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Adsorption des particules solides

I. Physico-chimie des interfaces

I.3. Adsorption des particules solides

A présent que l’adsorption de molécules tensioactives à l’interface a été développée, la partie suivante aborde les systèmes qui feront essentiellement l’objet de notre étude : les interfaces stabilisées par des particules solides. I.3.1. Notion d’angle de contact Les particules sphériques, adsorbées à l’interface entre phases aqueuse et huileuse, sont caractérisées par l’angle de contact θ. Sa valeur peut être calculée à partir de la loi d’Young en fonction des énergies interfaciales du solide et des deux liquides.[15] cos 𝜃 = 𝛾!"/!− 𝛾!"/! 𝛾!/! (1.11) 𝛾!"/! est l’énergie de surface entre la particule solide et l’huile, 𝛾!"/! celle entre la particule solide et l’eau et 𝛾!/! celle entre l’huile et l’eau. Ceci peut être appliqué au cas d’une émulsion, pour lequel les règles suivantes[16] ont être définies pour les particules sphériques (Figure I-6) :

- pour des particules hydrophiles, comme des oxydes métalliques, l’angle de contact est inférieur à 90°. Les particules sont alors majoritairement mouillées par la phase aqueuse ;

- pour θ proche de 90°, le système est dans un état de transition c’est-à-dire que les particules adoptent un comportement bistable. Destribats a démontré que deux états mouillants sont accessibles, ce qui correspondrait à deux minima de l'énergie d'adsorption probablement séparés par une barrière d'énergie ;

- pour des particules hydrophobes, θ > 90°. Elles seront donc majoritairement mouillées par la phase huileuse.

Figure I-6. Configuration d'une particule sphérique adsorbée sur une interface eau/huile pour un angle de contact X inférieur à 90°(à gauche), égal à 90° (au centre) et supérieur à 90° (à droite). Figure adaptée de [17]

I.3.2. Energie d’ancrage

Afin d’adsorder les particules à une interface, il est nécessaire d’avoir un mouillage partiel des particules par les deux liquides. Comme la mouillabilité dépend de l’angle de contact, la quantité d’énergie nécessaire à la désorption des particules à l’interface liquide-liquide en est influencée.[17,18]

Concrètement, la différence d’énergie, entre la particule adsorbée à l’interface et la particule en suspension dans la phase qui la mouille préférentiellement, peut être estimée. On considère une particule suffisamment petite pour que l’effet de la gravité puisse être négligé (typiquement avec un diamètre inférieur au micron) tout comme la tension de ligne qui s’applique au niveau du contact entre les trois milieux. Si une particule est en suspension dans la phase aqueuse, alors l’énergie totale s’écrit : 𝐸! = 𝛾!/!𝑆 + 𝛾!"/! 𝑆!+ 𝑆! (1.12) où S est l’aire totale de l’interface huile/eau lorsque aucune particule n’est adsorbée et Sh et Se correspondent aux surfaces immergées dans les phases huile et eau.

A présent si la particule est adsorbée, l’énergie totale du système devient :

𝐸!" = 𝛾!/! 𝑆 − 𝑆!/! + 𝛾!"/!𝑆!+ 𝛾!"/!𝑆! (1.13)

La variation d’énergie ΔE pour passer de l’état dispersé à l’état adsorbé est appelée énergie d’ancrage et est donnée par la relation suivante :

∆𝐸 = 𝐸!− 𝐸!" = 𝛾!/!𝑆!/!− 𝛾!"/!− 𝛾!"/! 𝑆! (1.14)

En combinant la relation (1.14) avec la loi d’Young qui traduit l’équilibre des forces s’exerçant au niveau de la ligne de contact particule-interface (1.11), on obtient :

∆𝐸 = 𝛾!/!𝑆!/!− 𝛾!/!𝑆!cos 𝜃 ( 1.15)

En prenant en compte la géométrie sphérique de la particule solide, on peut écrire que :

𝑆!/! = 𝜋 𝑅 sin 𝜃 ! et 𝑆! = 2𝜋𝑅!(1 − cos 𝜃) (1.16)

d’où, par substitution dans l’équation (1.15) :

∆𝐸 = 𝛾!/!𝜋𝑅! 1 − cos 𝜃 ! (1.17)

Par symétrie, l’énergie nécessaire pour désorber une particule de l’interface vers la phase huile h s’exprime selon :

∆𝐸 = 𝛾!/!𝜋𝑅! 1 + cos 𝜃 ! (1.18)

L’énergie d’ancrage est donc toujours positive et dépend du carré du rayon de la particule. Il sera donc plus aisé de désorber les petites particules.[17] A partir de l’expression précédente, Binks a estimé que pour un rayon égal à 10 nm, (avec θ = 90° et γh/e = 50 mN.m-1 à 25°C), 1000kBT étaient requis pour détacher une particule. L’ancrage est donc quasi irréversible.[19] En comparaison, pour un tensioactif, l’ordre de grandeur se situe entre 0 et 20kBT. Il est donc aisé pour une molécule tensioactive de s’adsorber et de se désorber de manière réversible. Binks a également prouvé que pour des particules de taille comparable à la plupart des tensioactifs, soit de rayon inférieur à 0,5 nm, seulement 10 kT étaient nécessaires.[19] Ce type de particule aura, par conséquent, le même comportement qu’un tensioactif à l’interface eau-huile.

I.3.3. Barrière énergétique à l’adsorption

L’adsorption des particules aux interfaces s'opère à la suite d’un processus activé tel que l’agitation mécanique ou bien par voie chimique. Cette dernière est le résultat de l’évaporation d’un solvant volatile (non miscible à l’eau) contenant les particules. Lorsque les particules ont pénétré la phase aqueuse et que ces dernières sont ancrées selon l’angle de contact d’équilibre, une phase huileuse peut être déposée. Puisque l’interface du film liquide qui sépare les particules, doit être métastable, l’énergie nécessaire pour atteindre cet équilibre requiert le franchissement d’une barrière d’adsorption. Cette question est très disputée dans la littérature, mais une grande majorité des auteurs s’accorde sur la nécessité, pour les particules, de surmonter une barrière d’énergie d’adsorption.[20–22]

Divers facteurs influencent la hauteur de cette barrière, comme les forces dipolaires globalement répulsives entre deux milieux de nature chimique différente.[12] La présence de sel, par exemple, permet l’abaissement de la barrière, conduisant à la coagulation des particules à la surface de la goutte. Des particules faiblement voire pas chargées ont tendance à former des agrégats ou à floculer ce qui n’est pas toujours considéré comme étant bénéfique pour l’adsorption interfaciale.

La tension de ligne τl est également considérée comme étant responsable de la présence de cette barrière énergétique à l’adsorption.[17,23–25] Considérée comme analogue à la tension interfaciale, bien qu’elle ne soit pas toujours positive, la tension de ligne est le résultat des forces qui existent entre l’interface huile/eau et la surface solide de la particule, au niveau de la ligne de triple contact.[26,27] Pour connaître la force appliquée au niveau de cette ligne, il est donc nécessaire d’associer au bilan des forces d’Young (1.11) une force due à la courbure de la ligne. Cette dernière est l’équivalent de la pression de Laplace appliquée à une surface courbe dont la direction est normale à la ligne et d’intensité τl /r.

Selon le modèle de Marmur, la tension de ligne vaut environ 10-11 N.[28] Néanmoins, plusieurs publications font état de valeurs, négatives ou positives, allant jusqu’à 10-6 N, soit 5 ordres de grandeurs au dessus du modèle. Comme la mesure de τl est très délicate,[29,30] les valeurs acceptables sont comprises entre 10-11 et 10-10 N.

Concrètement, on considère une particule sphérique de rayon R initialement immergée dans une phase et soumise à une « poussée » verticale à travers une interface liquide-liquide plane. La pénétration de la particule dans la seconde phase est caractérisée par

une variation d’énergie ΔE sachant que la hauteur d’immersion de la particule h =

R(1+cosθ) fixe la valeur de l’angle de contact θ. En tenant compte de la tension de ligne

et le fait que l’interface au proche voisinage de la particule n’est pas déformée et reste plane, on obtient l’expression suivante :

∆𝐸 = −𝛾!/!𝜋𝑅! 2 cos 𝜃! 1 − cos 𝜃 − sin!𝜃 + 2𝜋𝑅𝜏 sin 𝜃 (1.19)

où θ0 est la valeur de l’angle de contact à l’équilibre, en l’absence de tension de ligne .

Figure I-7. Evolution de ΔE avec l’angle de contact θ selon différentes valeurs de la tension de ligne τl, pour une particule poussée à travers une interface liquide/liquide plane et pour laquelle τl est positive. Figure adaptée de [17] De manière générale, la courbe représentant ΔE en fonction de θ montre deux maxima, que sont les points A et C, et un minimum au point B (Figure I-7). Le point A représente la barrière énergétique à franchir afin d’atteindre la position d’équilibre de la particule à l’interface (point B). La valeur de la tension de ligne et donc de ΔE va dépendre de la relation entre θ et les valeurs de l’angle de contact au maximum et au minimum m) défini par :

cos 𝜃 = cos 𝜃! 1 − 𝜏!

𝛾!/!𝑅 sin 𝜃! (1.20) On distingue différents cas de figures selon la variation de la valeur de la ligne de base :

- 1er cas : τl = τc où τc représente la valeur critique de la tension de ligne pour laquelle l’énergie de pénétration de la particule est au minimum (ΔE = 0), pour toutes les valeurs de τl < τc la courbe présente une barrière énergétique pouvant retarder l’adsorption des particules,

- 2ème cas : τl = τmax où τmax représente la valeur maximale de la tension de ligne, alors ΔE passe par un maximum,

- 3ème cas : τc < τl < τmax alors la valeur de ΔE est positive et la particule à l’interface se trouve dans un état métastable,

- 4ème cas : τl > τmax la particule ne peut plus s’adsorber à l’interface et ΔE ne présente plus de minimum. Aucun état métastable ou stable n'est possible et l’émulsion ne peut pas être produite.

Cependant, pour des émulsions de Pickering, la méthode d’ancrage privilégiée est l’agitation mécanique. Puisque l’état d’agrégation des particules colloïdales en suspension est très variable et dépend des propriétés de la phase continue, les arrangements à l’interface en seront également influencés.

I.3.4. Adsorption d’une assemblée de particules à une interface

L’état d’adsorption de particules à une interface va dépendre des arrangements variables qu’elles peuvent adopter selon leur concentration, le mode d’adsorption ainsi que des interactions latérales déployées une fois les particules adsorbées. Il existe trois cas de figure pour des interfaces modèles selon le type d’interactions :

- globalement répulsives mais la densité surfacique est faible : le système est analogue à un gaz bidimensionnel avec des particules disjointes et aléatoirement réparties sur la surface,

- répulsives avec une forte densité surfacique : les particules adoptent un arrangement peu compact,

- globalement attractives : les sphères au contact peuvent former des amas ramifiés à deux dimensions, comparables aux clusters fractals observés à trois dimensions. [31,32]

Binks a caractérisé l’état d’adsorption des particules de silice, partiellement fonctionnalisées, à l’interface toluène-eau.[33] Son étude est basée sur la caractérisation ellipsométrique de l’état des couches après que des quantités variables de particules, dispersées dans le méthanol, ont été épandues directement à l’interface par une microseringue. Les auteurs ont ainsi démontré que la monocouche formée était d’autant plus compact que la quantité de particules déposée était grande. Ils ont également déterminé, qu’au-delà d’une concentration excessive, les particules tendent à former des bicouches voire des monocouches dites « froissée », ce qui signifie que les aspérités

formées sont d’amplitude inférieur ou supérieure au rayon des particules. L’ellipsométrie ne permet pas de distinguer ces deux cas (bicouche ou monocouche froissée)

Les conclusions sur les états d’adsorption ont été portées sur des interfaces modèles où, en général, les particules sont déposées à l’aide d’un solvant puis l’aire est diminue progressivement. Les émulsions de Pickering sont pourtant, dans la majorité des cas, formées par agitation mécanique. De ce fait, l’état d’agrégation des particules dans le volume avant adsorption, tout comme l’intensité et le type d’agitation influencent l’état final de la couche formée. On peut donc supposer que si les particules sont initialement floculées, alors il est très probable que l’adsorption s’effectue à l’échelle de l’agrégat et non à l’échelle de la particule individuelle. Arditty a varié le type d’apport en énergie sur un système PDMS-eau dont la quantité de particules est connue.[34] Les émulsions ont été fabriquées à partir de deux techniques et pour différentes quantités de particules. Une émulsion a été obtenue sous agitation manuelle douce, l’autre sous écoulement turbulent (homogénéiseurs de type Ultra-Turrax ou microfluidiseur à haute pression – voir Chapitre 2). Les diamètres moyens en surface ont ensuite été analysés. L’auteur a alors pu estimer la couverture de l'interface par les particules. Dans le cas d'un fort apport d'énergie la quantité d'interface, à composition identique, est dix fois supérieure à celle stabilisée par une agitation manuelle. Lors de l'homogénéisation, les agrégats initiaux de particules sont détruits et les particules s'adsorbent individuellement formant une monocouche dense. Dans le cas de l'agitation manuelle, ce sont les agrégats de particules qui s'adsorbent à l'interface. En variant à la fois la quantité de particule et l'énergie apportée, il montre qu'une large gamme de taille de gouttes peut être atteinte.[34].