PARTIE II : PROPOSITION POUR L’ANALYSE DU LIEN ENTRE RSE
CHAPITRE 5 : Les choix méthodologiques de la recherche
5.1. Ancrage épistémologique
Comme le précisent Perret et Séville (2003, p. 13), la réflexion épistémologique « s’interroge
sur ce qu’est la science en discutant de la nature, de la méthode et de la valeur de la
connaissance ».
Il y a trois grands paradigmes de recherche en gestion, le paradigme positiviste, interprétativiste
et constructiviste (Perret et Séville, 2003, p.14-15, cf. tableau 10)
Des auteurs comme Charreire et Huault (2001) témoignent de la confrontation épistémologique
entre positivisme et constructivisme dans les sciences de gestion. Le positivisme avance qu’une
réalité objective (chercheur indépendant, non relié à son objet de recherche) peut être envisagée
par des relations de cause à effet desquelles se dégagent des lois universelles (déterminisme).
Cela s’oppose au constructivisme qui fait appel à la subjectivité du chercheur et à la
non-universalité des lois (volontarisme). Ce paradigme nécessite de prendre en compte la
compréhension de l’organisation et des perceptions de phénomènes par les acteurs. Il s’agit de
construire ou co-construire une réalité qui n’existe pas. L’interprétativisme se situe entre les
deux mais se rapproche du constructivisme. Ainsi, on distingue d’un côté le positivisme et de
l’autre, la phénoménologie qui intègre interprétativisme et constructivisme.
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Tableau 10 : Les positions épistémologiques en sciences de gestion
Traditions
philosophiques Positivisme Phénoménologie
Paradigmes Positivisme Interprétativisme Constructivisme
Le statut de la
connaissance
Hypothèse réaliste,
ontologique Hypothèse relativiste
Nature de la
réalité
Indépendance du
sujet et de l’objet
Dépendance entre le sujet et l’objet de
recherche
Connaissance
scientifique
Explication
« Quelles causes ? »
Compréhension
« Quelles motivations
des acteurs ? »
Construction
« Quelles finalités ? »
Valeur de la
connaissance et
critères de validité
Vérifiabilité
Confirmabilité
Réfutabilité
Idiographie
Empathie
Adéquation
Enseignabilité
Source : adapté de Perret et Séville (2003, p.14-15)
Le positivisme aménagé
Notre travail doctoral s’inscrit dans une posture paradigmatique qui relève du positivisme
aménagé. Cette posture décrite par Miles et Huberman (1991, 1994) s’inscrit dans les évolutions
des courants positivistes. Selon Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et Jolibert (2012), le
post-positivisme (Boisot et McKelvey, 2010) peut être envisagé selon le courant du réalisme
scientifique d’une part (Bunge, 1993 ; Hunt et Hansen, 2010), ou selon le réalisme critique
(Bisman, 2010), initialement nommé le réalisme transcendantal (Bhaskar, 1978) d’autre part.
Le réalisme critique reste dominant au sein du post-positivisme et la recherche en management
l’a particulièrement vu se développer dans la fin des années 2000 (Gavard-Perret, Gotteland,
Haon, Jolibert, 2012).
Abdelwahed (2015, cf. figure 12) fait ainsi correspondre le positivisme aménagé au courant du
réalisme critique sur la base notamment, des travaux de Bhaskar (1978), Hédoin (2010),
Lawson (2006) ; Miles et Huberman (1991). Le positivisme aménagé se situe entre le
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positivisme et l’interprétativisme. Le positivisme postule de l’hypothèse qu’il existe une
essence propre à l’objet dans le monde réel et que les phénomènes sociaux sont donc
objectivement observables dans la réalité. Le positivisme aménagé, quant à lui, suggère la
même hypothèse mais complétée ou aménagée par l’idée que les phénomènes, de par leur
complexité, existent également dans les esprits, à travers les observations et les représentations
des individus, et que des relations légitimes et raisonnablement stables peuvent être
appréhendées entre eux (Miles et Huberman, 1994). Selon Miles et Huberman, les relations
stables découlent des séquences et régularités qui lient les phénomènes entre eux. Dans le cas
du positivisme aménagé, l’indépendance entre le sujet et l’objet de la recherche est donc
relative.
Figure 12 : Le positivisme aménagé
Source : Abdelwahed (2015, p.15) dont la proposition repose notamment sur les travaux de Bhaskar (1978), Miles
et Huberman (1991), Perret et Séville (2003), Hédoin (2010)
Le chemin de la connaissance scientifique dans ce paradigme est l’explication mais aussi la
compréhension de l’objet de la recherche. Les critères de validité sont comme pour le
positivisme, la vérifiabilité, la confirmabilité et la réfutabilité.
L’entreprise, et plus particulièrement la responsabilité sociale des entreprises qui constitue
l’objet d’étude de notre recherche, constitue un objet et un ensemble de phénomènes
« complexes » s’inscrivant ainsi dans la perspective du positivisme aménagé.
Réalisme
critique
Positivisme
aménagé
Constructivisme
radical
Ontologie
Epistémologie Positivisme
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En effet, les pratiques de participation dans les démarches de responsabilité sociale que nous
étudions, ont leur essence propre dans le monde réel mais également dans les esprits en étant
sous l’influence de représentations. Le concept de responsabilité sociale des entreprises
explicité en amont de notre travail, est large et complexe de par ses dimensions sous-jacentes,
la variété des discours qui en résultent, la profusion de pratiques qui en découlent et les acteurs
parties-prenantes qui interfèrent dans ces démarches de RSE et qui vont être à l’origine de
pratiques issues elles-mêmes, en partie, de leurs représentations ou convictions. Ces éléments
nous amènent à devoir choisir des variables d’analyse et à prendre en compte certaines données
plutôt que d’autres. Cela nous inscrit dans cette indépendance relative entre le sujet et l’objet
de recherche, autrement dit dans une « objectivité aménagée ». Ceci est d’autant plus vrai que
nous examinons les pratiques participatives des entreprises responsables, basées sur des
éléments de discours issus de réponses d’entreprises à une enquête par questionnaire.
En effet, c’est une méthode d’analyse quantitative qui sera utilisée dans notre travail, inscrit
dans une logique d’approche hypothético-déductive. Après le choix de l’objet de recherche et
une revue de la littérature spécifiant notre problématique, nous avons proposé deux modèles
présentant nos hypothèses qu’il s’agira de tester et de vérifier par les faits. On s’attachera ainsi
à décrire et à expliquer les pratiques de participation mises en œuvre à l’égard des salariés par
l’implication des PME dans la responsabilité sociale des entreprises, en essayant d’améliorer
notre compréhension de la RSE et de ses pratiques.
Si le chercheur peut choisir de positionner ses recherches sur un paradigme unique, multiple ou
un paradigme aménagé par l’apport d’éléments en provenance d’autres paradigmes, ce sont
pour ces raisons que cette dernière possibilité a été envisagée. Le positivisme aménagé semble
plus adapté à notre recherche et permet l’ouverture nécessaire à la complexité de l’objet d’étude.
Dans le document
Les pratiques de participation des salariés dans les entreprises socialement responsables : le cas des PME luxembourgeoises
(Page 134-137)