• Aucun résultat trouvé

Alternatives quantiques et semi-classiques

Notre intuition des processus microscopiques est bien souvent classique, bas´ee sur une interpr´etation des processus dynamiques en termes de trajectoires au cours desquelles position et impulsion sont toutes deux bien d´etermin´ees. Cette interpr´etation est toutefois interdite par la m´ecanique quantique du fait du principe d’incertitude d’Heisenberg. Aussi, quand bien mˆeme l’ESDT est r´esolue, l’interpr´etation des observables issues d’une simu-lation quantique est difficile `a concilier avec une compr´ehension intuitive des m´ecanismes sous-jacents. Comme nous l’avons d´ej`a soulign´e, l’approche SFA peut ˆetre utilis´ee pour ob-tenir une image intuitive de la dynamique d’ionisation en termes de trajectoires quantiques au cours desquelles s’accumulent les phases de type lagrangien propres `a chaque ´etape du processus ionisant [Salieres 2001]. La dynamique ESDT, incluant l’effet du potentiel io-nique tout au long de l’interaction avec l’impulsion laser, peut aussi ˆetre r´e-interpr´et´ee en assimilant la variation du flux ´electronique `a un ´ecoulement hydrodynamique [Wyatt 2006] ; on a alors affaire `a des trajectoires quantiques, dites bohmiennes, coupl´ees par un potentiel quantique non local d´ependant du gradient de densit´e ´electronique [Jooya et al. 2015; Takemoto et Becker 2011]. Au-del`a de cette r´e-interpr´etation, l’approche bohmienne

est d’ailleurs en principe une alternative tr`es prometteuse aux approches num´eriques stan-dard de r´esolution de l’ESDT : le flux ´electronique suit une dynamique lagrangienne qui s’adapte instantan´ement `a l’interaction consid´er´ee, alors que les approches eul´eriennes habituelles (spectrales ou de grille) consid`erent un espace de configurations (de taille prohibitive) d`es le d´ebut de l’interaction. Cependant, une telle approche bohmienne auto-coh´erente n’a ´et´e d´evelopp´ee, dans le cas d’une interaction en champ fort, que pour des syst`emes mono´electroniques mono-dimensionnels [Botheron et Pons 2010; Botheron 2010]. Une extension de l’approche auto-coh´erente bohmienne `a des dimensionnalit´es sup´erieures est actuellement d´evelopp´ee par B. Pons et B. Fabre au CELIA.

Autant l’approche bohmienne que la m´ethode SFA confirment la nature essentielle-ment classique de la dynamique ´electronique juste apr`es la premi`ere ´etape d’ionisation. Comme nous l’avons d´ej`a ´evoqu´e au travers de la figure 1.2, cela a permis de confirmer la validit´e de la description classique “Simpleman”, mais a aussi engendr´e le d´eveloppe-ment d’approches semi-classiques alternatives `a l’ESDT dans le cadre SAE. Ces approches sont g´en´eralement bas´ees sur la m´ethode CTMC (pour Classical Trajectory Monte Carlo) initialement propos´ee par Abrines et Percival en 1966 pour d´ecrire la dynamique ´electro-nique non-adiabatique dans les collisions ion-atome [Abrines et Percival 1966]. Il s’agit d’une approche statistique dans laquelleN trajectoires classiques, ind´ependantes les unes des autres, sont utilis´ees pour d´ecrire la dynamique ´electronique conform´ement `a la se-conde loi de Newton ¨r = −∇Vef f(r)− ∇Vint(r, t). Nous reviendrons plus tard en d´etail sur le formalisme CTMC. Les mod`eles consid´er´es ici sont semi-classiques dans le sens o`u l’ionisation tunnel est d´ecrite quantiquement, en adoptant une description de type WKB [Dimitriou et al. 2004] ou ADK [Li et al. 2014]. Dans les deux cas, le tirage al´eatoire Monte Carlo concerne la d´efinition des conditions initiales pour les trajectoires. Dans [Dimitriou et al.2004], les trajectoires sont propag´ees depuis l’instant initial t = 0 et s’ionisent ´even-tuellement si elles viennent frapper la barri`ere de potentiel abaiss´ee par le champ laser – la travers´ee WKB de la barri`ere est alors suppos´ee instantan´ee au temps t = t0. Dans [Li et al. 2014], on ne propage classiquement que les trajectoires ionis´ees, dont le nombre est calcul´e `a tout t selon le taux d’ionisation quasi-statique ADK, `a partir de t0. Ces approches semi-classiques donnent une image quantitativement correcte, et qualitative-ment int´eressante car tr`es intuitive, de processus issus de l’ionisation comme la g´en´eration d’harmoniques. Elles n’ont toutefois ´et´e appliqu´ees qu’`a des syst`emes simples.

Usant du fait que la g´en´eration d’harmoniques, tout comme la production d’´electrons ´energ´etiques issus de la diffusion de l’´electron ionis´e sur l’ion parent, sont provoqu´ees par la recollision de l’´electron issu de l’ionisation primaire sur la cible, l’´equipe de C. D. Lin a d´evelopp´e une approche quantique, certes approximative puisque simplifi´ee, mais bien adapt´ee au traitement de tels processus secondaires dans le cas mol´eculaire. Cette approche, not´ee QRS pour Quantitative ReScattering theory, est bas´ee sur la factorisation du flux d’´electrons revenant sur la cible avec l’´energie E dans la direction ˆk,F(E, ˆk), par la

section efficace correspondante au processus secondaire concern´e [Le et al. 2008; Micheau et al. 2009]. Il s’agit basiquement d’une approche SAE, dans laquelle, pour exemple, le spectre harmonique est donn´e par

SQRSHHG) = F(E, ˆk)σ(E, ˆk) (1.38) o`u σ(E, ˆk) est la section efficace de recombinaison, li´ee `a la section efficace de photoio-nisation par micror´eversibilit´e. ωHHG est reli´e `a l’´energie de l’´electron retournant sur le cœur ionique par ωHHG= E + Ip o`u Ip est le potentiel d’ionisation de la cible. Supposant que l’on sache calculer σ(E, ˆk) par une des approches pr´ec´edemment expos´ees (voir aussi la partie II), il ne reste plus dans l’approche QRS qu’`a estimer le flux d’´electrons de re-tourF(E, ˆk). Comme premi`ere alternative, C. D. Lin et al. sugg`erent d’utiliser l’approche SFA ; mais le potentiel ionique n’est alors pas pris en compte dans l’ionisation et la propa-gation de l’´electron dans le continu. Les auteurs sugg`erent alors d’am´eliorer la description de F(E, ˆk) en supposant que sa forme est largement ind´ependante de la forme exacte du potentiel ionique. Quand bien mˆeme on a affaire `a un syst`eme multicentrique, le flux de retour peut alors ˆetre estim´e par r´esolution de l’ESDT relative `a un syst`eme atomique mo-no´electronique de charge effective Zef f telle que Ip = Z2

ef f/2. Cette approximation paraˆıt valide pour des ´electrons ´energ´etiques ressentant peu le potentiel mol´eculaire et g´en´erant des harmoniques d’ordre ´elev´e [Le et al. 2008]. Elle reproduit d’ailleurs bien les donn´ees exp´erimentales dans cette gamme d’´energie [Le et al. 2008]. Cependant, l’approximation est insatisfaisante pour des ´electrons de faible ´energie qui doivent alors ressentir fortement la nature multicentrique du potentiel ionique `a courte port´ee. L’importance du potentiel sur la propagation des trajectoires ´electroniques a par ailleurs ´et´e montr´ee dans [Shafir et al. 2012] : les trajectoires longues sont particuli`erement sujettes `a un effet de focalisation coulombienne induit par le potentiel lors de leur trajet de retour vers le cœur ionique. C’est pourquoi a ´et´e d´evelopp´e `a Bordeaux un mod`ele semi-classique visant `a reproduire quantitativement et `a illustrer intuitivement le processus HHG [Cloux et al. 2015; Higuet et al. 2011; Shafir et al. 2012]. Ce mod`ele, dont l’acronyme est CTMC-QUEST, utilise une description classique CTMC de l’ionisation et de la propagation de l’´electron dans le continu pour d´efinir le paquet de retour ´electronique. Ce paquet de retour est alors facto-ris´e au taux de photorecombinaison d´ecrit quantiquement, d’o`u naˆıt l’acronyme QUEST pour QUantum Electron ScaTtering, afin de d´efinir le spectre HHG. CTMC-QUEST est donc dans l’esprit tr`es similaire `a QRS, puisqu’il utilise aussi le principe de factorisation des m´ecanismes donnant lieu `a HHG, mais il tient compte du potentiel ionique inh´erent `a la cible r´eelle dans les trois ´etapes du processus, `a l’inverse de QRS. CTMC-QUEST a ´et´e appliqu´e avec succ`es `a la description des minima de Cooper apparaissant dans les spectres HHG relatifs `a l’argon [Higuet et al. 2011] et au krypton [Cloux et al. 2015]. L’approche a ´et´e aussi utilis´ee de fa¸con `a mettre en ´evidence l’importance du potentiel ionique sur les aspects statique (photorecombinaison) et dynamique (propagation de l’´electron dans le

continu) du processus HHG dans le cas de cibles atomiques [Shafir et al. 2012]. Un des buts de cette th`ese a ´et´e d’´etendre l’approche CTMC-QUEST au cas de cibles mol´eculaires, devenant alors la m´ethode molCTMC-QUEST d´ecrite ci-apr`es.

Approche molCTMC

L’id´ee principale de l’approche CTMC-QUEST est donc d’obtenir le spectre harmo-nique S(ωHHG) comme le produit de la densit´e ´electronique de retour ρ(E, ˆk) et du taux de photorecombinaison PPR(E, ˆk)

S(ωHHG) = ρ(E, ˆk)PPR(E, ˆk). (2.1) Cette expression est bien ´equivalente `a sa contrepartie QRS sachant que densit´e ρ(E, ˆk) et fluxF(E, ˆk) sont quantiquement reli´es par F(E, ˆk) = ρ(E, ˆk)k, o`u E = k2/2 en u.a., alors que taux et section efficace de recombinaison sont reli´es par σ(E, ˆk) = PPR(E,ˆk)

k

o`u k est ici la densit´e de courant de probabilit´e associ´ee `a une onde d’amplitude unit´e et de vecteur d’onde k. La figure 2.1 illustre la construction du paquet de retour ρ(E, ˆk). En effet, nous avons mentionn´e que les deux premi`eres ´etapes du processus de HHG, ionisa-tion et propagaionisa-tion de l’´electron dans le continu, seraient d´ecrites classiquement en termes de trajectoires ´electroniques ind´ependantes. Nous reviendrons plus avant sur la statistique des trajectoires ´electroniques, mais il convient de mentionner d´ej`a qu’`a l’int´erieur de cette statistique, une trajectoire sera consid´er´ee comme contribuant `a ρ(E, ˆk), si apr`es avoir ´et´e ionis´ee (et donc v´erifiant E(ti) > 0 au temps d’ionisation ti), elle revient guid´ee par le champ laser `a l’int´erieur d’une sph`ere centr´ee sur la cible, dite sph`ere de recombinai-son. Cette notion de sph`ere de recombinaison est introduite sachant qu’on ne peut pas construire un paquet de retour statistiquement converg´e en ne consid´erant exclusivement que les processus r´eels de recombinaison ´electronique classique o`u l’´electron se remet `a osciller au sein de la cible mol´eculaire. Il faudrait alors travailler avec une statistique to-tale de taille prohibitive (plusieurs dizaines de milliards de trajectoires) car la probabilit´e de recombinaison est extrˆemement faible. On consid`ere donc que la photorecombinaison a bien lieu d`es lors que l’´electron de retour rentre dans la sph`ere de rayon rmax. Il a ´et´e montr´e que le paquet de retour est relativement insensible `a la taille rmax de la sph`ere pour autant que cette derni`ere soit repr´esentative de la taille de l’orbitale fondamentale [Hi-guet et al. 2011]. Dans la pratique, on prend g´en´eralement rmax = 5 u.a.. On notera enfin

Figure 2.1 – Description du mod`ele semi-classique en trois ´etapes pour la g´en´eration d’har-moniques d’ordre ´elev´e : ionisation lorsque l’´electron quitte une sph`ere de 5 u.a., propaga-tion dans le champ puis recombinaison lorsque la trajectoire revient dans la sph`ere. L’encart montre l’angle de recombinaison θk lorsque l’´electron rentre dans la sph`ere.

qu’une mˆeme trajectoire ´electronique peut, apr`es une premi`ere recombinaison, sortir de la sph`ere et y entrer de nouveau lors d’oscillations post´erieures du champ. Ce processus correspond au ph´enom`ene de retours multiples d´ej`a ´evoqu´e. Les caract´eristiques essen-tielles du paquet de retour ´etant explicit´ees, il convient maintenant de d´efinir pr´ecis´ement le cadre et les m´ethodes employ´ees pour la description de la dynamique classique, avant de consid´erer le calcul quantique du taux de photorecombinaison PPR(E, ˆk).

I Description classique CTMC de l’ionisation et de

la propagation ´electronique dans le continu

Documents relatifs