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Annexe — Épreuves écrites : un exemple d’une bonne copie

Dans le document RAPPORT SUR LE CONCOURS 2017 (Page 120-123)

6. FRANÇAIS

6.4. Annexe — Épreuves écrites : un exemple d’une bonne copie

Cette copie, satisfaisante dans la forme a, sans être parfaite, honnêtement tenté de répondre aux questionnements soulevés par le sujet dans la limite du temps imparti, en utilisant les œuvres du programme. Elle a obtenu la note de 15.

La philosophe Simone Weil expliquait que les personnes soumises et asservies semblaient être persuadées de leur infériorité. Le pouvoir reposerait donc sur cette « infériorité mystérieuse » des personnes asservies. Maurice Merleau-Ponty, dans Note sur Machiavel, affirme au contraire : « Ni pur fait, ni droit absolu, le pouvoir ne contraint pas, ne persuade pas, il circonvient, et l’on circonvient mieux en faisant appel à la liberté qu’en terrorisant. » Les hommes ne s’asservissent pas parce qu’ils sont persuadés de leur infériorité, ni même parce qu’ils sont contraints, le pouvoir repose plutôt sur l’illusion. C’est comme cela que le pouvoir est efficace. Il semble donc intéressant de se demander dans quelle mesure la servitude provient de l’illusion de la liberté créée par le pouvoir pour se pérenniser. Nous verrons tout d’abord que la domination repose rarement sur la force et la contrainte, mais plus souvent sur la ruse. Toutefois nous remarquerons que la notion de soumission renvoie à une forme de persuasion que le maître réussit à exercer sur son esclave. Enfin nous verrons dans quelle mesure cette réflexion met en lumière l’aspect complexe du pouvoir.

Le pouvoir et la domination semblent d’abord rarement liés avec une quelconque force ou forme de persuasion. L’exemple d’ « Une Maison de poupée » est particulièrement intéressant. On ne peut pas dire que Nora soit prisonnière ou esclave de Torvald ; il ne la violente jamais et n’exerce presque aucune contrainte sur elle. Leur coupe semble heureuse et il semble même que leur mariage soit un mariage d’amour : Nora a choisi d’être la femme de Torvald, il ne l’a ni forcée ni persuadée de l’épouser. Pourtant toute la pièce permet de révéler que Nora est asservie et Torvald se révèle être un tyran domestique. Son pouvoir ne s’est ainsi pas basé sur la force ou la persuasion. De la même manière, lorsque La Boétie examine les causes qui conduisent à la servitude de tant d’hommes, il rejette l’idée d’une contrainte. Si parfois le pouvoir s’installe par la force, il ne se maintient jamais par elle. Cela est impossible pour La Boétie : les hommes se révolteraient s’ils étaient constamment enchaînés. Ainsi, il semble que le pouvoir d’un tyran se fonde rarement sur la violence ou sur une forme de persuasion de ses sujets.

Si la servitude ne fait pas appel à la force ou à la persuasion, c’est qu’elle tente tout d’abord de tromper les hommes. Le tyran cherche par exemple souvent à détourner l’attention de ses sujets. Ainsi dans les Lettres persanes, Rica s’intéresse-t-il au phénomène de la mode en France. Il constate avec étonnement qu’en France les parures ne cessent de changer et il regrette que les Français soient prêts à accepter des lois étrangères pourvu que l’on reconnaisse leur style comme le plus brillant d’Europe. En instaurant ce « règne » de la mode, le roi masque aux Français une partie de la réalité. Ils sont plus préoccupés par leur tenue que par la politique : cela permet au souverain de maintenir sa tyrannie. De la même manière, La Boétie explique que le tyran « sucre » la servitude ; en instaurant des tripots ou en

123 donnant des jeux, il rend la servitude supportable. Il remarque d’ailleurs que Néron, empereur tyrannique, fut regretté à sa mort. On l’a bien vu, « le pouvoir ne contraint pas, ne persuade pas », il cherche à détourner l’attention de ses sujets, à rendre la servitude acceptable. De ce fait, la ruse pérennise le pouvoir.

En outre, ce philtre enchanteur de la tyrannie semble d’autant plus efficace qu’il sait donner l’impression aux hommes qu’ils sont libres. Nora, au début de la pièce, est persuadée d’être une femme libre. Elle n’est pas contrainte dans ses mouvements, son mari ne la tyrannise pas, elle semble donc libre.

Et c’est là le génie du tyran : il parvient à faire confondre la liberté et la servitude. Chez les Helmer, il règne une liberté de façade que Torvald maintient à son gré. Par ailleurs, Montesquieu relève que dans les monarchies occidentales, les lois sont moins sévères et que l’on est ainsi plus libre qu’en Orient. Pourtant il montre aussi que la monarchie française est tyrannique : le roi utilise la liberté pour mieux asseoir son pouvoir. Ainsi, comme l’affirme Maurice Merleau-Ponty le pouvoir ne semble guère reposer sur la contrainte et la persuasion, mais plutôt sur la manipulation de l’esprit de l’homme et sur une « liberté » factice. Toutefois les nombreux exemples de soumission dans les trois ouvrages permettent de rappeler que la position de Simone Weil évoquée en introduction n’est pas totalement inenvisageable.

S’il existe effectivement des exemples où la domination ne semble pas reposer sur la contrainte, les ouvrages rappellent que le pouvoir est parfois autoritaire et violent. L’exemple le plus frappant est celui du sérail. Les femmes sont enfermées dans le sérail, elles ne peuvent en sortir. De plus, leur vie est réglée par les ordres d’Usbek. Le pouvoir est alors bel et bien contraignant. La liberté ne semble guère régner dans le sérail. De même, La Boétie évoque le cas d’Athènes qui, vaincue, a vécu une tyrannie violente. Si les tyrans maintiennent une apparente liberté, ils cherchent surtout à réprimer toute forme de révolte.

Les « mieux nés », seules personnes selon La Boétie aptes à comprendre la servitude et sa réalité, sont dispersés. On empêche leur réunion pour éviter qu’ils ne propagent les idées de liberté. Le pouvoir peut donc aussi être contraignant, il cherche avant tout à se maintenir et il semble que la force, comme c’est le cas dans le sérail, permette parfois de maintenir la tyrannie.

Par ailleurs, il semble aussi que le pouvoir reflète une « infériorité mystérieuse » de certains hommes. Il semble en effet que les hommes désirent parfois servir. On observe une fatalité ontologique ; c’est le cas des eunuques chez Montesquieu. Ils semblent persuadés d’être des êtres inférieurs, aucun eunuque ne le remet en cause. De même, personne en Occident ne semble remettre en cause la supériorité du Pape. Les Européens sont persuadés qu’il est leur chef spirituel et qu’il a un lien privilégié avec Dieu. C’est sur cette croyance que le Pape fonde son pouvoir. La Boétie examine aussi longuement ce qui pérennise la servitude. Il observe que les tyrans parviennent à rendre la servitude naturelle, les hommes confondant leur état de nature, des êtres libres, avec ce qu’ils sont alors, des êtres asservis.

L’homme est persuadé que la servitude est naturelle. La servitude devient un fait sociétal. En outre, le pouvoir parvient même à susciter un désir de soumission chez certaines personnes. Ainsi Nora demande-t-elle à Torvald de la « guider » pour la tarentelle. Elle demande à obéir, à être dirigée : c’est donc bien que Torvald parvient à la persuader qu’elle a besoin de l’être.

Ainsi le pouvoir et la tyrannie se révèlent parfois être des vérités tangibles, par la violence qu’ils exercent, et ne semblent pas toujours basés sur la ruse. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la force de persuasion d’un tyran sur ses sujets. Ceci illustre l’aspect protéiforme de la domination : présente sous de nombreuses formes, rarement claires et compréhensibles.

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Les trois œuvres mettent, en effet, en lumière la complexité qu’il y a à appréhender la question de la servitude. Si Merleau-Ponty rappelle justement que la ruse, la tromperie sont des instruments essentiels d’un pouvoir, en particulier tyrannique, ce qui semble ici l’essentiel, c’est la volonté de pouvoir et la multitude de ses outils. Et pour cela, le tyran oscille entre la persuasion, la contrainte et la ruse. Une Maison de poupée révèle bien cette caractéristique de la tyrannie : Nora semble jouir d’une certaine liberté, elle n’est pas prisonnière comme les femmes du sérail. Torvald lui indique d’ailleurs que sa situation de femme bourgeoise n’est pas à plaindre. Un aspect du pouvoir de Torvald repose donc sur cette fausse liberté dont elle dispose. Mais on voit progressivement que Torvald sait être violent quand cela est nécessaire. Il ramène, par exemple, Nora de force du bal. Il éprouve du désir pour elle et est prêt à être violent pour l’assouvir. Cela illustre donc le fait que Torvald sait utiliser la contrainte pour rester le maître. Enfin on l’a vu, Nora semble souffrir d’une faiblesse : elle se sent inférieure à son mari. Le pouvoir s’appuie donc à la fois sur la tromperie, l’illusion, la force ainsi que la persuasion dans la mesure où l’essentiel est ce désir de pouvoir et ce désir de pérenniser la servitude de l’autre.

Les trois auteurs cherchent alors à nous révéler le fait que les hommes asservis par la force, la ruse ou par eux-mêmes sont en réalité victimes de leur erreur de jugement due à la complexité du pouvoir. Si le maître use de l’illusion pour gouverner, l’homme ne voit pas la réalité qu’on lui masque. La Boétie est dure avec le peuple qui se laisse abuser par le tyran. Les plaisirs trompeurs que ce dernier offre, et dont le peuple jouit, conduit la majorité des hommes à ne pas vouloir être libres et donc à accepter la tyrannie. La Boétie dénonce cette erreur. De même Ibsen montre à travers sa pièce que la supposée infériorité naturelle de Nora et des femmes en général n’existe pas. Il montre que Nora est dans l’erreur lorsqu’elle se croit inférieure et dépendante de son mari. Les auteurs montrent que les tyrans avec l’illusion qu’ils créent, la force qu’ils dégagent et leur pouvoir de persuasion usent de l’incapacité des hommes à saisir la nature et la réalité de la servitude. L’homme est dans l’erreur lorsqu’il est trompé par la ruse du tyran ou lorsqu’il est convaincu de sa minorité. Le pouvoir repose donc sur une certaine incapacité de l’homme à concevoir la réalité des rapports de pouvoir et de sa servitude, incapacité engendrée par la ruse du tyran.

Enfin, les auteurs veulent donc nous permettre, à travers leurs œuvres, de saisir la réalité de la domination. Les œuvres ont donc une vertu pédagogique. La Boétie tient à nous avertir des plaisirs trompeurs, mais aussi de l’accoutumance de la servitude. De même, à travers le regard de ses deux personnages, Montesquieu invite les Français de son époque à se questionner sur les servitudes dont ils souffrent, mais dont ils ne se rendent pas compte. Le texte se veut l’intermédiaire qui nous permet de saisir la réalité de notre situation.

Ainsi, si l’on a bien vu que le pouvoir n’usait pas forcément de la force ou de la persuasion, mais plutôt de l’illusion pour parvenir à nous faire imaginer une liberté factice, il n’en reste pas moins que la tyrannie peut être violente et même parfois, paradoxalement, souhaitée. Ceci illustre la diversité et la complexité de la domination, toujours prête à se muer, pour se pérenniser, et les auteurs cherchent à nous éclairer et à nous faire saisir l’erreur dont nous sommes victimes. On observe donc que la servitude est également un problème intellectuel.

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7. LANGUES VIVANTES

Dans le document RAPPORT SUR LE CONCOURS 2017 (Page 120-123)