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« C’est clairement différent de travailler avec un public jeune et avec un public de plus de 26 ans. Je préfère ce public jeune. » (Conseillère, mission locale.)

Si les professionnels rencontrés ont une certaine représentation des jeunes au départ, qui n’est pas toujours positive, ils affirment paradoxalement que travailler pour ce public-là peut être vécu comme un défi stimulant au quotidien, source certes de difficulté mais sur- tout de beaucoup de satisfaction. Pour eux, accompagner des adultes en devenir reviendrait quelque part à contribuer à une « promesse d’avenir ». Dans un contexte où le paysage ins- titutionnel est complexe, avec un nombre important « d’accompagnateurs potentiels », on remarque une préoccupation montante quant à l’adaptation des façons de faire aux profils et aux besoins. L’accompagnateur a-t-il besoin d’inventer de nouvelles manières de faire afin d’amener les jeunes vers lui, et après pour qu’ils restent et aient envie d’aller jusqu’au bout de ce qu’ils sont venus chercher ?

Les professionnels intervenant auprès des adultes aussi sont unanimes pour affirmer que les difficultés des publics peu qualifiés se ressemblent, qu’ils soient jeunes ou plus expéri- mentés. En revanche, le travail avec les jeunes se présente comme un défi plus important et finalement rapidement récompensé. Autrement dit, le jeune à accompagner est au début de sa trajectoire, il a toute sa vie devant lui, et l’aide qui lui serait apportée est perçue ainsi comme contribution directe à un « bon départ dans la vie ».

25. « Le recours aux opérateurs privés de placement pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi en difficulté d’insertion : le retour à l’emploi à l’horizon de 8 mois », Dares Analyses, no 002, janvier 2012.

26. DELESALLE C., MARQUIÉ G. (dir.), L’information des jeunes sur Internet : observer, accompagner. Expérimentation d’outils avec les professionnels de jeunesse, INJEP, coll. « Les Cahiers de l’action », no 36, 2012.

27. À ce sujet, voir l’expérimentation portée par treize universités françaises dans le cadre du Fonds d’expérimentation de la jeunesse, le portefeuille d’expériences et de compétences (PEC). Il s’agit d’un outil numérique en ligne mettant à disposition des étudiants des informations utiles à la construction des parcours étudiant et professionnel.

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C’est justement en matière d’outils, de supports que les professionnels peuvent le plus prendre en compte la spécificité jeunesse : on n’accompagne pas toujours de la même manière les jeunes et moins jeunes, même si la base est commune.

L’informalité

La dimension informelle est apparue très souvent dans les échanges avec les professionnels des structures de proximité principalement, mais il n’a pas été rare d’entendre d’autres in- tervenants, y compris ceux de Pôle emploi, évoquer la tentative d’introduire de la souplesse dans le rapport à l’accompagné. Parce qu’un jeune est un jeune, parfois en situation de vul- nérabilité, cet espace d’informalité permettrait entre autres choses d’adapter « l’institution » aux jeunes, en les amenant peu à peu à elle. C’est ce qui permet aux professionnels de sortir du « cadre », de déplacer les lignes si nécessaire, de créer des réponses jugées utiles, pertinentes à un moment donné, même si elles n’ont pas été prévues dans les textes.

« J’ai eu le cas d’un jeune, en 3e SEGPA, très difficile, à qui j’expliquais qu’il devait enlever sa casquette, il refusait… je l’ai accompagné trois ans, durant ce temps, il ne m’a pas souri pendant deux ans et demi. Il venait à 12 h 30 lorsque je lui donnais rendez-vous à 10 heures. Quand je le lui reprochais il faisait un scandale […] au bout de deux ans et demi, le déclic, il voulait se marier, be- soin donc de travailler. Il a voulu passer le permis, je l’ai soutenu dans cette démarche. Il a eu assez confiance en lui pour passer les tests de facteur à La Poste. Ça doit faire trois ans qu’il est en CDI, alors qu’avant il ne pouvait pas se lever avant 12 heures. Avant j’étais stricte sur l’heure, désormais je le suis moins, car autour de l’heure, il y a un entretien à mener. » (Conseillère, mission locale.)

Dans ce sens, informalité et convivialité vont de pair, et très souvent est évoquée l’impor- tance du contact d’abord informel, autour d’un café, lors d’une fête, à travers la connais- sance de la famille. Si beaucoup font référence à cet effort pour progressivement montrer aux jeunes comment les structures fonctionnent, quelles sont leurs règles, d’autres accom- pagnateurs refusent catégoriquement, au nom du principe de l’autonomie et du respect des règles du bien vivre en société. Nous sommes en droit dès lors de nous demander si tous les jeunes doivent être concernés par cette injonction à l’autonomie, avant même d’avoir com- mencé à réfléchir au sens que l’autonomie revêt dans leur vie et alors même qu’ils viennent pour une autre raison. Or si l’autonomie est véritablement un référentiel présent dans de nombreuses politiques publiques en France, il ne faut pas oublier que l’accompagnement socioprofessionnel est censé éviter le renvoi à la responsabilisation, voire à la culpabilisa- tion, des jeunes en situation de vulnérabilité28.

De l’autre côté, faire preuve d’une grande disponibilité et d’une informalité bienveillante constante peut également aboutir à une dérive, c’est-à-dire justifier l’accompagnement pour l’accompagnement, indéfiniment, à partir du moment où le jeune ne sait plus agir « seul ». Aux professionnels de trouver le juste équilibre, en fonction notamment des profils, sans jamais laisser croire qu’ils seront éternellement là.

« Moi je dis au jeune : “Dès que tu ne trouves pas de travail, tu viens me voir deux fois par semaine, si je te vois pas pendant une semaine ça signifie que t’as trouvé.” Après une semaine je l’appelle pour savoir si, “oui ou non”, il a trouvé du travail, sinon je lui dis de venir me voir. » (Médiatrice, association locale.)

Mise en avant comme une force, l’informalité a ses limites, du côté de la dynamique mo- tivante qu’elle est capable ou pas de susciter chez les jeunes accompagnés. Pourtant, elle reste souvent l’élément constitutif de la première phase du processus d’accompagnement, lorsque le lien est en cours de construction.

28. DUVOUX N., L’autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion, Presses universitaires de France, coll. « Le lien

social », Paris, 2009 ; BIER B., op. cit.

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63 Pour établir le lien entre la sphère privée et le public, certains « espaces transitionnels » d’accompagnement jouent également un rôle non négligeable : tel est le cas de la voiture, utilisée lors de trajets par les éducateurs de club de prévention. Le face-à-face se construit à l’intérieur de cet espace privé, dans l’interface entre l’intime et le public, entre le privé et le professionnel, pour les deux acteurs concernés, le jeune et l’éducateur. C’est là que peuvent être posées les premières questions d’ordre professionnel, au détour d’une conver- sation personnelle.

« La voiture […] on peut l’utiliser comme bureau, ce qui est très intéressant c’est dans le cadre des accompagnements […] on fait le jeu du taxi, c’est souvent à partir de ce contexte qu’on trouve la relation, on est dans un contexte très fermé, protégé […] on ne se regarde pas, mais on voit dans la même direction […]. Dans les deux sens, le jeune peut nous dire quelque chose plus librement, mais nous aussi pouvons dire quelque chose sans le cadre du bureau, on peut mieux faire passer le message, de façon plus intéressante. » (Éducateur, club de prévention.)

La voiture fonctionne comme la barrière de protection, l’espace où l’on se met à l’abri des regards et où tout ou presque peut être dit, partagé. Les accompagnateurs l’assimilent à la notion de plaisir pour les jeunes, une entrée en matière pour le moins arrangeante.

Le plaisir ou « la carotte »

L’embarras à s’éloigner des cadres contraignants des dispositifs, avec leurs règles figées lais- sant peu de place à la créativité des professionnels, fut souvent évoqué dans les échanges. Pourtant, nous avons rencontré quelques structures portant des projets plus décalés, mo- bilisant davantage la dimension éducative, émancipatrice des publics. Tout d’abord, grâce à des expériences où les apprentissages, quels qu’ils soient, se fondent sur le jeu et le ludique. C’est notamment le cas de chantiers éducatifs, où l’on trouve des missions relati- vement faciles à réaliser en petits groupes, à faible technicité, lors desquels sont abordées des notions de base avec les jeunes en quête d’insertion. La socialisation professionnelle emprunte dès lors des chemins déviés afin de faire venir, progressivement, à la « tâche », en tant qu’activité à accomplir. Ainsi, des halls d’immeuble sont refaits, des jardins réhabilités, des sites sauvegardés. D’autres fois, le prétexte est de passer par le sport et ses « valeurs éducatives », grâce aux règles d’une discipline sportive, le travail collectif, l’envie de se dépasser, la recherche de ses limites. Le loisir n’est pas en reste, et il n’est pas rare de voir nombre de structures proposer, en plus de l’accompagnement personnalisé, des sorties théâtre, cinéma, musée29.

« […] Les aider à gagner un peu d’argent de poche, ça permet de se projeter… un petit quelque chose, pour se faire plaisir, acheter ce qui fait envie […]. À notre manière, on essaie de réinventer… on n’oublie pas notre action éducative. Avec le théâtre de la ville nous avons un bon partenariat… On savait qu’à chaque spectacle ils avaient besoin de personnes pour la mise sous pli. On leur a demandé de nous laisser proposer ce job aux jeunes… c’est un prétexte qui rapporte, ce n’est pas un travail, un vrai travail… on ne les trompe pas, mais ça leur donne l’occasion de parler avec les gens, d’aller voir les commerçants, d’aller au théâtre, de parler aux comédiens, de découvrir des métiers. » (Directeur, club de prévention.)

L’extrait ci-dessus illustre bien l’équilibre recherché entre mission éducative et principe de réalité, vis-à-vis du jeune et de la réalité qui est la sienne, dans une société de consomma- tion qui lui fait sans cesse des « appels du pied ».

L’idée à retenir est bien que les structures et les professionnels sont conscients de cette réalité-là et y sont attentifs ; ils font leur possible, la plupart du temps, pour l’intégrer, à la posture d’accompagnement.

29. Activités proposées par des structures de proximité, de type association locale, maison de quartier, mais également par les missions locales, grâce notamment à des chèques loisirs.

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Expérience/initiative