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Concentration géographique de l'emploi industriel et dynamiques territoriales en France de 1993 à

1. Analyse des structures spatiales intra-industrielles en France métropolitaine

1.1. Méthodologie

Si nous souhaitons décrire les grandes tendances de localisation des différentes industries françaises sur le territoire national, trois principales interrogations peuvent être soulevées. Tout d’abord, face à la multitude de mesures de concentration spatiale, quel(s) outil(s) statistiques peut-on ou doit-on utiliser ? Puis, quel(s) niveau(x) de désagrégation géographique doit-on privilégier ? Enfin, quel(s) niveau(x) sectoriel(s) choisir pour décrire les disparités spatiales ? Le problème est qu’a priori chaque question n’a pas une unique réponse. Ceci va alors nous contraindre à faire des choix méthodologiques pouvant avoir des conséquences importantes sur les résultats obtenus.

Tout d’abord intéressons-nous à l’outil statistique que nous allons utiliser. Notre choix s’est porté sur une mesure de la concentration spatiale fondée sur les distances et non fondée sur les quadrats. Les outils définis d’après les distances ne sont encore que peu développés dans les études économiques pour analyser les répartitions spatiales de l’emploi et les éventuelles agglomérations. En effet, les principales mesures de concentration géographique des activités industrielles sont définies d’après un zonage prédéterminé de l’espace (Brülhart et Torstensson, 1996 ; Maurel et Sédition, 1997 ; Ellison et Glaeser, 1997 ; Brülhart, 2001 ; Decrop, 2002). Le territoire se découpe alors en plusieurs quadrats distincts comme les régions, les départements etc. et la concentration spatiale est analysée d’après le zonage retenu. Les indices de Gini ou celui d’Ellison et Glaeser (1997) sont des outils fondés sur les quadrats largement utilisés pour analyser la structure spatiale des industries (voir par exemple Houdebine (1999) pour une analyse sur données françaises). Cependant, ces mesures sont actuellement critiquées par la littérature économique notamment car les résultats peuvent être biaisés par le niveau géographique retenu dans les estimations (Duranton et Overman, 2002 ; Combes et Overman, 2004 ; Marcon et Puech, 2003a,b).

Par conséquent, dans notre analyse, la mesure de la concentration géographique choisie, la fonction M, repose non plus sur un zonage de l’espace mais sur les distances euclidiennes entre chaque couple d’établissements productifs appartenant au même secteur d’activité (intra-industrie).

La fonction M a été proposée par Marcon et Puech (2003b) et répond à un grand nombre de « bonnes propriétés » pour évaluer la concentration spatiale industrielle telles que définies par Duranton et Overman (2002) et Combes et Overman (2004). Cet outil est une mesure de concentration relative : nous

cherchons à déterminer si les établissements d’un secteur particulier ont plus tendance à s’implanter dans une localisation que ceux des autres secteurs. Cette mesure s’interprète intuitivement de la façon suivante : elle indique pour chaque rayon r analysé si le poids relatif du secteur considéré par rapport à l’ensemble des activités industrielles est plus important (concentration spatiale) ou moins important (dispersion) que celui observé sur l’ensemble du territoire analysé. Notons que pour chaque secteur d’activité, nous obtenons une valeur unique de la fonction M pour chaque distance étudiée.

Définissons la fonction MS pour un secteur d’activité particulier S. Pour cela, considérons une zone

d’étude A contenant des établissements de différentes tailles (évalué par leur effectif) appartenant à plusieurs secteurs d’activité. Le nombre total d’établissements du secteur S sur le domaine A est noté NS, et l’effectif de l’établissement i, appartenant au secteur S, est noté ei. Soit cs(i,j,r), une indicatrice égale à 1 si l’établissement j, appartenant au secteur S, se situe à une distance inférieure ou égale à r de l’établissement i, et 0 sinon. Procédons de la même manière pour définir l’indicatrice c(i,j,r), égale à 1 si l’établissement j appartenant, cette fois-ci, à n’importe quel secteur se situe à une distance inférieure ou égale à r de l’établissement i (et 0 sinon). Notons E, l’effectif total des établissements manufacturiers sur le domaine A ; ES, le nombre d’employés des établissements du secteur S sur le domaine A et ej, l’effectif de l’établissement j. Nous en déduisons la formulation économique de la fonction MS :

= = ≠ = ≠ = − − = NS 1 i i i S S N 1 i N j i, 1 j j S N j i, 1 j S j S e E e E e ) r , j , i ( c e ) r , j , i ( c ) r ( M (1)

Plusieurs remarques peuvent être faites. Tout d’abord, le numérateur correspond au poids relatif du secteur S dans l’activité manufacturière dans un rayon r et le dénominateur représente le poids du secteur S dans toute l’activité manufacturière sur le domaine A. Puis, la valeur de référence correspondant à une localisation aléatoire des établissements est égale à 1. Si à une distance r, MS(r) est supérieure à 1 signifiera qu’il existe une concentration spatiale intra-industrielle des établissements du secteur S tandis qu’une dispersion de ces établissements sera détectée si MS(r) est inférieure à 1. Enfin, pour juger de la significativité des résultats obtenus, nous associons à nos estimations un intervalle de confiance de l’hypothèse nulle. Pour cela, nous générons par la méthode de Monte Carlo un certain nombre de simulations en redistribuant les couples secteur/effectif des établissements sur les localisations existantes (les sites possibles et la taille des établissements sont par conséquent considérés comme donnés). Puis, nous en déduisons les bornes de l’intervalle de confiance de l’hypothèse nulle en fixant un seuil d’incertitude α. Ainsi, pour un rayon r donné, une concentration spatiale (resp. dispersion) de l’industrie S est observée si la valeur obtenue de la fonction MS(r) est supérieure (resp. inférieure) à la valeur de la borne supérieure (resp. inférieure) de l’intervalle de confiance de l’hypothèse nulle, au seuil d’incertitude choisi.

Dans notre analyse, nous avons retenu des données individuelles d’établissements productifs provenant des Enquêtes Annuelles d’Entreprises du SESSI pour les années 1993, 1996, 1999 et 2001. Par ailleurs, afin de donner une description complète des disparités industrielles existantes, nous avons choisi un unique niveau sectoriel relativement agrégé défini au niveau de la NAF 36.20 A ce niveau, nous distinguons 14 industries manufacturières : l’habillement et le cuir (C1), l’édition, l’imprimerie et la reproduction (C2), la pharmacie, la parfumerie et l’entretien (C3), les industries des équipements du foyer (C4), l’industrie automobile (D0), la construction navale, aéronautique et ferroviaire (E1), les industries des équipements mécaniques (E2), les industries des équipements électriques et électroniques (E3), les industries des produits minéraux (F1), l’industrie textile (F2), les industries du bois et du papier (F3), la chimie, le caoutchouc et les plastiques (F4), la métallurgie et la transformation des métaux (F5) et les industries des composants électriques et électroniques (F6). Dans ce qui suit, nous donnerons les résultats de la fonction M calculée par pas de 1 kilomètre jusqu’à 50 kilomètres. Les intervalles de confiance -IC- ont été généré par 20 simulations au seuil d’incertitude de 5% (nous reporterons uniquement ceux obtenus sur les données de 1993).

11) Même si l’outil utilisé répond à un grand nombre de « bonnes propriétés » définissant un indice optimal de concentration spatiale industrielle, la fonction M (comme la fonction que nous utiliserons dans la section suivante) se heurte encore à des limites statistiques intrinsèques et donc s’expose à d’éventuels biais statistiques de que nous devons ici expliciter. En premier lieu, une analyse au niveau NAF 36 peut masquer différentes structures spatiales des sous-secteurs d’activité (cf. Marcon et Puech, 2003b). En second lieu, la distance utilisée dans cette mesure est fondée sur les distances euclidiennes entre les localisations des établissements productifs étudiés. De ce fait, elle ne tient pas compte des coûts de transaction par exemple qui sont, par conséquent considérés comme constants dans notre analyse aussi bien entre les industries qu’au cours du temps.

1.2. Principaux résultats

Quelles sont les grandes tendances de localisation observables en France métropolitaine ?

Tout d’abord, les résultats obtenus avec notre indicateur soulignent l’existence d’une concentration spatiale intra-industrielle relative pour chacun des 14 secteurs d’activité analysés, à toutes les périodes considérées jusque dans un rayon de 50 kilomètres. Plus précisément, pour toutes les industries, le maximum de concentration géographique intra-industrielle est observée à de très petites distances, c’est- à-dire dans des rayons de quelques kilomètres. Toutefois, nous devons noter qu’il existe des différences importantes entre les niveaux de concentration spatiale des secteurs d’activité. Si nous tentons de classifier les différents secteurs selon les valeurs des pics de concentration obtenues par exemple, le secteur de l’industrie automobile (D0) apparaît être le moins concentré spatiallement, les valeurs de la fonction M ne dépassant pas 1,5. En revanche, les industries du textile (F2) et de l’habillement et du cuir (C1) présentent les plus forts niveaux de concentration géographique intra-industrielle sur toute la période analysée. Pour le secteur du textile par exemple dans les tous premiers kilomètres, nous observons que la densité relative d’employés de ce secteur est approximativement de 6 fois (en 1993) à 7 fois (en 2001) plus élevée que celle observée sur la France entière. De la même manière, nous constatons que la proportion relative d’employés du secteur de l’habillement et du cuir (C1) est maximale dans l’environnement proche de ces établissements : les pics de concentration de la fonction M atteignent des valeurs approximativement égales à 4 ou 4,5 selon l’année considérée. Ceci signifie que la proportion relative d’emplois de cette industrie est à faibles distances 4 fois (en 1993) ou 4,5 fois (en 2001) plus importante que celle obtenue sur toute la France.

Entre ces valeurs extrêmes, nous pouvons distinguer deux groupes d’industries selon les valeurs maximales des degrés de concentration spatiale observables.21 Tout d’abord, pour les industries des équipements du foyer (C4), des équipements mécaniques (E2), des équipements électriques et électroniques (E3), du bois et du papier (F3), de la chimie, du caoutchouc et des plastiques (F4), de la métallurgie et de la transformation des métaux (F5) et celle des composants électriques et électroniques (F6), les plus forts niveaux de concentration spatiale sont compris environ entre 1,5 et 2,5. Puis, les quatre industries de l’édition, l’imprimerie et la reproduction (C2), de la pharmacie, la parfumerie et l’entretien (C3), de la construction navale, aéronautique et ferroviaire (E1) ainsi que des industries des produits minéraux (F1) présentent des degrés maximaux de concentration géographique plus importants, de l’ordre de 3,5 ou 4.

La Figure 1 retrace l’évolution de la concentration spatiale des deux secteurs les plus concentrés géographiquement en 1993, 1996, 1999 et 2001 d’après les estimations obtenues en utilisant la fonction M.

Figure 1 : Evaluation de la concentration spatiale pour les secteurs du Textiles (F2) et de l’Habillement et du Cuir (C1)

F2 : Textiles 0 1 2 3 4 5 6 7 8 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Distance (Km) M IC 5% (1993) M - 1993 M - 1996 M - 1999 M - 2001 C1 : Habillement et Cuir 0 1 2 3 4 5 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Distance (Km) M IC 5% (1993) M - 1993 M - 1996 M - 1999 M - 2001

L’analyse des deux figures ci-dessus soulignent, premièrement et comme nous venons de le voir que la concentration spatiale relative pour ces deux secteurs est la plus importante dans les premiers kilomètres

aux quatre dates. Cependant bien qu’une décroissance progressive des niveaux de concentration géographique intra-industrielle en fonction de la distance soit observable pour ces deux secteurs, ce résultat ne se vérifie pas systématiquement pour les autres industries. Par exemple, pour l’industrie automobile (D0) ou celle des composants électriques et électroniques (F6), les niveaux de concentration géographique sont certes les plus importants à petites distances mais des pics de concentration secondaires sont également identifiables (cf. Figure 2). Deuxièmement, nous observons que dans le temps, ces deux secteurs semblent connaître une augmentation de leur niveau de concentration spatiale intra-industrielle, tout du moins dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres. Toutefois, ces conclusions doivent être prises avec précaution car ces tendances à l’accroissement du degré de concentration géographique ne sont pas validées à tous les rayons d’étude. Puis, nous devons souligner également que ce résultat n’est pas généralisable à tous les secteurs analysés. Par conséquent, il n’existe pas pour l’ensemble des secteurs une évolution générale à une accentuation ou à une diminution de concentration spatiale intra-industrielle de 1993 à 2001. A titre d’exemple, nous donnons ci-dessous (Figure 3) d’une part l’évolution du secteur de la pharmacie, parfumerie et de l’entretien (C3) pour lequel une baisse du niveau de concentration géographique intra-industrielle est perceptible au cours du temps dans les dix premiers kilomètres. D’autre part, nous avons également représenté les différentes fonctions M obtenues pour l’industrie des composants électriques et électroniques (F6) pour laquelle aucune tendance significative ne se dégage entre 1993 et 2001.

Figure 2 : Evaluation de la concentration spatiale pour les secteurs de la Pharmacie, parfumerie et entretien (C3) et de l’Industrie des composants électriques et électroniques (F6)

C3 : Pharmacie, parfumerie et entretien

0 1 2 3 4 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Distance (Km) M IC 5% (1993) M - 1993 M - 1996 M - 1999 M - 2001

F6 : Industries des com posants électriques et électroniques 0,75 1 1,25 1,5 1,75 2 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Distance (Km ) M IC 5% (1993) M - 1993 M - 1996 M - 1999 M - 2001

Enfin, il est intéressant de noter qu’aucune tendance nette à la concentration géographique ou à la dispersion n’est discernable au sein de des industries des biens de consommation (secteurs C1, C2, C3, C4), des biens d’équipement (E1, E2, E3) ou des biens intermédiaires (F1, F2, F3, F4, F5, F6).

2. Identification des dynamiques intra-nationales des structures spatiales