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2. Dysendocrinies thyroïdiennes auto-immunes

2.1. Généralités, définitions

2.1.1. Affections thyroïdiennes auto-immunes

Chez l’homme, la pathologie thyroïdienne auto-immune est une pathologie fréquente dans la population générale, pouvant se rencontrer à tout âge et en particulier chez l’adulte, avec une prévalence plus importante chez la femme (106). L’auto-immunité thyroïdienne est principalement responsable de la thyroïdite de Hashimoto, entraînant un goitre (hypertrophie thyroïdienne) euthyroïdien ou hypothyroïdien pouvant évoluer en atrophie thyroïdienne (113), la maladie de Basedow (aussi appelée maladie de Graves ou de Graves-Basedow) associant un goitre avec hyperthyroïdie et fréquemment une orbitopathie (281) et enfin certaines hypothyroïdies primaires pouvant être rattachées à un processus auto-immun chronique (106) (Tableau II).

Chez le chien, la thyroïdite lymphocytaire (“lymphocytic thyroiditis”) est une affection vraisemblablement d’origine auto-immune responsable de la moitié des cas d’hypothyroïdie primaire canine. Elle s’apparente à la thyroïdite de Hashimoto décrite chez l’homme dont elle partage certains mécanismes pathophysiologiques (99). Comme la thyroïdite de Hashimoto, la thyroïdite lymphocytaire canine provoque une destruction progressive de la thyroïde menant à une hypothyroïdie. Cependant chez le chien, elle n’est pas associée à un goitre et on n’observe pas de prédisposition sexuelle au développement de la maladie bien que celle-ci ait été initialement rapportée (24, 27).

Chez le chat, un seul cas d’hypothyroïdie spontanée secondaire à une thyroïdite lymphocytaire a été décrit (246). Il s’agissait d’une chatte adulte souffrant d’hypothyroïdie primaire dont la biopsie thyroïdienne a montré une thyroïdite lymphocytaire similaire à la thyroïdite de Hashimoto. Ce cas semble toutefois anecdotique puisque la grande majorité des hypothyroïdies spontanées de l’adulte sont iatrogènes (conséquences du traitement de l’hyperthyroïdie) (103).

A l’heure actuelle, aucune hyperthyroïdie auto-immune n’a encore été décrite chez le chien. De même, bien que l’hyperthyroïdie soit une dysendocrinie fréquente chez le chat, il semblerait qu’elle ne soit pas d’origine auto-immune dans cette espèce mais plutôt la conséquence d’une croissance et d’un fonctionnement autonomes des thyréocytes comme lors de goitre nodulaire toxique (deuxième cause d’hyperthyroïdie chez l’homme) (225).

Tableau III : Classification clinique des maladies thyroïdiennes auto-immunes chez l’homme (238) Hypothyroïdie Hyperthyroïdie Prise de poids Sensibilité au froid Crétinisme Motricité ralentie Peau sèche Cheveux secs et cassants

Perte de poids Exophtalmie Tachycardie Tremblements Ophtalmopathie Augmentation de la concentration sérique de TSH

Diminution de la concentration sérique de T4

Diminution de la concentration sérique de TSH Augmentation marqué des titres sériques de T4

Sérologie anti-R-TSH positive Infiltrat inflammatoire de la thyroïde

constitué de lymphocytes T

Infiltrat inflammatoire de la thyroïde constitué de lymphocytes T et B TSH : Thyroid Stimulating Hormone ou thyréostimuline ; T4 : Thyroxine ; R-TSH : récepteur de la TSH

Même si les tableaux cliniques des diverses maladies auto-immunes thyroïdiennes humaines diffèrent (Tableau III), les mécanismes physiopathologiques sont proches. Il y a souvent survenue chez plusieurs membres de la même famille des différentes facettes de la maladie thyroïdienne, et chez certains individus la maladie de Basedow peut être associée à la thyroïdite de Hashimoto, soulignant la proximité physiopathologique de ces différentes entités (106).

Le concept d’auto-immunité thyroïdienne est né en 1956 par la découverte des anticorps anti-thyroglobuline (anticorps anti-Tg) humains, et l’induction chez le lapin de lésions thyroïdiennes par immunisation contre la thyroglobuline (216). Depuis, d’autres anticorps anti-thyroïdiens ont été mis en évidence (ils seront détaillés par la suite) possédant des propriétés cytotoxiques, activatrices ou inhibitrices sur les thyréocytes. Il semblerait donc que, chez l’homme, l’orientation vers l’une ou l’autre de thyréopathie auto-immune dépende du type et des concentrations circulantes ou tissulaires des anticorps “anti-thyroïdiens” prédominants. Il a été également observé une infiltration lymphoïde de la glande, qui caractérise l’atteinte thyroïdienne auto-immunitaire, lors de goitres multinodulaires ou au pourtour de foyer de cancers différenciés ; dans ces cas, cependant, l’infiltration est limitée et focale. Il s’agit donc là de formes frontières d’atteintes thyroïdiennes auto-immunes.

2.1.1.1. Thyroïdite de Hashimoto et thyroïdite lymphocytaire

La thyroïdite de Hashimoto (ou maladie de Hashimoto) est une thyroïdite chronique auto-immune. La première description de cette maladie est classiquement attribuée à Hashimoto en 1912 qui en a fait une caractérisation anatomopathologie précise. Cependant, il semblerait que la première description soit en fait rapportée par Ord en 1877 qui a décrit le “myxœdème” comme étant “dépendant d’une affection destructive de la thyroïde”.

Il n’existe pas de classification internationale des maladies thyroïdiennes auto- immunes permettant de définir clairement la thyroïdite de Hashimoto. Certaines définitions sont fondées sur l’étude anatomopathologique de la thyroïde : certains auteurs distinguent la thyroïdite lymphoplasmocytaire (caractérisée par une infiltration lymphoplasmocytaire de la glande) et la thyroïdite de Hashimoto (caractérisée par la présence d’une atrophie, d’une fibrose et de cellules éosinophiles dans la thyroïde). La définition clinique classique de la maladie de Hashimoto correspond à l’existence d’un goitre associée à une hypothyroïdie. Certains patients peuvent cependant être euthyroïdiens en fonction du stade d’évolution de la

L’observation de coupes histologiques de thyroïdes de chiens souffrants d’hypothyroïdie primaire a permit de mettre en évidence une infiltration lymphoplasmocytaire diffuse de la glande (lymphocytes, plasmocytes et macrophages) responsable de la destruction progressive des follicules thyroïdiens, et secondairement de leur fibrose, chez la moitié des individus. Il s’agit d’observations histologiques identiques à celles décrites lors de thyroïdite de Hashimoto (cf. infra) ce qui permet de comparer la thyroïdite lymphocytaire canine à la maladie de Hashimoto (101, 143). La thyroïdite lymphocytaire chez les Beagles d’expérience (modèle expérimental de la thyroïdite de Hashimoto) présente quelques caractéristiques propres : elle est détectée chez près de 4 à 16,2% des jeunes adultes (dans les élevages fermés) après biopsie thyroïdienne systématique (87, 187, 200), aucune lésion n’est macroscopiquement visible et les animaux ne présentent généralement pas de signes cliniques d’hypothyroïdie. En effet, l’infiltration lymphoplasmocytaire est focale et non diffuse ce qui permet une fonction thyroïdienne “normale” (289).

Des lésions histologiques de thyroïdite lymphocytaire (similaires à celles observées chez le chien hypothyroïdien) ont été observées chez le chat (après thyroïdectomie post- mortem). Cependant, ces thyroïdites n’étaient jamais associées à des signes cliniques d’hypothyroïdie (175). Une équipe allemande a obtenue une lignée de chats domestiques développant spontanément des signes d’hypothyroïdie apparaissant entre le 40ème et le 60ème jour de vie (268). Ces chats présentaient également des lésions histologiques de thyroïdite lymphocytaire associées à des titres élevés en anticorps “anti-thyroïdiens”, ce qui est en faveur d’une origine auto-immune de l’hypothyroïdie décrite chez ces chats. Pour ce qui est de la population féline générale, une seule publication fait cas d’une thyroïdite lymphocytaire spontanée responsable d’une hypothyroïdie clinique chez une chatte adulte (246). Dans ce cas précis, les coupes histologiques de la thyroïde biopsiée ont révélé une infiltration lymphoplasmocytaire diffuse du parenchyme thyroïdien avec une destruction de sa structure folliculaire comparable à celle observée lors de thyroïdite de Hashimoto ou de thyroïdite lymphocytaire canine (246).

L’autre forme clinique principale de la thyroïdite de Hashimoto est la forme atrophique (donc non goitreuse) qui est, aujourd’hui encore, qualifiée d’atrophie idiopathique car son étiologie exacte reste floue. De même, chez le chien souffrant d’hypothyroïdie primaire, la moitié des animaux présentent une atrophie thyroïdienne qualifiée, elle aussi, d’idiopathique et qui se caractérise microscopiquement par le remplacement du parenchyme

thyroïdien par du tissu adipeux et cela en l’absence (on en faible présence) de cellules inflammatoires (81). Comme chez l’homme, l’origine de cette atrophie idiopathique reste encore sujette à hypothèses ; en effet, bien qu’il ait été suggéré, dans un premier temps, qu’elle résultait d’un trouble dégénératif primaire des thyréocytes, il est maintenant supposé qu’elle représente le stade terminal de la thyroïdite lymphocytaire (lorsque la totalité du tissu thyroïdien a été remplacé par du tissu adipeux et fibreux et que la totalité des cellules inflammatoires a disparu) (47, 86). Ainsi si l’on admet que l’atrophie idiopathique est l’évolution terminale de la thyroïdite lymphocytaire, cette dernière représenterait, à elle seule, plus de 95% des causes d’hypothyroïdie chez le chien. De même, la maladie de Hashimoto et l’atrophie idiopathique sont responsables de plus de 90% des cas d’hypothyroïdie chez l’homme.

Chez l’homme, la thyroïdite de Hashimoto est l’une des dysendocrinies auto-immunes les plus fréquentes ; elle concerne entre 1 et 7% de la population générale (155) et jusqu’à 10% des personnes de plus de 75 ans (71). On note une très nette prédominance féminine (les femmes étant 15 à 20 fois plus touchées que les hommes). Bien que l’incidence de la thyroïdite de Hashimoto augmente avec l’âge, en particulier vers la cinquantaine, elle peut être décrite également chez de jeunes enfants (274).

Chez le chien, la prévalence exacte de la thyroïdite lymphocytaire reste inconnue aujourd’hui ; en effet, elle est souvent diagnostiquée qu’au stade d’hypothyroïdie clinique dont la prévalence se situe actuellement entre 0,2 et 0,8 % (219, 269). Le diagnostic de la thyroïdite lymphocytaire s’effectue généralement entre 3 et 5 ans d’âge (101) et il semble que certaines races soient plus touchées que d’autres par les thyroïdites auto-immunes. En effet, des lignées de chiens d’expérimentation (principalement des Beagles) sont, depuis longtemps, utilisées comme modèle animal de la thyroïdite de Hashimoto avec une prévalence de la maladie allant jusqu’à 16,2% chez certaines lignées (289). Haines D.M. et al. (111) ont aussi noté une plus grande prédisposition au développement d’une thyroïdite lymphocytaire chez 3 races canines : le Dogue allemand, le Setter irlandais et le Bobtail. Il semblerait que d’autres races, en plus de celles déjà citées, telles que le Doberman, le Golden Retriever, le Dalmatien, le Basenji, le Rhodesian Ridgeback, le Boxer, le Bichon maltais, le Retriever de la baie de Chesapeake, le Cocker anglais, le Berger des Shetland, l’Husky, le Border Collie, le Barzoï, le Skye Terrier et l’Akita Inu soient également prédisposées aux thyroïdites auto-immunes car il a été observé, chez ces races, des prévalences plus fortes d’anticorps “anti-thyroïdiens” que dans la population canine générale (cf. infra) (101, 170).

2.1.1.2. La maladie de Basedow

La maladie de Basedow (ou de Graves-Basedow) doit son nom à Carl Von Basedow et Robert Graves qui ont étudié cette affection à la fin des années 30. La maladie de Basedow est une thyroïdite auto-immune qui affecte près de 0,5% de la population mondiale et est la principale cause d’hyperthyroïdie (jusqu’à 70-85% des cas dans les régions où l’apport iodé est normal : 300 µg/j) (275, 281). Elle est caractérisée par une hyperthyroïdie associée à un goitre et dans la moitié des cas à une ophtalmopathie (ou orbitopathie) en raison de la présence d’auto-anticorps dirigés contre le récepteur de la TSH ayant un effet thyréostimulant. La majorité des cas de maladie de Basedow survient chez l’adulte de 20 à 50 ans. Il y a une nette prédisposition féminine puisque l’incidence est 7 à 10 fois supérieure chez les femmes que chez les hommes (281).

Il semble aujourd’hui que la maladie de Basedow n’est pas d’équivalent chez les carnivores domestiques. L’hypothèse d’une pathogénie auto-immune de l’hyperthyroïdie féline, bien que cohérente avec la nette prévalence des hypertrophies thyroïdiennes bilatérales (> 70% des cas) (alors que les deux lobes thyroïdiens sont anatomiquement indépendants), est aujourd’hui écartée. En effet, les nombreuses études voulant mettre en évidence l’existence d’immunoglobulines thyréostimulantes chez le chat hyperthyroïdien se sont révélées infructueuses (36, 212, 228).