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3. La fraîcheur du poisson …

3.1 Les changements post-mortem influençant la fraîcheur du poisson

3.1.2 Altération du filet de poisson

3.1.2.1 Altération protéolytique

On distingue deux systèmes protéolytiques endogènes majeurs : le système lysosomal (cathepsine) et l’activité des calpaïnes (Sentandreu et al. 2002). Ces protéases vont participer directement ou indirectement à l’hydrolyse des protéines des filets et plus particulièrement au complexe actine-myosine (Goll et al. 2008 ; Ladrat et al. 2003).

Protéolyse associée aux enzymes lysosomales

Les lysosomes des cellules de poissons contiennent plus de 60 enzymes hydrolytiques (Martinez et al., 1990). Ces enzymes présentes sous formes inactives sont capables lorsqu’elles sont activées de digérer tous les composants cellulaires comme les lipides, les glucides, les protéines, les acides nucléiques etc. (Mukundan, 1986 ; Martinez et al., 1990).

Les lysosomes des muscles de poissons sont riches en enzymes protéolytiques spécialement en cathepsines et en protéases. La distribution des cathepsines varie suivant les espèces de poisson, entre les individus d’une même espèce et suivant les tissus (Yamashita et Konagaya, 1992 ; Aoki et Ueno, 1997). L’activité de ces cathepsines augmente régulièrement avec la durée de stockage post mortem (Gaarder et al., 2012). La baisse du pH et la forte concentration des ions hydrogènes (Ahmed et al., 2015 ; Wang et al., 2011) dans le milieu intracellulaire provoquent la rupture des membranes des lysosomes suivie d’une libération dans le cytosol des cathepsines et d’autres enzymes hydrolytiques. Les lysosomes des poissons présentent 13 classes de cathepsines notamment les cathepsines A, B, C, D, H et L. Parmi ces dernières, les cathepsines B, D H et L jouent un rôle important sur l’altération des protéines fibrillaires du muscle post-mortem. La plupart des cathepsines sont des endoprotéases, mais la cathepsine B présente une forte activité

carboxypeptidase alors que la cathepsine H montre une activité aminopeptidase forte et une activité endopeptidase limitée. L’activation de ces protéases ou leurs actions synergiques provoquent l’hydrolyse des protéines myofibrillaires suivie d’un ramollissement de la chair du poisson post-mortem (Bahuaud et al., 2010 ). L’activité in vivo des cathepsines B, H et L est régulée par la cystatine (Ahmed et al., 2015). L’activité des cathepsines sur l’évolution du muscle post mortem du poisson a été bien documentée durant les dix dernières années (Ayala et al., 2005 ; Hultmann et Rustad, 2007 ; Chéret et al., 2007 ; Bahuaud et al., 2008 ; Bahuaud et al., 2010 ; Gaarder et al., 2012 ; Ahmed et al,., 2013 ; Lerfall et al., 2015 ; Ahmed et al., 2015). Les cathepsines B, D, H et L sont hautement activées une fois libérées dans un milieu acide. Les cathepsines B, H et L peuvent être activées de façon irréversible à pH supérieur à 7. Ces cathepsines activées vont initier une cascade de réactions aboutissant à la protéolyse des protéines myofibrillaires du muscle post mortem (Aoki et Ueno, 1997 ; Yamashita et Konagaya, 1990). La vitesse et l’ampleur de l’action des cathepsines sur la structure du muscle dépendent du pH, de la température et de la durée de conservation.

Dans la cellule musculaire du poisson, la protéolyse des composants du cytosquelette entraine la dégradation des myofilaments (Ayala et al., 2010 ; Olsen et Hermansson, 1996) suivie d’un détachement entre les myofibrilles. Le myotome se désintègre et conduit avec l’augmentation de la pression osmotique, à la lyse cellulaire. La lyse de la cellule s’accompagne d’une libération des enzymes cytosoliques et des enzymes contenues dans les organites cellulaires. La quantité d’enzymes libérées est fonction du niveau de lyse cellulaire et donc de l’état de fraîcheur. Parmi les enzymes libérées, il y a les enzymes mitochondriales comme la β-hydroxyacyl-CoA déshydrogénase ou HADH, la L-malate-NADP-oxydoréductase ou enzyme malique, l’aspartate-aminotransférase, la glutamate oxaloacetate transaminase, la lipoamide-réductase, le cytochrome C-oxydase etc., les enzymes cytosoliques comme la lactate déshydrogénase, les calpaïnes (Gaarder et al., 2012), les enzymes lysosomiques comme la α-glucosidase, la β-N-acetylglucosamidase, la phosphatase acide, la β-galactosidase, la β-glucuronidase (Duflos et al., 2002 ; Alberio et al., 2014) et les cathepsines (Bahuaud et al., 2008 ; Bahuaud et al., 2010 ; Ahmed et 2015).

Yamashita et Konagaya (1990) ont montré que l’activité protéolytique de la cathepsine L est fortement corrélée avec la rupture des membranes cellulaires du muscle frais (r = 0,86) et du muscle décongelé (r = 0, 95). Il est intéressant de signaler ici que l’activité de la cathepsine L est plus importante dans un muscle décongelé que dans un muscle frais. Autrement dit, la libération d’enzymes sous l’action de la cathepsine L est plus importante dans un muscle décongelé que dans

un muscle frais. La libération d’enzymes associée à la rupture des membranes, suite au choc congélation-décongélation, pourrait-elle être utilisée pour différencier un filet frais à un filet décongelé ?

Protéolyse associée aux calpaïnes

Les calpaïnes sont des protéases à cystéines non-lysosomales présentes dans le cytosol. Contrairement aux cathepsines, l’activité autoprotéolytique des calpaïnes est optimale à pH neutre et est dépendante du calcium (Gaarder et al., 2012). Le système ubiquitaire de la calpaïne est composé de micro et de milli-calpaïnes (µ-calpaïne et m-calpaïnes) et d’un inhibiteur endogène, la calpastatine. Ces deux isoformes présentent des propriétés biochimiques similaires à l’exception de leur exigence en calcium. In vitro, l’activation des µ-calpaïnes requiert des teneurs faibles en ions calcium (de l’ordre du µM) alors que l’activation des m-calpaines nécessite des teneurs plus élevées en ions calcium (de l’ordre du mM). Lorsque ces calpaïnes sont exposées à des quantités suffisantes de calcium (libérées par le réticulum endoplasmique lors des processus glycolytiques), elles migrent vers la membrane cellulaire et s’activent, provoquant l’autolyse de la cellule.

La calpastatine est le seul inhibiteur spécifique des calpaïnes (Ciobanu et al., 2004 ; Saito et al., 2007). Kristensen et al., (2002) ont montré que la tendreté du muscle post-mortem est inversement proportionnelle à l’activité de la calpastatine. Plusieurs auteurs montrent une action synergique des calpaïnes et des cathepsines sur l’autolyse des protéines myofibrillaires des mammifères (Goll et al., 1998). Dans le muscle des poissons, le rôle de la calpaïne sur la tendreté du filet n’est pas bien élucidé à nos jours (Bahuaud et al., 2010).

Protéolyse associée à d’autres systèmes protéolytiques

Le collagène est l’un des constituants majoritaires du tissu conjonctif des muscles de poisson (Masniyom, 2011). La dégradation du collagène conduit à des changements texturaux du muscle de poisson. Ces fibrilles se détériorent pendant la conservation au froid (Sriket et al., 2010). Des mesures instrumentales de la texture du muscle de la truite réfrigérée ont montré que des modifications de texture de la chair étaient associées à la solubilisation du collagène de type V (Sato et al., 1997). La protéolyse post mortem du collagène par des collagénases semble contribuer aux variations de texture des filets de nombreuses espèces de poisson (Ando et al., 1995). Par contre, les collagènes de type I ne sont pas dégradés durant le stockage à froid du filet de sébaste, mais la dégradation est rapide et complète à des températures comprises entre 15 et 20°C (Masniyom, 2011).

L’augmentation de la solubilité du collagène des filets de merlu durant la congélation a été associée à l’augmentation de la tendreté (Masniyom, 2011).

L’hydrolyse des collagènes peut être liée à des enzymes endogènes comme la trypsine et la chymotrypsine (Chéret, 2005). Ces protéases provoquent une désagrégation progressive des protéines du collagène conduisant à la séparation des fibres musculaires et donc à un ramollissement de la chair. Il a été démontré que les modifications de la texture de la chair sont essentiellement liées à une hydrolyse des fibres de collagène suite à une accumulation d’acide lactique issu de la glycolyse post-mortem (Montero et Borderias, 1990). Hernandez-Herrero et al. (2003) ont conclu que les modifications de texture du filet de poisson post mortem sont davantage liées aux changements structuraux des fibres de collagène qu’aux changements des protéines myofibrillaires. La texture comprend les caractéristiques les plus communes telles que la dureté, l’élasticité et la masticabilité du filet. La mesure de la texture peut être utilisée pour déterminer les changements structuraux du muscle du poisson post mortem. Les instruments utilisés sont des texturomètres (Ojagh et al., 2013). La mesure de la texture du muscle du poisson entier est difficile à réaliser du fait que le muscle est très hétérogène dans sa structure, ce qui peut rendre difficile la standardisation de la taille des échantillons. La texture du muscle du poisson peut également être abordée par l’étude de la microstructure du muscle du poisson. Plusieurs techniques sont disponibles pour mesurer la microstructure : la microscopie optique, la microscopie confocale à balayage laser, la microscopie électronique à balayage et la microscopie électronique à transmission (Debarre, 2006).

Les changements de structure du muscle du poisson peuvent être déterminés en mesurant ses propriétés électriques. Trois instruments différents sont utilisés pour déterminer les propriétés électriques du muscle du poisson : le torrymètre, l’intellectron Fishtester VI et le RT-freshtester Grader. Ces instruments donnent des réponses immédiates et leur utilisation ne nécessitent pas beaucoup de qualifications (Olofdotir, 2006). Par contre, ces méthodes ne peuvent pas être utilisées sur du poisson décongelé ou sur du poisson qui a été conservé dans de l’eau de mer réfrigérée. Les changements des propriétés spectrales des poissons frais peuvent être mesurés par des méthodes spectroscopiques. Ces méthodes de mesure sont devenues importantes dans le contrôle de la qualité en industries alimentaires. Les méthodes spectroscopiques fournissent des résultats rapides et elles peuvent être utilisées pour l’évaluation simultanée de plusieurs paramètres. Ces méthodes sont pour le moment insuffisantes pour caractériser pleinement les propriétés du poisson frais. Le développement dans l’instrumentation et les techniques utilisées pour évaluer les données spectrales

sont susceptibles de faciliter la collecte de plus d’informations sur les caractéristiques des poissons (Daher, 2012).

Bien qu'il existe de nombreuses mesures physiques différentes qui fournissent des informations sur les paramètres relatifs à la fraîcheur du poisson, aucun de ces procédés n’est capable de déterminer sans ambiguïté si un poisson est frais ou non encore moins de faire la différenciation entre un filet frais et un filet décongelé.