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1.2 Intelligence en essaim dans les systèmes artificiels

1.2.1 De l’animal à l’animat

1.2.1.2 Les Animats

A partir du début des années 80, une approche différente commence à se développer. Cette approche met en avant la nécessité de concevoir des systèmes capables d’évoluer de manière autonome dans un environnement changeant. Pour cela, ces systèmes artificiels doivent avant tout être capables d’assurer les fonctions essentielles à leur “survie”, comme par exemple le déplacement et l’orientation dans l’environnement, ou la recherche d’une ressource vitale. L’objectif de cette approche n’est pas de concevoir des systèmes artificiels capables de raisonner à partir de symboles abstraits, mais plutôt des systèmes capables de “se débrouiller” dans le monde réel, comme le ferait n’importe quel animal. L’intelligence de tels systèmes ne repose pas sur leur capacité à résoudre formellement des problèmes. Elle réside dans la capacité de ces systèmes à atteindre leur but tout en s’adaptant aux changements survenant dans l’environnement. Elle se veut en cela plus proche de l’éthologie et des neurosciences que l’approche computationnelle, qui est, elle, plutôt liée aux sciences de l’information et du calcul. Ce rapport étroit à la biologie animale a valu à ces systèmes adaptatifs qui s’en inspirent explicitement le nom d’Animats, pour Animaux Artificiels (Meyer & Guillot, 1991).

L’approche adaptative se distingue de l’approche computationnelle essentiellement par le fait que le comportement du système artificiel est intimement lié à l’environnement dans lequel il se déplace. On dit que de tels systèmes sont situés, c’est à dire qu’ils interagissent en permanence avec leur environnement. Pour cette raison, l’approche adaptative met plus particulièrement en avant le couplage sensori-moteur comme le générateur principal du comportement du système. Les premiers exemples de tels systèmes remontent au début du 20ème siècle, bien avant l’ap- proche computationnelle de l’intelligence artificielle. En 1912, les ingénieurs John Hammond Jr. et Benjamin Miessner conçoivent un “chien électromagnétique” capable de poursuivre une source lumineuse en mouvement (Hammond & Miessner, 1918). Ce robot est équipé de deux roues mo- trices à l’avant et d’une roue mobile à l’arrière. Il porte également deux capteurs de lumière. Plus ces capteurs sont stimulés, plus les roues avant tournent vite. La roue arrière quant à elle

s’oriente de façon à ce que le robot tourne dans la direction du capteur le plus stimulé. Ce simple mécanisme de contrôle suffit à implémenter un phototropisme, c’est à dire un déplacement vers une source de lumière, sans nécessiter le codage explicite de la notion de lumière ou de source ou de poursuite.

Plus tard dans le siècle, en 1949 (soit un peu avant l’émergence de l’approche computation- nelle de l’intelligence artificielle), les tortues cybernétiques du neurophysiologiste William Grey Walter démontraient déjà que des mécanismes très simples permettaient de générer des com- portements intelligents et relativement complexes (Holland, 2003). Grey Walter fabriqua deux exemplaires de ce qu’il appelait des Machina speculatrix (machine “qui cherche un but”), ELMER et ELSIE, la première étant le prototype de la seconde (Figure 1.9c). Elles possédaient toutes deux un capteur de luminosité, un capteur de choc, deux roues motrices à l’arrière et une roue directionnelle à l’avant. Grâce à un circuit électronique très simple, les robots cherchaient à main- tenir la perception d’une luminosité moyenne. Lorsque la luminosité est trop forte, les machines ralentissent ; lorsqu’elle est trop faible, elles entament une exploration de leur environnement à la recherche d’une source lumineuse. Ce comportement de base est combiné avec l’état de charge des batteries des robots. Lorsque celles-ci sont pleines, l’aversion pour la lumière est maximale ; elle diminue quand la charge baisse, et s’inverse même lorsque les batteries doivent bientôt être rechargées. La zone de rechargement des batteries étant fortement éclairée, ce simple mécanisme conduit les machines à s’en éloigner quand leurs batteries sont pleines et à y retourner quand il est temps de les recharger. Les robots sont donc autonomes dans la gestion de leurs réserves énergétiques. L’apparente complexité de ce comportement contraste avec la simplicité du pro- cessus cognitif sous-jacent. Les robots fonctionnent selon un simple principe de stimulus-réponse qui maintient un équilibre dynamique (on parle aussi d’homéostasie) entre l’intensité lumineuse recherchée et la charge de la batterie.

D’autres machines fonctionnant sur les mêmes principes furent construites à cette époque (citons par exemple l’Homeostat de William Ross Ashby ou Job, le renard électronique d’Albert Ducrocq). Il semble cependant que la vague computationnelle naissante ait alors stoppé net leur carrière. Il faudra attendre 1984 pour que les “véhicules” de Valentino Braitenberg remettent au goût du jour de telles architectures de contrôle réactives (Braitenberg, 1984). Celui-ci a réalisé une série de 14 robots de conception très rudimentaire afin d’expliquer comment certains com- portements animaux pouvaient être le fruit de simples processus de type stimulus-réponse. Le plus simple d’entre eux était équipé d’une seule roue motrice reliée directement à un capteur de température. Le robot avançait donc d’autant plus vite que la température augmentait. En

conséquence, il passait plus de temps dans les zones de faible température et semblait fuir les zones de haute température. En jouant sur le nombre et la position des moteurs et des cap- teurs, ainsi que sur le câblage entre les moteurs et les capteurs, Braitenberg pu ainsi obtenir une diversité étonnante de comportements.

Enfin, les Animats prirent leur envol définitif en 1986 à la suite des travaux de Rodney Brooks (Brooks, 1986). Il développa une nouvelle façon de programmer les systèmes artificiels pour que ceux-ci agissent dans l’environnement sans nécessiter la moindre représentation de concept. Au lieu de programmer des processus complexes de raisonnement à partir d’une représentation symbolique de l’environnement, il programme plutôt des modules comportementaux très simples et qui peuvent s’activer en parallèle en fonction des données brutes reçues par les capteurs de la machine (Brooks, 1991). Il replace ainsi l’interaction avec l’environnement au coeur de la conception des systèmes artificiels. Il imposa finalement l’idée qu’un système artificiel pouvait avoir un comportement intelligent en l’absence de toute représentation du monde dans lequel il évolue et sans le moindre concept des objets qu’il rencontre.

Aujourd’hui, cette approche adaptative ou animat de l’intelligence artificielle regroupe une communauté importante de chercheurs. En puisant dans les connaissances acquises en biologie sur les systèmes vivants, ils cherchent à développer des systèmes artificiels autonomes, adaptatifs et situés. Autonomes car ils doivent pouvoir atteindre leurs buts et satisfaire leurs besoins sans assistance extérieure. Adaptatifs car ils doivent pouvoir évoluer dans un environnement changeant et imprévisible. Et enfin situés car ils doivent agir dans l’environnement et réagir aux stimulations que celui-ci procure.

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