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Amélioration du modèle et des résultats : le mimétisme des anticipations

anomalies observées sur les marchés financiers ?

dirigé avec François LEGENDRE

Sur les marchés boursiers, les cours des actions seraient distribués comme une marche au hasard (Walter, 2006), ce qui n’infirme pas l’hypothèse d’anticipations rationnelles, même si la volatilité des cours peut sembler « excessive » au regard de la volatilité de leurs valeurs fondamentales. Les cours boursiers présentent toutefois deux grandes anomalies,

par rapport à une norme qui voudrait que les rendements1soient distribués comme une loi normale stationnaire en espérance et en variance. En premier lieu, les rendements présentent une distribution leptokurtique, c’est-à-dire que la partie centrale de la distri-bution serait « trop » pointue et que, en même temps, les queues de la distridistri-bution seraient « trop » épaisses. En second lieu, la volatilité des cours est irrégulière : des périodes de fortes turbulences alterneraient avec des périodes de calmes plats ; cette caractéristique est appelée en anglais volatility clustering que nous traduirons par volatilité par grappe.

Ces deux anomalies sont documentées depuis longtemps2. Les travaux de Mandelbrot

(par exemple, Mandelbrot (1963)), s’opposant notamment à Markowitz qui jette à cette époque les bases de la finance moderne standard, mettent en évidence que la dis-tribution des rendements des valeurs spéculatives n’a pas la forme d’une disdis-tribution normale et que la probabilité de survenue de valeurs extrêmes est plus élevée que celle prévue par la loi normale. Mandelbrot insiste aussi sur le fait que les aléas les plus importants sont concentrés dans le temps. Cette seconde anomalie peut aussi être mise en évidence en faisant valoir une forme d’hétérocédasticité des rendements au cours du temps. Ding, Granger et Engle (1993) évoquent ainsi une propriété de « mémoire longue » en observant que, si les rendements ne présentent pas de corrélation temporelle, les carrés des rendements font montre d’une forte persistante au cours du temps.

En niveau, les cours présentent ainsi des évolutions qui seraient compatibles avec l’existence de bulles spéculatives. Sur la figure 4.5, nous avons porté les évolutions du niveau de l’indice boursier CAC 40. On voit que ces évolutions peuvent se décrire en termes de phases d’envolées soutenues qui se ponctuent par un retournement brutal : des bulles se formeraient sur les marchés financiers, bulles appelées nécessairement à éclater. Les marchés financiers seraient ainsi caractérisés par une forte instabilité intrinsèque.

1. Si le niveau du cours d’une action, au temps𝑡, est notéP𝑡, le rendement de l’action est égal àΔP𝑡/P𝑡−1, la plus ou moins value rapportée au montant investi. Ce rendement est souvent approximé par la différence logarithmique :ΔP𝑡/P𝑡−1≈ ln(P𝑡) − ln(P𝑡−1). L’hypothèse de marche au hasard, en logarithme, s’exprime par la relationln(P𝑡) = ln(P𝑡−1) + ε𝑡ε𝑡est un « bruit blanc », c’est-à-dire un processus aléatoire indé-pendamment et identiquement distribué.

2. Nous ne prétendons pas détailler toutes les singularités statistiques que les cours boursiers pré-sentent ; Cont (2001) et Lebaron (2006) constituent deux bonnes revues sur ce thème.

Figure 4.5 : Évolution trimestrielle de l’indice boursier français CAC 40 depuis sa création

1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 Trimestres

Euronext, moyenne arithmétique des cours journaliers de clôture.

1 2 4 6 Échell e logarithmi qu e

Par ailleurs et plus particulièrement depuis la crise financière de 2007, il est relevé (voir, par exemple, Colander, Howitt, Kirman, Leijonhufvud et Mehrling (2008), voir aussi Bookstaber (2012) sur l’instabilité financière) que les développements théo-riques en macroéconomie qui recherchent des fondements microéconomiques à la ma-croéconomie se sont beaucoup plus attachés à étudier les comportements individuels que la structure de leurs interactions. Par exemple, les modèles d’équilibre général dy-namiques et stochastiques ont permis de mieux comprendre les motivations des réallo-cations au cours du temps des ressources d’un « agent représentatif » ; par contre, sans doute parce qu’ils restent prisonniers d’une forme très forte de l’hypothèse d’anticipa-tions rationnelles, ils ne permettent guère de décrire les interacd’anticipa-tions entre individus qui seraient hétérogènes. Colander, Howitt, Kirman, Leijonhufvud et Mehrling

(2008) plaident en conséquence pour le développement de modèles basés agents3 de sorte, notamment, à étudier les conséquences d’hypothèses plus réalistes qui porteraient sur l’hétérogénéité des agents, sur les structures d’interactions entre les agents et, enfin, sur le mode de formation des anticipations en particulier par apprentissage. Cet appel n’a toutefois pas vraiment été entendu et les modèles basés agents n’ont pas connu, ces dix dernières années, de développements remarquables. Ces modèles peinent à s’imposer, nous semble-t-il, parce qu’ils ne sont pas assez simples et parce qu’ils sont insuffisam-ment validés. Nous reviendrons sur ce point plus loin mais nos motivations sont ainsi très précises. Nous développons un modèle basé agents afin de tester l’hypothèse de mi-métisme sur les marchés financiers ; ce modèle est simple ; il est estimé par une méthode de moments simulés afin d’en obtenir une certaine force probante.

Le mimétisme des opinions ne désigne pas nécessairement un comportement mou-tonnier. Il est facile de donner des fondements rationnels au mimétisme. Dans la veine du concours de beauté de Keynes, il est déjà possible de faire valoir qu’il est préférable, notamment pour un gestionnaire de fonds, de se tromper avec tout le monde que d’avoir tort contre tous. Il est aussi possible d’invoquer le coût élevé d’accès à l’information : dans ce cas, il n’est pas irrationnel de s’appuyer sur les opinions des personnes avec les-quelles il est possible de communiquer. Le mimétisme reste toutefois difficile à établir : on observe effectivement une forte corrélation des comportements d’intervenants qui ap-partiennent à un même groupe mais cette corrélation pourrait aussi s’expliquer soit par le fait que les membres du groupe accèdent à la même information privée soit par le fait que le groupe est constitué d’individus dont les comportements sont homogènes.

Notre travail est organisé en trois parties. Nous présentons, dans un premier temps, le modèle dit de percolation, notamment popularisé par Cont et Bouchaud (2000), ainsi que deux développements marquants dans le domaine des modèles basés agents pour étudier les comportements mimétiques en finance. Nous proposons une critique de ses

3. Ces modèles sont très clairement présentés dans Tesfatsion (2006) ; voir aussi De Grauwe (2010) ou Ballot, Mandel et Vignes (2015).

développements qui pourrait permettre, d’une part, de comprendre leurs faiblesses et, d’autre part, de proposer une modélisation qui puisse donner une force probante aux

mo-dèles basés agents. Dans un deuxième temps, nous présentons notre modèle qui s’efforce

d’être simple, qui s’inscrit dans le prolongement du modèle de percolation et qui cherche à retracer précisément les trois sources d’information que les agents pourraient mobiliser pour former leur propre opinion : une source idiosyncratique, une source provenant de leur voisinage et, en dernier lieu, une source macroéconomique. Dans un dernier temps, nous discutons de la méthode économétrique mise en œuvre, une méthode de moments simulés, et nous présentons les résultats obtenus.