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La décomposition d’un individu débute quelques minutes après le décès. En raison de l’arrêt de la perfusion sanguine des tissus, une acidification du milieu est constatée, qui fait suite à l’accumulation de sous-produits acides liée à une production d’ATP en condition anaérobie (ex. dans le muscle, l’acide lactique est produit par la dégradation du glycogène) (Alaeddini et al., 2010; Vass, 2001; Warriss, 2010). La mort cellulaire intervient alors selon

112 deux modalités différentes : l’apoptose ou la nécrose (Alaeddini et al., 2010; Cau et Seïté, 1999; Proskuryakov et al., 2003).

L’apoptose est une mort cellulaire programmée qui peut être déclenchée par des signaux extracellulaires (ex. absence de facteurs de croissance, infections virales) ou intracellulaires (ex. anomalie de l’ADN). Cet évènement se traduit d’abord par la perméabilité des membranes (plasmique, mitochondriale) suite à l’altération des phospholipides et l’activation de protéases (hydrolases) cytosoliques, liées au passage de protéines mitochondriales dans le cytoplasme. Par la suite, le noyau est fragmenté, accompagné par une condensation de la chromatine et par une hydrolyse de l’ADN nucléaire en fragments multiples d’environ 180 bp, dits oligonucléosomiques, consécutive à l’activation d’endonucléases endogènes. Cette activation dépend de protéases spécifiquement activées lors de l’apoptose : les caspases.

Les corps apoptotiques formés par le réarrangement des phospholipides membranaires peuvent par la suite subir une nécrose secondaire accompagnée par la rupture des membranes, s’ils ne sont pas phagocytés du vivant de l’organisme (Proskuryakov et al., 2003). La mort des cellules par apoptose est énergie-dépendante ; elle sera notamment sous la dépendance de la capacité du tissu à maintenir un niveau d’ATP suffisant (ex. muscle).

A l’opposé, la nécrose (ou mort cellulaire accidentelle) est un phénomène dégénératif passif résultant d’agressions sévères (ex. anoxie, toxines, radiation, chaleur, trauma) subies par la cellule. La première manifestation de la nécrose est le gonflement de la cellule et des organites avec l’apparition de perforations dans les membranes.

L’absence de régulation du calcium durant les premiers stades joue un rôle important dans la dégradation des constituants cellulaires. En effet, la régulation intracellulaire du calcium permet de maintenir la concentration intracellulaire en Ca2+ aux alentours de 10-7 M tandis que le milieu extracellulaire et certains organites (ex. mitochondries, réticulum endoplasmique) affichent des valeurs de l’ordre de 10-2 M. Ceci a pour conséquence

l’activation des phospholipases liées aux membranes, ce qui engendre leur dégradation et la libération du contenu des organites.

Une fois achevée, la mort cellulaire conduit à l’activation de différentes classes d’enzymes intracellulaires (lipases, nucléases, protéases), notamment lysosomiques. Les lysosomes sont des vésicules intracellulaires ubiquitaires contenant des enzymes hydrolytiques actives à pH acide, sans l’aide de cations cofacteurs. Les protéases lysosomiques sont capables de dégrader les protéines de la chromatine, dont les histones, ce

113 qui faciliterait l’accès à l’ADN nucléaire par les endonucléases. La nécrose est à l’origine d’une fragmentation aléatoire de l’ADN.

La dégradation à ce stade de l’ADN mitonchondrial (ADNmt), dont la taille initiale ne dépasse pas les 16 kb, est un phénomène mal connu. Les études se contredisent sur la fragmentation (délétions) (Ozawa, 1997) ou l’absence de fragmentation de l’ADN mitochondrial (Murgia et al., 1992) lors de la mort cellulaire. Quoiqu’il en soit, le grand nombre de copies de ce génome par cellule permet, le cas échéant, le séquençage de longs fragments (~350 pb en moyenne), qui appartiennent à l’une ou l’autre des deux régions hypervariables, voire de l’ensemble de la région de contrôle (1,1 kb), à partir de spécimens squelettiques anciens sur une période allant jusqu’à 400 000 ans (Adler et al., 2011; Keyser et

al., 2009; Reich et al., 2010).

Dans les premiers stades post mortem, l’importance de la dégradation enzymatique de l’ADN dépend de facteurs liés au tissu considéré et de facteurs environnementaux (Vass, 2001) :

dépendance au tissu, aux types d’enzyme qu’il exprime ainsi qu’à leurs niveaux d’expression : dans les organes tels que le rein ou le foie, les processus autolytiques sont ainsi plus rapides,

dépendance aux facteurs physico-chimiques d’activation enzymatique spécifiques (présence de cations divalents, pH), et non spécifiques (humidité, température)

on pourrait déjà mentionner ici l’adsorption de l’ADN à une phase solide comme facteur limitant l’accessibilité des enzymes ayant l’ADN comme substrat. La protection de l’ADN adsorbé vis-à-vis des nucléases a notamment déjà été démontrée pour des molécules d’ADN bactérien adsorbées à une phase minérale (sable, autres minéraux des sols) ou organique (acide humique) (Crecchio et Stotzky, 1998 ; Lorenz et Wackernagel, 1987).

Une corrélation statistique entre la fragmentation de l’ADN et l’intervalle post mortem est observée au niveau du muscle durant un intervalle variable situé entre 0 et 56 heures, avec une vitesse maximale durant les premières 24 heures (Alaeddini et al., 2010). La cinétique des processus nucléasiques se ralentit ensuite, de telle façon que la quantité d’ADN de haut poids moléculaire (HPM), pouvant être extraite à partir de tissus mous, décroit de façon exponentielle avec le temps, sur une période d’un mois. Au-delà, seul le tissu cérébral permet le recueil de tels fragments (Bär et al., 1988; Ludes et al., 1993). Ces grands fragments peuvent provenir du clivage de la chromatine au niveau de sites sensibles à l’action des

114 nucléases. Le Tableau II-2 liste une partie des nucléases impliquées dans la mort cellulaire, la nature des cations impliqués en tant que cofacteur et leur localisation dans les organes investigués.

Tableau II-2 Activités endonucléasiques impliquées dans la mort cellulaire selon Alaeddini et al., 2010

Cofacteur

cationique Nom pH Tissus

Localisation intracellulaire Activation Inhibiteur naturel Types de fragmentation

Ca2+, Mg2+ DFF40a neutre organes cytoplasme

noyau caspase 3 DFF45

rupture double-brin internucléosomique Mg2+ GAADb neutre lymphocyte T granzyme A lysosome coupure simple-brin

fragment de HPM Endo Gc Exo Gc neutre pH6 cerveau mitochondrie mitochondrie internucléosomique endo et exonucléase Ca2+, Mg2+ DNased neutre /acide variés noyau /cytoplasme Zn2+ internucléosomique

DNases II e acide variés lysosome, noyau aléatoire

a Nucléase activée par la caspase 3 b DNase activée par le granzyme A c Endonucléase G et exonucléase G

d DNase X (muscles squelettiques, myocarde), DNase γ (organes et macrophages), DNAS

1L2 (cerveau, poumon)

Peu de données sont en revanche disponibles sur l’état de dégradation de l’ADN pour les tissus squelettiques à ce stade très précoce de la diagenèse, notamment en raison de l’utilisation préférentielle de marqueurs courts de l’ADN inférieurs à 300 pb qui sont amplifiés par PCR.

Néanmoins, l’extraction de fragments d’ADN nucléaire de haut poids moléculaire à partir de spécimens dentaires artificiellement dégradés par traitement thermique est possible avant 32 heures de chauffe. L’amplification de fragments courts (164 et 260 pb) permet d’obtenir de bons résultats sur des durées supérieures, tout en affichant une diminution drastique du signal après les premières heures de traitement (Dobberstein et al., 2008). D’autre part, la pulpe dentaire présente une vitesse de décomposition post mortem moindre par rapport aux autres tissus mous. Les raisons invoquées sont la protection vis-à-vis de micro-organismes exogènes, mais aussi la nature particulière des cellules de ce tissu. En effet, des preuves de la viabilité exceptionnelle de la pulpe dentaire ont été apportées (Boy et al., 2003; Higgins et Austin, 2013) : au moins 50% des cellules sont vivantes après un intervalle

post mortem de 12 heures, elles sont encore détectables après 24 heures (Caviedes-Bucheli et al., 2006; Higgins et Austin, 2013).

Par ailleurs, la stabilité de l’ADN dans l’os compact est supérieure à celle des tissus mous. Des fragments longs d’ADN nucléaire ont été extraits en vue d’une analyse du

115 polymorphisme de longueur des fragments de restriction sur une période post mortem de trois mois, et quatre semaines dans un environnement thermique défavorable (Rankin et al., 1996). A ce stade, la protection particulière de l’ADN au sein des tissus squelettiques peut provenir des caractéristiques métaboliques et histologiques de l’os. En effet, les ostéocytes sont des cellules quiescentes, isolées au sein de lacunes ostéocytaires. Les cellules plus actives de l’os (ostéoblastes et ostéoclastes) et de la dent (odontoblastes) se retrouvent plutôt dans les zones périphériques, ou au sein des canaux anatomiques (Havers et Volkmann pour l’os, compartiment pulpaire pour la dent). L’activité enzymatique dans les cellules des tissus durs est globalement réduite par rapport à celle des organes vitaux.

Considérant une interaction ADN-minéral très précoce lors de la libération des fragments d’ADN après l’autolyse cellulaire, il est donc possible que les fragments adsorbés soient initialement de haut poids moléculaire. Cependant, la taille moyenne des fragments extraits d’un spécimen squelettique se situe entre 30 et 80 pb et excède rarement 1,5 kb (Höss et al., 1996; Paabo, 1989 ; Dabney et al., 2013; García-Garcerà et al., 2011). Cette valeur est relativement stable dans le temps : il a été en effet démontré que la taille des fragments n’est pas corrélée à l’intervalle post mortem mais dépend plutôt des conditions de conservation (ex. Dobberstein et al., 2008; Götherström et al., 2002; Höss et al., 1996; Poinar et Stankiewicz, 1999; Tuross, 2002). Cette constatation doit cependant être nuancée à la lumière des travaux d’Allentoft et al (2012) que nous évoquerons plus loin, sur la cinétique de dégradation de l’ADN mitochondrial d’ossements de Moa, évaluée sur une période de plus de 7000 ans.

Ainsi, peu de données concrètes ne permettent d’estimer les caractéristiques qualitatives et quantitatives des fragments d’ADN qui viennent interagir avec la surface des cristaux d’apatite. De plus, les processus de diffusion des fragments d’ADN vers la surface des cristallites peuvent varier d’un tissu à l’autre, par exemple si l’on prend en compte la possibilité d’une pénétration de l’ADN pulpaire dans le tissu dentinaire (Higgins et Austin, 2013), ou la différence de rendement de l’extraction d’ADN d’une pièce squelettique à une autre (Mundorff et Davoren, 2014).

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