu soit un gradé aboutit à une prise en compte différente de

sa situation. Pouvant se manifester dans les affaires de violences exercées par les

supérieurs à l'encontre de leurs subordonnés

176

, il prend un caractère plus singulier dans

d'autres cas. Le lieutenant D., du 69} régiment territorial

177

, est accusé en 1878 d'attentat

à la pudeur avec violences sur Pauline L., 14 ans, vivant sous son toit avec sa maîtresse

Mme Lespinasse

178

.

« M. D., propriétaire de la maison, que nous occupons, et qui y demeure, m'a saisie et entraînée dessous l'escalier, là il a passé sa main sous mes jupons, m'a fait des attouchements, puis a introduit ses doigts dans mes parties, ce qui m'a fait mal. En ce moment j'ai crié plus fort ; M. D. m'a alors emportée sous son bras, dans sa cuisine, puis m'empêchant de crier, me mettant la main sur la bouche, il a recommencé à me faire ce qu'il m'avait fait sous l'escalier. J'ai eu beau me débattre et lui donner des coups d'ombrelle, rien n'y a fait ; heureusement que sa mère, qui avait entendu sans doute mes premiers cris, est sortie du salon : M. D. a eu peur alors et il m'a laissée. Je suis montée immédiatement, toute saisie et en pleurs, raconter à ma maîtresse ce qui venait de m'arriver »179.

175

Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R360, dossier de Marius Bourgeois, conclusions du commissaire du Gouvernement (pièce n°25).

Cette peine correspond à la peine disciplinaire maximale qui peut être infligée. Aussi peut-on se demander si cette décision, écrite de la main du général Millet sur la feuille de conclusions du commissaire du Gouvernement, révèle encore une fois une volonté de désengorger les conseils de guerre et/ou le souci, face aux possibilités de sursis ou même d'acquittement, de s'assurer d'une peine effective, dans la mesure où Bourgeois a déjà reçu trois punitions pour absence illégale comme l'indique son relevé de punitions (pièce n°10).

176 Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R347, dossier d'Isaac Tual.

Le non-lieu dont bénéficie le maréchal des logis Isaac Tual en 1875 témoigne de la relative indulgence avec laquelle sont considérées, du point de vue judiciaire, les manifestations de la violence (ici alcoolisée) des petits chefs contre leurs inférieurs. Ce maréchal des logis est en effet poursuivi en 1875 pour rebellion envers la force armée et avoir frappé un de ses inférieurs hors le cas de légitime défense. La lecture des procès verbaux d'interrogatoires des témoins et des acteurs confirme les faits tandis que celle du relevé des punitions atteste de plusieurs punitions les semaines précédentes pour des faits de violences ou d'ivresse au sein du corps. Quoiqu'il en soit, dans une ordonnance de non-lieu contraire aux avis des rapporteur et commissaire du gouvernment, l'état d'ivresse du maréchal des logis Tual au moment des faits est visiblement considérée comme une circonstance minimisant sa responsabilité et justifiant qu'il soit, aux yeux du général, « digne d'indulgence ». Soucieux de garantir la nécessaire exemplarité au sein du régiment, Isaac Tual est néanmoins cassé de son grade et remis canonnier de 2} classe dans le même régiment.

177

Il est âgé de 37 ans au moment des faits. 178

À noter que la plainte est déposée à l'instigation du directeur de la manufacture avec qui est lié M. Lespinasse, absent pour raisons professionnelles, au moment des faits. Cette délicate affaire met donc en situation des acteurs issus de couches sociales plutôt élevées que les autorités s'attachent évidemment à ne pas froisser. Aussi Mme Lespinasse, épouse d'un capitaine d'artillerie, est-elle présentée comme « digne de la plus haute considération et du plus profond respect. Sa parole ne peut être mise en doute. Je considère que sa déclaration verbale d'abord, puis écrite, est l'exacte vérité, seulement elle ne fait que reproduire la version de la fille B. ». Soulignons que, de son côté, la mère de Pauline ne souhaite pas donner suite à l'affaire.

Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R348, dossier de Louis D., lettre du procureur de la République au commissaire du Gouvernement et procès-verbal d'interrogatoire de Mme Lespinasse (pièces n°4 et 11).

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Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R348, dossier de Louis D., déclaration de Pauline B. au procureur de la République (pièce n°3).

Les propos de la jeune fille sont évidemment rejetés par Louis D. qui, entendu dans la

foulée, nie les faits. Il affirme que, le soir du 25 juin, fatigué par son service, il allait se

coucher vers 21 heures quand il croisa la jeune fille. Pour répondre à son bonsoir dans

le corridor, il lui aurait conseillé d'aller se coucher avec un geste sur l'épaule. Arrivée à

la dixième marche, la jeune fille se serait mise à pleurer, ce qui aurait incité Mme D. (la

mère de l'accusé) à sortir du salon. Il ajoute ne pas s'« expliquer cette dénonciation (…)

[et avoir] pensé à du chantage »

180

. On procède à une enquête de moralité, des

renseignements sont pris sur chacun des protagonistes, puis transmis par le parquet.

Pauline y est dépeinte comme « une jeune fille légère, se laissant facilement courtiser

(…), très familière et, suivant une expression vulgaire, mal embouchée ». Tout ceci

sans qu'« aucun fait d'immoralité » ne soit cependant relevé... et bien sûr sans

qu'aucune preuve ne soit apportée... Le commissaire de police dépeint une jeune fille

immorale et calculatrice ayant déjà eu « des relations avec des militaires sous prétexte

de se marier. Sa conduite est légère et prête beaucoup à la critique »

181

. Quant au

lieutenant D., il y est présenté d'une moralité « le plaçant à l'abri de tout soupçon »,

appartenant « à une famille honorable », et semblant affectionner particulièrement la

vie de famille

182

. La remise en cause de la moralité de Pauline est au coeur de la

stratégie de défense de D.. L'immoralité de Pauline est d'abord liée, selon lui, à son

appartenance à une famille de « gens tarés, indélicats et de mauvaise réputation »

183

,

de Pauline, est, quant à elle, venue faire une déclaration la veille (le 26 juin) au même lieu.

180 Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R348, dossier de Louis D., déclaration de Pauline B. au procureur de la République (pièce n°3).

S'en suit une confrontation entre Pauline L. et Louis D., confrontation lors de laquelle ce dernier répète sa version. La jeune fille conteste les propos du lieutenant, ajoutant même que lorsque M. D. l'emportait dans la cuisine, « il s'est déboutonné, a levé sa chemise et m'a dit : ''Il faut commencer par le derrière avant le devant'' ».

181 Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R348, dossier de Louis D., rapport du commissaire de police de Châtellerault au juge d'instruction (pièce n°8).

Rien n'indique la nature de ces relations. Le commissaire qualifie par contre d'« intimes » celles que sa soeur entretient, elle, avec les militaires et ce, depuis ses 14 ans. Le parallèle sur l'âge est ici évident. La figure de la calculatrice va aussi dans le sens de la thèse du chantage défendue par le lieutenant D..

182 Le commissaire de police relate aussi le témoignage « d'une personne honorable » selon laquelle le lieutenant D. n'aurait pu commettre la faute dont il est inculpé autrement que sous l'effet de l'alcool. Cette même personne indique que le lieutenant D. a assisté le 25 juin au soir à un dîner donné par les officiers de l'armée territoriale. Si l'ivresse est clairement présentée ici comme une circonstance atténuante, il est à noter que D. nie pendant toute l'affaire avoir participé à ce dîner.

183

Archives départementales d'Indre-et-Loire, 2R348, dossier de Louis D., procès-verbal d'interrogatoire de Louis D. (pièce n°10).

Ces propos sur la famille de Pauline sont contredits par les renseignements pris par la police (pièces n°4 et 8 du dossier) qui parlent de gens d'une « bonne réputation ». Son père est décrit comme travailleur, ayant une bonne conduite malgré son implication, quelques années plus tôt, dans une affaire de vol de vin.

de rang social peu élevé auquel il oppose implicitement sa situation et ses soutiens