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ALLIÉS ET… À LIER

La route avait été longue pour les deux volontaires. Ils avaient bien traversé la moitié du pays à la recherche de ces pratiquants des mots d'Avoir mais là, ils touchaient au but. La route s’élevait doucement pour grimper sur une petite colline et la barrière qui avait bordé la route depuis bientôt cinq cents mètres laissait apercevoir une trouée. C’était l’entrée de la propriété qu’ils comptaient visiter. Les attentifs leur avaient révélés que plusieurs personnes sur le site utilisaient les mots d'Avoir et ils en avaient déduits que ce devait être une famille. — Sally, il nous faudra être prudents. Ils ne doivent pas le chanter sur tous les toits, et les étrangers en ce cas ne seront sans doute pas les bienvenus.

— J’y ai pensé. Laisse-moi parler. Je suis plus diplomate que toi.

— Si tu le dis…

Les chevaux ne se firent pas prier pour emprunter l’entrée de la propriété. Ils devaient sentir que l’écurie n’était pas loin. Les deux amis remontèrent donc la longue allée qui menait aux bâtisses et comme s’y était attendu Percy, des guetteurs les signalèrent de loin et leur arrivée fut l’occasion d’un remue-ménage certain au sein de la maisonnée.

Un homme d’un âge avancé descendait l’escalier de la maison principale lorsqu’ils arrivèrent dans la cour.

— Que voulez-vous ? leur demanda-t-il d’un ton soupçonneux. A priori, ils n’étaient pas les bienvenus.

Sally descendit de cheval et s’approcha de l’homme. Elle sortit son pendentif de sa tunique pour que l’homme puisse voir le signe de Ka puis devint invisible.

« Ah, c’est ça sa diplomatie… » pensa Percy et il reprit à voix

forte pour que tout ce monde qui commençait à se regrouper autour d’eux les entendent.

— Ce que mon amie essaie de vous dire, c’est que nous ne sommes pas des prêtres de Ka et que nous connaissons le mot d’invisibilité. Nous savons que vous aussi. Nous sommes du même bord et nous venons faire connaissance.

Après un moment d’incertitude, le vieil homme leva la main pour calmer ses troupes qui devenaient menaçantes au vu du discours de Percy et prit la parole.

— C’est logique ce qu’il dit. Si les prêtres connaissaient le mot d’invisibilité, ce n’est pas deux voyageurs qu’ils nous auraient emmenés mais la troupe. Ce sont des amis. Laissez-les et retournez à vos occupations.

Sally redevint visible. Elle se trouvait derrière le vieil homme et tenait à la main son couteau de voyage. Elle fit son plus beau sourire à Percy puis rangea son arme.

— Vous m’excuserez de la précaution… dit-elle au vieil homme mais je tiens beaucoup à cet énergumène sur son cheval…

— Vous êtes pardonnée mademoiselle… — Je m’appelle Sally… et voici Percy.

Percy profita de ces présentations pour descendre de cheval et s’approcher. Il tendit la main au vieil homme.

— Je m’appelle Géral, leur dit celui-ci en prenant la main de son visiteur. Venez avec moi. Nous allons boire une tisane. Vous avez sans doute beaucoup de choses à raconter et je suis un petit vieux particulièrement curieux…

— C’est vrai, monsieur, nous avons fait un bout de chemin pour vous raconter une belle histoire.

— Et pas pour vous couper la gorge… conclut Percy en faisant des gros yeux à Sally.

Assis dans de gros fauteuils, ils sirotaient tranquillement leur tisane. Le vieil homme attendait patiemment que ses deux invités prennent la parole.

— Voila monsieur… commença Sally — Appelez-moi Géral… s’il vous plaît

— Bien Géral, d’abord ce que vous devez savoir c’est que la Mère de l’Humanité est de retour.

— Je le savais… s’exclama le vieil homme en posant sa tasse et en se levant précipitamment. Je le savais… Heureusement qu’elle n’attendait pas après nous pour aller l’accueillir. Nous avions un débat passionné sur la date de retour présumée de la Mère de l’Humanité.

Certains, dont je fais partie, la donnait pour cette année, d’autres prenaient en compte la date de sa mort et prévoyaient son retour pour dans cinq ans. C’était devenu de la divination. Chacun y allait de sa théorie…

— C’est notre village qui s’est chargé d’aller au rendez-vous. Et nous l’avons trouvée. Elle était plutôt paumée d’atterrir dans un monde habité, elle qui n’avait connu que l’espace et la solitude mais elle s’est très vite adaptée. Elle a quatorze ans, bientôt quinze maintenant : elle est arrivée, il y a plus de six mois.

— quinze ans, je trouve que c’est un peu jeune pour tout ce qu’elle doit faire…

— C’est sur, mais ils n’étaient pas au courant que la situation avait mal tourné… Elle est cependant très volontaire et a pris les choses en main. Elle veut renvoyer les prêtres de Ka et libérer les mots d'Avoir.

— Et comment pouvons-nous l’aider ?

— Elle a commencé à regrouper ses troupes dans le nord, toujours en secret, mais nous faisons la même chose dans tout

le pays. Nous recrutons des volontaires pour se battre contre les prêtres.

— J’ai quelques têtes chaudes chez moi qui seraient prêts à assurer leur part de feu, je vous les présenterais plus tard. — …et nous enseignons les mots d'Avoir au plus grand nombre. Ainsi, les prêtres de Ka seront vite débordés…

— Oui, mais c’est un risque pour le mot d’invisibilité. Plus les gens le connaîtront plus il risque de tomber entre les mains des prêtres.

— Entendez-bien, nous sommes devenus plus modernes que ça grâce à la nouvelle Enseignante. Nous pouvons mettre le mot dans un objet. Pour nous c’est le pendentif des prêtres de Ka. Un ami a initié la mode pour son village et nous avons tous copié. Nous trouvons cela… amusant. Un genre de pied de nez. Il suffit d’y penser pour qu’il s’active. Avec ça, pas besoin de diffuser le mot, juste le pendentif.

— Et vous n’avez ainsi plus besoin d’être deux ?

— Vous avez compris. Mais il y a mieux. Nous avons reçu un message lorsque nous voyagions : nous avons appris un mot de liaison qui nous permet d’utiliser en les combinant plusieurs mots d'Avoir.

— Je vois bien l’utilité de ce nouveau mot… — Vous voyez, la bataille est déjà bien engagée

— Mais vous savez, nous aussi nous serions curieux de savoir comment vous connaissez les mots d'Avoir… reprit Percy. — Eh bien, cela remonte à très loin. Lorsque le mari d’Eléa a fait sortir son fils des griffes des prêtres, mon ancêtre l’accompagnait. Ils étaient une petite vingtaine à s’enfuir ensemble. Mon aïeul – il s’appelait Roger – a voyagé avec eux quelque temps puis ils se sont arrêtés où nous sommes. Les gens du coin les ont accueillis pendant quelques jours et ce Roger a lié connaissance avec l’Héloïse des fermiers. Elle n’a

pas voulu quitter ses parents car elle était leur seule enfant et lui est donc resté. Comme il connaissait le mot d’invisibilité, ils n’ont jamais été embêtés par les prêtres et nous devons notre fortune aux mots d'Avoir.

— C’est une belle histoire. Eh bien le mari d’Eléa a continué sa route et a créé Aud’ria le village d’où nous venons.

— Et vous êtes venus parce que nous utilisions les mots d'Avoir ?

— Oui, nous recherchons des alliés. Comme vous utilisez les mots depuis longtemps, vous aurez accès au deuxième niveau d’apprentissage et ceux qui voudront combattre recevront les mots de chasse.

— Et vous allez rester assez longtemps pour nous apprendre tout ça ?

— Non, vous allez choisir parmi vous une personne que nous allons enseigner grâce aux pouvoirs de la Mère de l’Humanité et elle vous apprendra tout ce qu’elle sait.

— J’ai celle qu’il vous faut. C’est ma petite fille, Julie. Elle est toujours en train de fourrer son nez dans les affaires de tout le monde, toujours à vouloir tout connaître et tout expliquer. Elle sera parfaite pour ce travail.

Julie faisait face aux visiteurs. Elle avait été appelée par son grand-père et c’était toujours intimidant de se trouver dans son bureau.

— Ma fille, connais-tu les mots d'Avoir ?

— Les trente-deux, Grand-père, plus le mot d’invisibilité… Je m’entraîne souvent pour ne pas les oublier.

— C’est très bien. Je voudrais te présenter Sally et Percy. Ils viennent d’un village où on utilise également les mots d'Avoir et ils ont récemment accueilli la Mère de l’Humanité.

— Oh Grand-père, c’est merveilleux… Je veux dire bonjour madame, bonjour monsieur. Quelle chance vous avez…

— Eh bien, Julie, on a également une belle proposition pour toi. Maintenant que la Mère de l’Humanité est arrivée, elle nous a enseigné les deux cent cinquante-cinq mots suivants et d’autres mots pour nous défendre. Nous n’avons pas le temps de vous les enseigner et nous recherchons quelqu’un pour les apprendre rapidement et devenir personne ressource pour les donner aux autres…

— Vous voulez dire que vous pensez à moi ?

— C’est ton grand-père qui t’a sélectionnée mais il faut que tu sois d’accord…

— C’est oui et encore oui… Les mots d'Avoir sont la plus belle chose que je connaisse et je veux les apprendre tous. Mais vous pensez que je les apprendrais plus vite que les autres ?

— En fait, c’est le vaisseau dans l’espace qui va te les enseigner. Il va rentrer en communication avec toi et les imprégner dans ton esprit. Tu les sauras comme si tu étais née avec… et plus moyen de les oublier.

— Oh, un… vaisseau. C’est… c’est d’accord bien sur.

— Stilv ? — Oui, Sally…

— Tu contactes la petite demoiselle ? — Avec plaisir… Julie, tu m’entends ?

— J’entends une voix…

— Étonnant. Réponds-lui… dans ta tête.

— Oui, Monsieur, je vous entends

— C’est bien Julie… Bonjour, je m’appelle Stilv. Ce soir, lorsque tu seras couchée, je vais t’enseigner les mots d'Avoir.

— Et en attendant, vous serez toujours dans ma tête ?

— Disons que quand tu penseras à moi, je t’entendrais et je te répondrais…

— Mais c’est merveilleux… Vous êtes avec la Mère de l’Humanité ?

— Je suis son vaisseau… son chariot qui voyage dans l’espace. Et non, elle n’est pas avec moi en ce moment mais tu l’entendras bientôt. Elle parle toujours avec les personnes ressource.

— J’attends ce soir avec impatience… Merci Stilv.

— Oui, c’est bon. Ce soir, il m’enseignera les mots d'Avoir. Je suis ravie…

— Cela nous fait plaisir que tu sois heureuse… Et nous notre mission est terminée. Vous auriez un petit coin pour que l’on se repose et demain nous repartons…

— Vous rentrez dans votre village ? demanda Géral

— Disons que nous en prenons le chemin. Nous avons encore un petit crochet à faire vers le sud pour rencontrer d’autres alliés potentiels, quoi que celui-là risque d’être un cas particulier.

— Comment cela ?

— Il ne devient pas invisible pour utiliser d’autres mots d'Avoir. Nous devons savoir à quoi il s’amuse alors…

Ils avaient suivi l’homme jusque dans la ruelle. Invisibles, ils ne risquaient pas d’être détectés et ils avaient préféré utiliser cette méthode plutôt que de demander à l’homme ce qu’il pouvait bien faire. Maintenant, ils s’en doutaient un peu mais il leur fallait être sur. L’homme vérifia qu’il était bien seul et sortit une corde avec un grappin de son sac. Il saisit le grappin

et le lança en direction d’une fenêtre à l’arrière d’une maison. Elle n’était pas fermée vue la hauteur. L’homme se concentra et devint invisible puis la corde se mit à osciller.

— On a droit à un « monte-en-l’air » de la pire espèce… le genre invisible.

— Il n’a pas le droit d’utiliser les mots d'Avoir pour faire ça. C’est grave.

— Tu as raison…

— Stilv ? — Oui Sally…

— Notre client est un voleur… il utilise le mot d’invisibilité pour se cacher à la vue des gens et pratiquer ses larcins. — J’en parle à Lassa…

— Sally… C’est Lassa. Tu m’entends ? — Oui Lassa… Bonjour

— Bonjour… Dans les mondes nouvellement visités par les Enseignantes, il arrive que l’on rencontre des cas comme ça. On a un mot d'Avoir pour son problème… Stilv va te l’enseigner et tu le penseras en touchant ton voleur. Cela devrait lui faire passer l’envie… Il ne connaîtra plus aucun mot d'Avoir et ne pourra plus les apprendre pendant cinq ans.

— C’est super comme punition… Je m’en occupe tout de suite…

Stilv prit quelques secondes pour enseigner Sally, qui sans prendre le temps de parler de son plan à Percy, sauta sur la corde et se mit à grimper. Elle enjamba la fenêtre et se retrouva dans une pièce vide. Elle ne pouvait pas voir sa proie mais sa

proie ne pouvait voir le chasseur non plus. Ils étaient à égalité quoique lui avait du boulot à faire…

Elle aperçut rapidement un chandelier d’argent qui faisait le voyage tout seul dans les airs. Il finit sur un tas sur le bureau au fond de la pièce. Lorsque l’on devenait invisible, tous les objets que l’on portait devenaient invisibles en même temps.

Après, il fallait se concentrer pour envelopper d’autres objets ou d’autres personnes et le voleur se croyait trop à l’abri pour s’embêter à rendre invisible tous les objets qu’il transportait. Sally calcula le chemin qu’emprunterait le voleur pour repartir et se mit en position, bloquant l’accès.

Bientôt quelque chose la frôla et elle tendit la main pour saisir ce qu’elle pouvait attraper. Lorsqu’elle toucha l’homme au bras, elle pensa à son mot d'Avoir et le voleur réapparut.

Il était effrayé de ce contact et fouillait la pièce des yeux. Sally regagna rapidement la fenêtre et se pendit à la corde. Elle cria ensuite pour ameuter les propriétaires puis se laissa glisser. Arrivée en bas, elle regarda le voleur passer précipitamment la fenêtre et descendre le plus rapidement possible. En touchant le sol, il ne perdit pas de temps et courut pour sortir de la ruelle tandis qu’une personne passait la tête par la fenêtre et criait « Au voleur ».