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1.5 Organisation du manuscrit

2.1.4 Activation du but

D’après Kruglanski et al. (2015), le but doit être activé pour engendrer un comportement. Comme le montrent les nombreuses études appliquant la théorie de la fixation d’objectifs (Locke & Latham, 2002, 2006) cette activation peut se faire de manière tout à fait consciente via l’intervention d’un tiers, l’expérimentateur dans ce cas précis. Nous pouvons en revanche nous poser la question de l’acceptabilité d’une technologie qui fixerait de façon autoritaire des objectifs à ses utilisateurs. En effet, si ce type de dispositif est tout à fait possible dans un contexte expérimental, il y a fort à parier qu’il se heurte à l’inverse à des problèmes d’incompréhension voire à un fort

rejet s’il était appliqué dans un contexte d’utilisation réelle. Ces effets négatifs pourraient s’expliquer par le fait qu’il peut y avoir un décalage entre le but proposé (ou imposé) par un tel système et celui poursuivi effectivement par l’utilisateur lorsqu’il utilise ce système. Dans un registre sensiblement différent, ce problème est d’ailleurs relevé par Spaargaren et al. (2013) au sujet des labels indiquant l’impact carbone de produits alimentaires dans une cafétéria. Les auteurs notent en effet une forte défiance des utilisateurs de la cafétéria vis-à-vis du système d’étiquetage, surtout lorsque celui-ci va à l’encontre de leur habitudes ou préférences alimentaires.

Une possibilité pour éviter de tels problèmes est d’activer un but de façon inconsciente, en utilisant par exemple un protocole d’amorçage. Bargh, Gollwitzer, Lee-Chai, Barndollar, et Trötschel (2001) ont développé une série d’études et ont démontré que des buts spécifiques peuvent être activés de façon inconsciente (« triggered outside of awareness », p.1). Dans leurs études, les auteurs ont testé l’influence de différentes techniques d’amorçage sur le comportement et la performance dans des tâches précises, comme la résolution de puzzle. Les résultats montrent que l’utilisation de ces techniques influence les comportements et la performance et ce de façon comparable à la fixation explicite d’un objectif.

Plus récemment, Chun, Kruglanski, Sleeth-Keppler, et Friedman (2011) montrent qu’il est possible, toujours via une tâche d’amorçage, d’activer un objectif spécifique de façon inconsciente et que cet objectif impacte effectivement le jugement et la décision. Dans une série d’études, ils s’intéressent en effet à la façon dont les objectifs, qu’ils soient activés explicitement ou implicitement, influencent le jugement des individus. Dans leur première étude, ils répliquent le protocole expérimental utilisé par Nisbett et Wilson (1977) dans lequel les participants doivent choisir une paire de

2.1. Les buts comme source des comportements

chaussettes parmi quatre (identiques) selon leur qualité et justifier leur choix. Les résultats de l’étude d’origine montrent que les participants choisissent majoritairement les deux paires situées à droite. Chun et al. (2011) reprennent ce protocole en divisant les participants en deux groupes.

Dans le premier, les participants sont invités à prendre autant de temps que nécessaire, tandis que dans le second, les participants sont invités à faire leur choix rapidement car l’expérimentateur est pressé. Les résultats montrent que les jugements s’inversent d’une condition à l’autre. Les auteurs expliquent cet effet par la pression temporelle ou le « need for closure » (Webster & Kruglanski, 1994) imposé aux participants. En effet, lorsque ceux-ci sont pressés, ils optent généralement pour une des deux paires de chaussettes qui leur sont le plus accessibles, à savoir celles sur la droite puisque leur regard balaie l’étal de gauche à droite. A l’inverse, ce biais est éliminé lorsque les participants disposent de davantage de temps. Dans ce cas, les participants ont le temps de faire un nouveau balayage de l’étal et leur choix se porte globalement sur l’une des deux paires de chaussettes situées sur la gauche.

Dans leur cinquième étude, les auteurs proposent à 63 participants un protocole qui se déroule en trois temps : une tâche d’amorçage, une tâche dans laquelle les participants remplissent un questionnaire puis une tâche de décision. Cette dernière consiste en un jeu de rôle dans lequel les participants doivent décider quel candidat, parmi quatre, serait le plus adapté pour un poste dans une entreprise. Chaque candidat est décrit par ses connaissances dans quatre domaines : l’histoire nationale, la musique, l’art et la biologie. Pour chacun des domaines, ses compétences sont évaluées par une note (A ou B) et chaque participant n’a que 2 domaines de prédilection (voir Tableau 2.1).

Participant Histoire nationale Musique Art Biologie Condition

Ka A A B B Implicite

Da B B A A Explicite

Na A B B A Multifinale

Ra B A A B Neutre

Tableau 2.1 – Détail des candidats de la tâche de recrutement

Le protocole est construit en 2 (objectif implicite) x 2 (objectif explicite) et les participants sont donc répartis en 4 groupes : le groupe contrôle, le groupe explicite, le groupe implicite et le groupe « multifinal ». Dans le groupe contrôle, les participants n’ont aucun objectif particulier concernant la décision à prendre. Dans le groupe objectif explicite, il est indiqué aux participants que l’entreprise travaille dans le domaine de la biologie. Dans le groupe implicite, la tâche de priming consiste à décrire ses sentiments lorsque l’équipe nationale de football s’est qualifiée pour les quarts de finale de la Coupe du Monde 2002. Enfin dans la condition multifinale, les participants sont soumis à la fois à l’objectif implicite et à l’objectif explicite. Selon la condition, un des candidats dispose à chaque fois du profil « idéal ». Les résultats montrent que les choix des participants évoluent en effet selon la configuration des objectifs présents. Ainsi, dans la condition explicite, les participants choisissent à 93,8% un des deux participants ayant les meilleures compétences en biologie. Dans la condition implicite, à l’inverse, les participants choisissent à 93,9% un des deux participants ayant les meilleures compétences en histoire nationale. Enfin, dans la condition multifinale, les participants choisissent à 64,3% le participant ayant les meilleures compétences à la

2.1. Les buts comme source des comportements

fois en biologie et en histoire nationale contre 28,6% pour le participant ayant les meilleures compétences seulement en biologie et 7,1% pour celui ayant les meilleures compétences seulement en histoire nationale. Ces résultats montrent bien qu’un objectif activé de façon implicite via une tâche d’amorçage influence directement le jugement et la décision des individus, et ce même dans le cas où un objectif explicite différent est activé. Dès lors, il semble possible de proposer de façon implicite des objectifs liés à la performance dans des tâches écologiques, réalisées dans un but essentiellement utilitaire.

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