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Épreuve écrite

Dans le document RAPPORT SUR LE CONCOURS 2017 (Page 97-100)

6. FRANÇAIS

6.2. Épreuve écrite

Cette année, les candidats étaient invités à confronter leur savoir du thème au programme, « servitude et soumission », à une réflexion de Maurice Merleau-Ponty sur la nature, l’exercice et la légitimité du pouvoir :

« Ni pur fait, ni droit absolu, le pouvoir ne contraint pas, ne persuade pas ; il circonvient – et l’on circonvient mieux en faisant appel à la liberté qu’en terrorisant » (« Note sur Machiavel », Signes, Editions Gallimard, NRF, 1960).

Un sujet de dissertation n’est jamais le prétexte d’une récitation sans recul de connaissances prémâchées. La formule de Merleau-Ponty, exigeante, nécessitait une analyse attentive, non seulement des termes employés et des concepts attenants, mais aussi de la syntaxe qui les articulait de manière spécifique.

Ainsi, le sujet est construit sur une opposition : Merleau-Ponty récuse une conception traditionnelle de la pratique du pouvoir, fondée sur la contrainte et la persuasion, pour lui préférer une vision plus habile,

plus machiavélienne oserait-on dire, de son exercice, que le philosophe traduit par l’emploi répété du verbe

« circonvenir » : le pouvoir ruse, il dissimule ses intentions véritables, il agit de biais pour mieux asseoir sa domination et se faire respecter sans qu’il lui soit besoin de sévir ou de menacer. C’est bien là un premier niveau de lecture du sujet. Mais, qui veut réussir et se départir des tentations de facilité ne peut se contenter de le réduire à deux mots (ruser/contraindre) ! En effet, Merleau-Ponty ne s’arrête pas au constat de la circonvenue du pouvoir ; il en précise les causes (la fragilité intrinsèque à tout pouvoir, « ni pur fait, ni droit absolu ») et les conditions d’efficacité (« l’appel à la liberté »). Autrement dit, le pouvoir construit sa légitimité sur une instrumentalisation de la liberté : les dominés ne sont pas asservis, mais se soumettent librement : ils consentent à la domination, y adhèrent, la légitiment et la désirent même. Le pouvoir efficace ne doit pas faire violence à la liberté, mais la tromper, quitte à la vider de son sens et la réduire à la satisfaction de passions tristes et de plaisirs immédiats, bien étrangère à la véritable liberté.

Le cynisme de cette conception du pouvoir était patent. Il est étonnant qu’elle n’ait pas été plus systématiquement interrogée, de la part d’étudiants qui sont aussi des citoyens. Trop de copies ont ainsi réduit le pouvoir dont parlait Merleau-Ponty à la tyrannie et au despotisme, s’interdisant de fait de penser les conditions de possibilité d’un pouvoir juste et partagé, garant de la liberté (et pas seulement de certaines d’entre elles) et des droits, fondé sur un dialogue en franchise plus que sur des stratégies de manipulation.

Par ailleurs, en bornant leur réflexion à un régime politique particulier, les candidats n’ont pu étendre leur réflexion au champ d’action plus large du pouvoir tel qu’il s’exerce sur les individus dans une société donnée.

En effet, la contrainte a souvent été cantonnée à la force voire à la terreur, ce qui n’est pas faux, mais en réduit considérablement la portée. Certes le pouvoir peut être violent (et nos œuvres n’étaient pas avares d’exemples de pillages, de mises à mort, de viols en tout genre), mais surtout il « est partout » selon le mot de Michel Foucault : il s’immisce dans les consciences et les gestes (Bourdieu parlerait d’« incorporation »), modèle les rapports sociaux, détermine les représentations et la manière dont les individus se projettent dans le monde. A ce propos, les concepteurs du sujet avaient pris la peine d’ajouter une note précisant le sens d’usage du verbe « circonvenir » mais aussi son sens étymologique. Ce n’était pas pour rien ! Il est invraisemblable que la majorité des candidats n’aient pas jugé utile d’exploiter ces informations dans leur devoir, pour montrer justement à quel point, non seulement le pouvoir ruse, mais en plus il nous encercle, nous cerne de toute part, nous étouffe parfois sous le poids des coutumes, des normes, des habitudes. S’il ne contraint pas par la terreur, il le fait de manière bien plus insidieuse, en se diffusant à tous les niveaux de la société, porté par des discours enjôleurs et des injonctions culpabilisantes, dont chaque individu devient le porte-parole inconscient et la victime potentielle. Il va sans dire que les copies qui ont fait l’effort de ces analyses ont été hautement valorisées.

On voit bien qu’un tel sujet exigeait des candidats attention et précision, et qu’il ne pouvait se traiter dans sa complexité sans une analyse fine de sa formule, confrontée au très riche matériau fourni par les œuvres inscrites au programme. Un sujet ne se morcèle pas, il ne se réduit pas à quelques concepts ; il les articule et c’est cette articulation toujours originale qu’il faut savoir travailler et interroger. Une dissertation ne peut ainsi se traiter par la récitation d’un autre devoir appris par cœur ni par l’exposé d’une fiche de synthèse sur les caractéristiques de tel ou tel thème. Elle est une réflexion inédite sur une proposition inédite, un effort pour en élucider le sens particulier et en interroger les enjeux spécifiques. Sa réussite ne peut être qu’à ce prix.

À ce stade, il ne nous semble pas inutile de rappeler, pour la énième fois sans doute, certaines exigences méthodologiques de la dissertation, trop souvent oubliées des candidats :

- Trop de correcteurs se plaignent d’introductions maladroites : squelettiques, elles se contentent d’une remarque liminaire sans intérêt (« De tout temps, les philosophes se sont intéressés à la question du

pouvoir… »), citent à peine le sujet (et même parfois s’en dispensent ou, le jugeant trop long, se permettent de le couper par des points de suspension), négligent son analyse et la formulation d’une vraie problématique, passent parfois outre l’annonce d’un plan ; obèses, elles étalent parfois sur plus de deux pages, d’interminables paraphrases du sujet, une juxtaposition de questions sans ligne directrice, quand ce ne sont pas déjà des exemples extraits des œuvres et une présentation encyclopédique des auteurs. La juste mesure d’une pensée claire et rigoureuse est ici à trouver : une amorce en rapport de ressemblance ou d’opposition avec le sujet, sa citation juste avec ses références, une analyse précise de sa formule, une problématique qui ne se contente pas de transformer le sujet en questions, une démarche enfin. On rappellera ici que Maurice Merleau-Ponty, mort en 1961, n’est l’intime d’aucun des candidats, qui ne peuvent donc l’appeler par son prénom ! Et, quelle que soit leur ivresse à disserter, ils ne peuvent pas davantage orthographier son nom « Merlot-Ponty ». De telles négligences laissent le jury pantois…

- La conclusion est souvent le parent pauvre du devoir, réduite à quelques lignes, parfois même carrément absente. C’est pourtant le point d’orgue du devoir, qu’il faut soigner à la mesure de cette importance. La conclusion doit ainsi synthétiser la démonstration, mais aussi apporter une réponse claire au problème identifié en introduction. La fameuse « ouverture » ne peut pas se faire sur n’importe quoi. Poser une question à laquelle aurait dû répondre le devoir est tout aussi maladroit que les formules qui appellent à « une autre dissertation ? Pourquoi pas ? » Enfin, le jury s’étonne, à ce niveau de concours, de conclusions portant sur l’aveu de difficultés « à composer sans être inspiré »…

- Le développement est une démonstration en lien intime avec le sujet, dans son ensemble, sujet qu’il est impératif de retrouver à toutes les étapes du raisonnement (à l’occasion des transitions, au moment de l’exploitation des exemples, de la formulation des arguments). Il s’agit de montrer au correcteur que c’est bien ce sujet qui est traité, que c’est lui qui guide la réflexion et le choix des exemples. Le jury a eu à regretter trop de devoirs progressant sans qu’il n’y soit presque jamais fait référence, le traitant comme un prétexte ou une idée parmi d’autres très générales sur le pouvoir.

Par ailleurs, le sujet propose une thèse à considérer dans son ensemble, non une suite de thèmes à traiter l’un après l’autre. Ceux qui ont adopté un plan du type « le pouvoir ne contraint pas » / « il circonvient » / « il appelle à la liberté » se contentent d’illustrer la thèse sans jamais vraiment l’interroger. En outre, la thèse du sujet est le point de départ de la réflexion : c’est elle que doit expliquer la première partie, ce n’est pas sur elle que doit finir le devoir. Commencer par l’antithèse (ici, la contrainte exercée par le pouvoir) n’est pas plus efficace : la logique de la réflexion en est brisée et bien souvent, le développement simplifié et amoindri. Ce n’est qu’en explorant la manipulation de la liberté qu’on pouvait logiquement arriver à se poser la question des contraintes que le pouvoir lui faisait subir, contraintes physiques, certes, mais aussi symboliques. Enfin se pose la question de la troisième partie, sans laquelle un devoir, même sérieusement mené, reste inachevé.

Trop souvent, elle déçoit : mal rattachée au sujet, en recherche d’un compromis bancal des deux premières parties qu’elle répète, avide de dire enfin tout ce qui n’a pu l’être plus tôt, elle ne remplit pas son rôle de résolution et de dépassement, ce qu’elle ne peut faire en réalité qu’à condition d’avoir posé, dès le départ, une problématique opérante, articulant ici le pouvoir et la liberté.

- Le contenu des parties ne peut se contenter d’un catalogue d’idées ni d’une juxtaposition d’exemples. Là aussi, il faut créer une démonstration, et non simplement lister des cas, souvent décrits plutôt qu’analysés d’ailleurs. Les correcteurs reconnaissent cependant dans la majorité des copies, la bonne, voire très bonne connaissance des œuvres. Le travail préparatoire est souvent incontestable, le souci de justesse et de profondeur toujours valorisé. A contrario, les approximations et la superficialité sont sévèrement sanctionnées : quand un candidat appelle toutes les femmes

d’Usbek, « Rica », quand un autre fait de Krogstad le mari de Nora, ou de Roxane la meurtrière de

« tous ses amants », quand toute une série de citations de La Boétie (qui ailleurs « fait l’éloge du gouvernement anglais »...) est attribuée à Montesquieu, il n’y a en général pas grand-chose à sauver de la copie. Rappelons aussi au bon usage des citations : s’il est important d’en faire, point trop n’en faut là encore, surtout quand elles sont interminables, ne font l’objet d’aucun commentaire, tiennent lieu d’analyse, et parfois sont sans rapport avec l’idée exposée. Soulignons enfin à quel point il est insupportable de voir avec quelle négligence peuvent être orthographiés, même dans des devoirs sérieux, les noms des personnages ou des auteurs du programme : « Ipsen », « Ubsène », « La Bohétie » ou « Montesquieux », « Usbeck », « Norah », « Roxanne », sans parler du pauvre Krogstad, soumis à toutes les fantaisies lexicales imaginables. Le respect des œuvres et des correcteurs doit obliger les candidats à plus de circonspection sur ce point.

Enfin, nous ne pouvons faire l’impasse de quelques remarques sur la qualité de la langue, et rappeler à quel point, la maîtrise de l’orthographe, de la grammaire et de la syntaxe s’impose à tout candidat. Trop de copies sont négligentes sur l’accentuation, les accords, le vocabulaire relatif au programme : le participe passé

« soumis » ne compte plus ses variations, le « tyrand » et sa « tyranie » sont légion, « l’acoutume » a même été trouvé. On invente aussi des mots. Le verbe « circonvenir » a particulièrement inspiré les candidats : la

« circonviction », la « circonvenance », la « circonvolition », tout a semblé possible, sauf la « circonvenue »…

Il arrive même parfois qu’on ne comprenne pas ce que les candidats écrivent, ce qui est bien inquiétant quand on prétend réussir un concours exigeant et devenir un ingénieur de haut niveau. Enfin, une copie de concours doit être propre et lisible.

S’entraîner, se corriger, être exigeant avec soi-même sont les maîtres mots d’une année de préparation au concours. L’exercice de dissertation n’est pas facile, mais se travaille. Bien des candidats, cette année encore, ont brillé par leur attachement à une pensée rigoureuse et respectueuse des œuvres qui leur étaient proposées. Les lire a été un plaisir, les évaluer une satisfaction. Puisse « l’aventure » nous en offrir d’aussi talentueux.

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