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l'adoption de nouvelles pratiques de gestion des fourrages par les producteurs agricoles

M.-C. Coulombe1, D. Parent1 et É. Charbonneau1

'Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, Université Laval, Québec, Qc

Résumé

Une étude exploratoire a été menée dans le but d'amener de nouvelles connaissances sur les motivations et les freins à l'adoption de quatre pratiques reliées à la valorisation des fourrages par les producteurs laitiers québécois.

Avant et après l'essai sur les fermes d'une grille d'évaluation de la valorisation des fourrages, les 20 participants à l'étude étaient interrogés sur l'adoption des pratiques suivantes : le calcul du rendement des champs, le calcul du coût de production des fourrages, l'évaluation de l'efficacité des chantiers de récolte et le calcul de la consommation volontaire de matière sèche des vaches en lactation. L'amélioration des performances et l'augmentation des revenus sont les principales raisons évoquées pour adopter une de ces pratiques. Lorsqu'une pratique n'est pas mise en place, les motifs mentionnés sont le manque de temps, le manque d'information et le fait que ce n'est pas un besoin ou une priorité pour les producteurs. La nature du travail et la complexité des pratiques ont été identifiées comme des freins à leur utilisation. L'importance du rôle des conseillers et des pairs dans le processus d'adoption a été mise en lumière. Il a également été démontré que l'utilisation de la grille d'évaluation de la valorisation des fourrages facilite l'adoption des quatre pratiques proposées.

Les résultats obtenus ont permis d'identifier des pistes de réflexion qui pourront servir de bases à des études futures sur l'adoption des innovations en agriculture.

3.1 Introduction

Le milieu agricole se transforme constamment. Pour demeurer compétitifs et ainsi améliorer la durabilité économique de leur ferme, les producteurs doivent adapter leurs façons de faire au fur et à mesure que de nouvelles connaissances sont rendues disponibles. Toutefois, les innovations proposées par les scientifiques ne sont pas toutes adoptées au même rythme par les producteurs (Pannell et al., 2006; Jansen et al., 2010). Dans le domaine de la valorisation des fourrages, les bonnes pratiques de gestion des fourrages tardent à être appliquées de façon optimale sur les entreprises québécoises. Coulombe et al. (2012) ont misé sur le développement d'un outil d'évaluation de la valorisation des fourrages pour améliorer l'adoption de ces pratiques sur les fermes laitières.

Deux théories principales s'affrontent pour expliquer les mécanismes d'adoption des innovations. Selon le modèle linéaire de Rogers (2003), les nouveautés avantageuses devraient se propager d'elles-mêmes, tel un virus, parmi les utilisateurs. Dans ce modèle, les usagers adoptent quasi-automatiquement les innovations telles que proposées par les concepteurs. Cette vision est toutefois critiquée par Callon et Latour (1985) qui préconisent un modèle dit tourbillonnaire. Selon ce dernier modèle, les utilisateurs tiennent un rôle actif dans le processus d'adoption qui est parsemé d'essais et d'erreur et est en constante évolution.

Dans un autre ordre d'idées, les caractéristiques des innovations, les canaux de communications utilisés, le type de décision liée à l'adoption, la nature du système social des adoptants et l'opinion des conseillers face à l'innovation ont été identifiés par Rogers (2003) comme étant des déterminants à l'adoption des innovations.

Afin de permettre des interventions mieux ciblées qui amélioreront le transfert des connaissances entre scientifiques et producteurs, la diffusion et l'adoption des innovations doivent être étudiées. Le but de cette étude est donc d'amener de nouvelles connaissances à ce sujet, notamment par l'identification de facteurs facilitant ou freinant la mise en place sur des entreprises laitières de quatre pratiques en lien avec la valorisation des fourrages.

3.2 Méthodologie

3.2.1 Approche méthodologique

Une étude exploratoire qualitative a été menée pour identifier les motivations et les freins à l'adoption de quatre pratiques en lien avec la valorisation des fourrages sur des fermes laitières québécoises. Ce type de méthodologie a été privilégié car elle vise à recueillir de l'information pour ensuite être en mesure de poser des hypothèses et d'identifier des devis de recherche les plus appropriés en vue d'études plus exhaustives sur le sujet (Trudel et al., 2007).

3.2.2 Participants

Les participants étaient 20 producteurs laitiers provenant de trois régions du Québec : le Bas-St-Laurent (8), la Beauce (7) et le Centre-du-Québec (5). Il s'agit de volontaires qui ont été recrutés par un de leurs conseillers. Ces entreprises ont d'abord été sélectionnées pour faire l'essai d'une grille d'évaluation de la valorisation des fourrages au cours de l'été 2010 (Coulombe et al., 2012). L'étude de l'adoption des pratiques en lien avec la gestion des fourrages est un volet secondaire de ce projet de recherche. Les critères de sélection étaient donc ceux établis pour assurer un essai efficace de la grille d'évaluation en conditions commerciales. Ainsi, les fermes ont été choisies dans le but d'avoir des entreprises diversifiées en ce qui a trait à leurs méthodes de production. Cela était nécessaire pour s'assurer que la grille soit utilisable dans tous les contextes. L'obtention d'un échantillon représentatif de la population de producteurs québécois n'était pas un objectif à atteindre lors de la sélection.

Les participants étaient âgés en moyenne de 36,7 ± 10,1 ans (moyenne ± écart-type) et détenaient majoritairement une formation agricole de niveau collégial. Une relève était présente sur 75 % des entreprises qui comptaient en moyenne 70,6 ± 29,2 vaches adultes.

3.2.3 Pratiques étudiées

La grille d'évaluation de la valorisation des fourrages est divisée en quatre axes d'analyse. Pour chacun de ces axes, une pratique a été sélectionnée pour en étudier l'adoption par les

producteurs. Les pratiques étudiées sont : le calcul du rendement des champs (Axe « production de fourrages »), le calcul du coût de production des fourrages (Axe « coût de production des fourrages »), l'évaluation de l'efficacité des chantiers de récolte (Axe « efficacité des chantiers de récolte ») et le calcul de la consommation volontaire de matière sèche (CVMS) des vaches en lactation (Axe « utilisation des fourrages par le troupeau ») (Coulombe et al., 2012). Au cours de l'été 2010, les participants devaient mettre en place ces quatre pratiques sur leur entreprise.

3.2.4 Questionnaires

Les participants ont été interrogés à l'aide de deux questionnaires (annexe 3 et 4). L'un des questionnaires a été rempli avant l'essai de la grille; 19 des 20 producteurs y ont répondu. Le second questionnaire a été rempli après l'essai de la grille; 16 des 20 producteurs y ont répondu. Les participants ont répondu aux questionnaires lors d'une entrevue (13 sur 19 et 11 sur 16) ou de façon individuelle (3 sur 19 et 5 sur 16). Les questions étaient de types à choix de réponse ou à développement court et différaient selon le type d'adoptant.

Dans le premier questionnaire (pré-essai), trois types d'adoptant étaient identifiés : adoptant (producteur mettant la pratique en place avant le projet), ancien adoptant (producteur ayant déjà mis la pratique en place, mais plus au moment d'entreprendre le projet) et non adoptant (producteur n'ayant jamais mis la pratique en place). Dans le second questionnaire (post-essai), le type nouvel adoptant a été ajouté. Un nouvel adoptant correspond à un producteur qui était ancien ou non adoptant avant le projet, mais qui a l'intention de mettre la pratique en place après en avoir fait l'essai. Étant donné que le titre d'ancien adoptant a seulement été attribué à deux reprises et que ce type d'adoptants avait les mêmes caractéristiques que les producteurs non adoptants, les résultats des producteurs anciens adoptants et non adoptants ont été combinés lors de l'analyse.

Les informations recueillies par les questionnaires portaient sur le portrait général des entreprises et les sources d'informations agricoles des producteurs. De plus, pour chacune des pratiques proposées, les participants étaient interrogés à propos de l'état actuel de l'adoption, les inconvénients et les avantages, les motifs d'adoption et de non-adoption, leurs intentions futures au niveau de l'adoption et le processus d'adoption.

3.2.5 Analyse des données

L'analyse des contenus d'entretien a été effectuée en regroupant par thèmes les réponses pour les questions ouvertes et en compilant celles pour les questions à choix multiples. Les résultats ont ensuite été présentés sous forme de pourcentages. Pour ce faire, un chiffrier Excel a été utilisé.

3.3 Résultats

3.3.1 Motifs d'adoption et de non-adoption

Les producteurs ayant mis en place les pratiques ont mentionné l'avoir fait principalement pour améliorer leurs performances (Tableau 3.1). Le deuxième motif d'adoption en importance est l'augmentation des revenus. À eux seuls, ces deux motivations représentent 62 % des réponses obtenues. Les participants ayant choisi d'adopter les pratiques proposées suite à l'essai (nouvel adoptant) l'ont fait pour les mêmes raisons, soit l'augmentation des performances dans 42 % des cas et l'augmentation des revenus dans 26 % des cas (Tableau 3.1). Les producteurs non adoptants ont indiqué qu'ils emploieraient ces pratiques si elles leur permettaient d'augmenter leurs revenus et leurs performances. Assurément, il s'agit des principaux motifs des participants pour le choix de nouvelles pratiques. Aussi, dans 32 % des cas, les producteurs adoptants ont dit faire usage de nouvelles façons de faire depuis qu'ils sont devenus propriétaires de l'entreprise. Un changement dans l'équipe de gestion d'une entreprise agricole semble donc influencer positivement l'adoption.

Comme motifs de rejet des pratiques proposées, les producteurs non adoptants ont nommé le manque d'informations sur la méthode et ses avantages, le manque de temps et le fait que ce n'est pas un besoin ou une priorité pour eux (Tableau 3.2). Les producteurs nouvellement adoptants n'utilisaient pas les pratiques avant l'essai principalement par manque d'informations ou parce qu'ils n'en ressentaient pas le besoin (Tableau 3.2).

Tableau 3.1. Motifs d'adoption des pratiques de gestion des fourrages par les producteurs « adoptants » et « nouveaux adoptants ».

Motifs d'adoption %

Amélioration des performances 37

__

C Augmentation des revenus 25

-M ft

o Proposition d'un conseiller 8

-o

< Comparaison avec d'autres producteurs 8

Autres 23

Amélioration des performances 42

X sn

r d •*->

5 B Augmentation des revenus 26

> ft 3 o

Obtention de données précises 23

Comparaison avec d'autres producteurs 6

Convaincus par l'essai 3

Tableau 3.2. Motifs de non-adoption des pratiques de gestion des fourrages par les producteurs « non adoptants » et de non-adoption préalable des producteurs « nouveaux adoptants ».

Motifs de non-adoption %

Manque d'information 21

Manque de temps 21

LYI

- t — » N'est pas un besoin, une priorité 21

+3

OH

O Pratique non répandue 10

-a

r- Pratique complexe 4

O