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Chapitre 1 : Synthèse bibliographique

2. L’écosystème mangrove

2.2. Composition de l’écosystème mangrove

2.2.1. Compartiment végétation

2.2.1.2. Adaptations des palétuviers aux conditions environnementales

Les écosystèmes de mangrove sont soumis à des contraintes environnementales variables telles que l’instabilité et l’hydromorphie du substrat, le cycle des marées, la salinité, la luminosité, la température, le déficit des sédiments en oxygène lié à l’inondation du substrat et l’alternance des saisons sèches et humides. Les palétuviers ont développé des adaptations physiologiques telles que des systèmes racinaires particuliers ou des systèmes facilitant la respiration (Feller et

al., 2010).

L’un des facteurs environnementaux le plus contraignant dans une mangrove est la salinité du sol. Elle est dépendante de la mangrove considérée, les concentrations en chlorure de sodium allant de 33 g.L-1 dans l’eau de mer jusqu’à 110 g.L-1 dans les zones moins soumises aux marées comme au niveau du tanne (i.e. marais salants formés à l’arrière des mangroves par l’évaporation à marée basse). De plus, la salinité varie en fonction de la quantité d’eau douce présente à la surface du substrat, qui dilue le sel, et du phénomène d’évaporation qui concentre les ions et augmente la salinité (M. C. Ball, 2002). Les plantes vivant dans les mangroves sont des halophytes non obligatoires donc elles ont une tolérance au sel mais n’ont pas de besoin spécifique en sel pour leur développement. Cependant des concentrations en sel trop élevées peuvent avoir un impact négatif sur le taux de croissance et le métabolisme des palétuviers (Feller et al., 2010) car elles entraînent une pression osmotique élevée au niveau des racines. Afin de maintenir le métabolisme cellulaire et une activité photosynthétique optimale, les palétuviers doivent maintenir une quantité d’eau douce suffisante dans leurs cellules, ainsi que l’équilibre osmotique (Munns et Tester, 2008). Ils mettent alors en place plusieurs mécanismes comme la modification de l’anatomie des stomates pour éviter la perte d’eau (Tomlinson, 2016) ou la formation de feuilles plus petites, plus épaisses et orientées verticalement pour réduire les expositions directes au soleil et limiter l’évapotranspiration (Lovelock et Ball, 2002). Au niveau physiologique, les espèces halophiles de mangrove peuvent (i) contrôler l’assimilation des ions sodium et chlorure dans leur cellules, (ii) les isoler des organites sensibles à l’excès de sel, les stocker puis les excréter par des glandes spécialisées et (iii) produire des solutés compatibles pour maintenir l’équilibre osmotique (Lovelock et Ball, 2002; Flowers et Colmer, 2008). Les palétuviers des genres Avicennia, Acanthus, Aegialitis et Aegiceras sont qualifiés de « sécréteurs » car ils ont la faculté d’excréter le sel absorbé par des glandes sur la face inférieure des feuilles. Ce mécanisme conduit à l’apparition de larges cristaux de sel sous la feuille, responsable de leur nom de « palétuviers blancs » ou « palétuviers gris ». A l’inverse les

33 palétuviers des genres Rhizophora, Sonneratia et Bruguiera empêchent l’entrée de sel dans leurs cellules par un système d’ultrafiltration très actif au niveau de l’endoderme racinaire. Ce mécanisme exclue les sels dissous de l’eau absorbée grâce à une filtration membranaire. Ce processus n’est cependant pas efficace contre les embruns, certains palétuviers tels que les

Xylocarpus et Exoecaria agallocha stockent le sel dans leurs feuilles et l’évacuent dans les

feuilles sénescentes (Spalding et al., 2010).

Le second facteur environnemental qui influence la croissance des mangroves et leur zonation est la tolérance à la submersion à chaque marée (Robertson et al., 1992). Afin de lutter contre la faible teneur en oxygène ou l’anoxie des sédiments consécutive à la saturation du sol par l’eau de mer (Gibbs et Greenway, 2003) au-delà de 40 à 50 cm de profondeur (Marchand et al., 2004), certains genres de palétuviers se sont adaptés morphologiquement par la formation de structures racinaires particulières qui permettent de maintenir l’approvisionnement constant en oxygène. Pour cela ils ont développé des racines aériennes dont deux types ont été recensés dans les mangroves : les racines échasses des palétuviers du genre Rhizophora, parfois des genres Bruguiera et Ceriops, et les pneumatophores des palétuviers des genres Avicennia,

Laguncularia et Sonneratia (se référer à la Figure 9 précédente). Les racines échasses des Rhizophora sont des racines aériennes partant du tronc ou des branches les plus basses. Elles

sont caractérisées par la présence de cellules spécialisées appelées lenticelles facilitant la respiration des arbres, continuellement soumis aux submersions par les marées. A chaque exondation des racines, les lenticelles permettent le stockage de molécules d’oxygène qui seront ensuite absorbées par le palétuvier lors de sa submersion. Ce phénomène crée une dépression qui favorisera l’absorption de nouvelles molécules d’oxygène à la prochaine période d’exondation des racines. Les pneumatophores des Avicennia, Laguncularia et Sonneratia émergent des sédiments à partir des racines souterraines, ils accumulent l’air à marée basse et le redistribuent dans l’arbre à marée haute (Spalding et al., 2010). Les pneumatophores peuvent s’étendre à de longues distances de l’arbre concerné. La tolérance à l’inondation est différente suivant les espèces. Une étude en Chine a montré que les Avicennia étaient plus sensibles à l’inondation fréquente que les Rhizophora et les Bruguiera, ils vont privilégier une répartition en arrière mangrove, moins exposés aux marées (He et al., 2007) bien qu’ils peuvent être trouvé en front de mer.

Les systèmes racinaires particuliers des palétuviers tels que les racines échasses leur permettent aussi de lutter contre l’instabilité sédimentaire, en favorisant leur ancrage dans le substrat et ainsi leur résistance aux effets mécaniques des marées et des vagues. Dans le même objectif,

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les genres Bruguiera, Xylocarpus et Ceriops ont développé des racines genouillées (Figure 9). Ce sont des racines souterraines peu profondes formant des arcs en forme de genoux à la surface du sol (Tomlinson, 2016). De plus, les adaptations racinaires accroissent la rétention des sédiments dans les mangroves (Feller et al., 2010). La sédimentation est un processus extrêmement important dans les mangroves et a une influence sur les interactions entre les mangroves et les habitats côtiers, ainsi que sur les réponses des mangroves aux hausses du niveau des mers et aux orages intenses (Krauss et al., 2003; Day et al., 2008).

Beaucoup de familles de palétuviers tolérantes à la salinité et à l’inondation par les marées ont évolué vers des stratégies de reproduction spécialisées en adoptant la viviparité comme mode de reproduction sexuée (Rhizophoraceae, Avicenniaceae, Myrsinaceae, Pelliceriaceae) (Feller

et al., 2010). Une fois la propagule formée, si les conditions sont favorables et le terrain est

propice à l’ancrage, les propagules vont développer un système racinaire et donneront de nouveaux arbres (Spalding et al., 2010).

La résistance des espèces végétales de mangrove à l’ensemble des contraintes environnementales fluctuantes dans ces écosystèmes suggère que ces espèces ont une haute capacité de plasticité en comparaison avec la plupart des espèces terrestres. L’adaptation des palétuviers en réponse à la salinité, la disponibilité en nutriment, l’inondation par les marées, l’instabilité sédimentaire et le climat, influencent la composition des mangroves et à terme leur rôle dans le cycle des nutriments et du carbone (Feller et al., 2010).