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Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées :

Partie théorique

2. Définition des médicaments anticancéreux [4]:

2.3. Mécanismes d’action des médicaments anticancéreux :

2.3.1.2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées :

Ces produits sont schématiquement divisés en 4 catégories : les alkylants, les intercalants, les scindants et les inhibiteurs des topoisomérases.

a. Les médicaments alkylants :

- Moutardes à l’azote : estramustine, melphalan, chlorméthine, chlorambucil, cyclophosphamide, ifosfamide et thiotépa

- Esters bisulfoniques : Busulfan

- Nitrosurés : lomustine, carmustine, fotémustine et streptozotocine - Dérivés du platine : cisplatine, carboplatine et oxaliplatine

- Divers : mitomycine C, dacarbazine, altrétamine, procarbazine, témozolomide, pipobroman et trabectédine

L’alkylation est l’action de remplacer un hydrogène (proton) par un groupement alkyle (méthyle, éthyle, propyle etc. … en fonction du nombre des atomes de carbone). A priori, cette alkylation peut se faire sur toutes les molécules hydrogénées mais en cancérologie, on considère que seule l’alkylation du matériel génétique concoure à l’effet cytotoxique. Les alkylants sont extrêmement réactifs et vont produire des liaisons covalentes entre les brins d’ADN, ce qui a pour effet d’entraver les processus de réplication et de transcription. De nombreux produits font partie de cette famille. Nous traiterons ici uniquement le cisplatine qui, au titre de la famille des organoplatines et de son utilisation large (cancers : ovaire, testicule, prostate, ORL, vessie et poumon), peut être considéré comme un chef de file.

Le cisplatine et autres dérivés du platine : Le cisplatine et ses dérivés, oxaliplatine et carboplatine, sont hydratés in vivo et agissent comme des alkylants créant des ponts intra- et intercaténaires dans l’ADN, principalement entre les groupements phosphates et les guanines. Si les modes d’action sont communs, les trois produits diffèrent par leur pharmacocinétique et leurs effets indésirables. Ces derniers semblent dépendre du taux de fixation aux protéines plasmatiques. Ces organoplatines sont tous rapidement excrétés par voie urinaire, leur vitesse d’élimination dépendant de leur taux de fixation aux protéines plasmatiques. En pratique, plus le médicament est lié, moins rapide est son excrétion et plus il est toxique, y compris sur le rein. Le cisplatine a un taux de fixation de plus de 90%. Cette « rétention » dans l’organisme le rend le plus toxique de tous les dérivés du platine. Il est ainsi fortement émétisant, néphrotoxique, neurotoxique et ototoxique. Seule la myélotoxicité semble échapper à cette règle puisque le cisplatine est peu myélotoxique au contraire du carboplatine. Le cisplatine est probablement un des produits anticancéreux les plus émétisants. Les malades bénéficient de la prise en charge de cet effet secondaire par un antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine (ou sétron) tel que l’ondansétron. Depuis peu, on dispose aussi d’un autre antiémétique, l’aprépitant, qui est un antagoniste du récepteur NK1 de la substance P et qui est utilisé en association avec un sétron et un glucocorticoïde. La néphrotoxicité du cisplatine peut être réduite par une diurèse forcée générée par l’hyperhydratation, ce qui n’est pas nécessaire avec le carboplatine et l’oxaliplatine. On peut encore noter que la cytotoxicité des organoplatines est fortement.

b. Les médicaments intercalants :

- Les anthracyclines : doxorubicine, idarubicine, daunorubicine, épirubicine… - Les anthracénediones : mitoxantrone

Les médicaments intercalants se placent dans les sillons de l’ADN et forment un complexe trimérique entre le médicament, l’ADN et la topoisomérase de type II. Cette formation concoure au blocage de la transcription. Par soucis de clarté, nous les séparons ici des inhibiteurs directs des topoisomérases. Les deux chefs de file de cette famille sont l’adriamycine et la daunorubicine qui ont donné naissance au groupe des anthracyclines.

Les anthracyclines sont des antibiotiques extraits d’actinobactéries du genre streptomyces. Leur suffixe rubicine rappelle leur couleur rouge intense bien visible dans les flacons de poudre pour solution injectable. Elles agissent en s’intercalant entre les deux brins de l’ADN ce qui bloque l’action de la topoisomérase II, enzyme responsable de la cassure bicaténaire de l’ADN nécessaire à la transcription. Ces médicaments sont aussi fortement oxydés dans les mitochondries générant ainsi la production importante de radicaux libres d’oxygène. Ces radicaux libres (anion superoxyde, peroxyde d’hydrogène, hydroxyle radicalaire) sont responsables de la cardiotoxicité aiguë de ces médicaments mais aussi, pour partie, de leur effet anticancéreux. Il est donc difficile de séparer cette toxicité de l’effet thérapeutique.

c. Les médicaments scindants :

Le principal médicament scindant est la bléomycine. Ce produit est, lui aussi, un antibiotique d’origine naturelle. Elle agit en induisant des coupures monocatéraires de l’ADN mais tous ses effets ne sont pas connus. On peut néanmoins insister ici sur le fait que la toxicité pulmonaire est potentialisée par l’administration simultanée d’oxygène pur. Celle-ci doit donc être évitée, particulièrement chez les malades ventilés.

d. Les inhibiteurs des topoisomérases :

- Les inhibiteurs des topoisomérases I : irinotécan et topotécan - Les inhibiteurs des topoisomérases II : étoposide

Les topoisomérases sont des enzymes clés dans les processus de réplication. Elles permettent de couper les brins d’ADN pour les dérouler (ADN gyrases ou topoisomérases II) et d’induire des coupures bicaténaires pour séparer les chromosomes avant la mitose (topoisomérases I). Ces deux types de topoisomérases sont ciblées par des anticancéreux. Le produit le plus utilisé est l’irinotécan. Il entre dans des protocoles d’associations d’agents anticancéreux.

L’irinotécan et son principal métabolite actif, le SN-38, sont des inhibiteurs de la topoisomérase I. Ce blocage produit une cassure monobrin de l’ADN au lieu de la cassure double brin indispensable à la formation de la fourche de réplication. Cette anticancéreux va

donc bloquer les cellules au moment où elles synthétisent de l’ADN, c’est à dire en phase S. Cette molécule va agir fortement sur les cellules en division ce qui occasionne de fréquentes diarrhées et une toxicité hématologique à type de leucopénie. On peut aussi noter que ce produit est un inhibiteur de l’acétycholine estérase. Il peut donc renforcer l’activité du système parasympathique ou vagal.

L’étoposide est un alcaloïde (composé azoté complexe produit par un organisme végétal) dérivé de la podophyllotoxine, une substance d’origine naturelle que l’on peut extraire de Podophyllum peltatum (plante d’Amérique du nord) mais aussi de la célèbre mandragore (Mandragora officinarum). La podophyllotoxine est un antiviral et anticancéreux utilisée en application locale dans le traitement des condylomes acuminés (verrues anogénitales). L’étoposide bloque les cellules en phase S de la mitose du fait de l’induction de coupures multiples dans l’ADN suite à l’inhibition de la topoisomérase II. En dehors de ses effets indésirables classiques pour un antimitotique (toxicité digestive et hématologique), on peut mentionner sa contre-indication chez les malades intolérants au fructose du fait de la présence de sorbitol dans la préparation galénique.

e. Les poisons du fuseau mitotique :

- Les alcaloïdes de Pervenche : vinblastine, vindésine, vinorelbine et vincristine - Les alcaloïdes de l’If : paclitaxel, docétaxel et cabazitaxel

Les poisons du fuseau mitotique, appelés aussi agents « tubulo-affines », agissent de manière directe sur les molécules de tubuline indispensables à la constitution du fuseau mitotique et à la migration polaire des chromosomes pendant la mitose. Tous les médicaments de cette famille sont caustiques au point d’injection et nécessitent des précautions et une surveillance particulières. On doit prévenir l’extravasation et des mesures d’urgence seront à mettre en place rapidement en cas de survenue. On dispose de deux familles de produits d’origine naturelle :

 Les alcaloïdes de la Pervenche (Vinca rosea) ont une dénomination commune internationale qui débute toujours par « vin » : vinblastine, vindésine vincristine. Ces produits utilisés depuis le début des années 1960 produisent une déstabilisation de la tubuline.

 Les alcaloïdes de l’If (Taxus baccata) ou « taxanes » ont une dénomination commune internationale qui se termine toujours par « taxel » : paclitaxel, docétaxel et agissent en stabilisant la tubuline et dont en empêchant les processus de polymérisation/dépolymérisation nécessaires à la constitution et à la rétraction du fuseau mitotique.

Les alcaloïdes de la Pervenche se lient à la tubuline qui est une protéine cytosolique existant sous deux formes : dimérique et multimérique. La vinblastine et ses analogues se fixent sur le dimère et empêchent donc la polymérisation. Ce blocage va s’exprimer sur les cellules en division en bloquant la mitose en métaphase mais aussi sur les neurones où ces molécules vont perturber la formation des neurotubules et la neurotransmission.

Les « taxanes » (paclitaxel, docétaxel) sont des anticancéreux apparus récemment. Ils favorisent l'assemblage des dimères de tubuline en microtubules Ainsi, ils stabilisent les microtubules en inhibant leur dépolymérisation et en figeant le réseau microtubulaire qui devient incapable de se réorganiser comme cela est nécessaire lors de l'interphase et de la mitose.

f. Divers :

Finalement, dans cette catégorie des inhibiteurs de protéines agissant « en aval » de l’ADN on trouve la L-asparaginase et le bortézomib. La L-asparaginase est une enzyme injectable qui hydrolyse l’asparagine sanguine, la rendant ainsi indisponible pour les cellules leucémiques qui sont, au contraire des cellules normales, incapables de réaliser une synthèse de novo d’asparagine. Elle est peu toxique sur le plan hématologique et expose, du fait de sa nature peptidique, essentiellement à un risque allergique. Le bortézomib est un inhibiteur réversible et très sélectif du protéasome, grosse structure protéique à activité enzymatique impliquée dans la dégradation des protéines ubiquitinylées. Cette inhibition conduit à un arrêt du cycle cellulaire et à une apoptose. Ce médicament est utilisé dans le traitement du myélome multiple.

2.3.2. Les modulateurs de la réponse biologique : a. Immunomodulateurs et hormonothérapie:

- Modulateurs de la réponse de l’hôte : BCG thérapie, Interleukine-2 et Interféron-α - Antagonistes du récepteur des oestrogènes : fulvestrant, tamoxifène et torémifène - Inhibiteurs de l’aromatase : anastrozole, exemestane et létrozole

- Antagoniste de la Gn-RH : dégarélix

- Antagonistes de la testostérone: bicalutamid, ecyprotérone, flutamid et enilutamide - Agonistes de la LH-RH : buséréline, goséréline, leuproréline et triptoréline

- Oestrogènes : diéthylstilbestrol

- Progestatifs : médroxyprogestérone et mégéstrol

- Analogues de la somatostatine : lanréotide et octréotide

Les axes hormonaux sont particulièrement ciblés dans le cadre du traitement du cancer hormonodépendant de la prostate (Figure 3). Le cancer prostatique passe par plusieurs stades dont le premier est souvent qualifié d’« hormonosensible » car les cellules voient leur prolifération stimulée par la testostérone. Dans un délai moyen de 24 mois après l’instauration du traitement, les cellules peuvent présenter des mutations qui les rendent hormonorésistantes. Dans la première phase, le traitement repose sur les analogues de la LH- RH. Ces produits activent le récepteur hypophysaire de l’hormone hypothalamique LH-RH ou Gn-RH. Ce choix thérapeutique peut sembler étonnant puisqu’il va conduire à une majoration de la synthèse et de la libération de la testostérone testiculaire (effet « flare up » qui veut dire « embrasement »). On limite les effets de cette hormone par l’utilisation préalable d’un antagoniste du récepteur de la testostérone. Puis, dans une deuxième phase, le récepteur de la LH-RH se désensibilise et les sécrétions de la LH et de la FSH s’effondrent, abolissant ainsi la sécrétion de la testostérone. Les effets sur le cancer primitif et ses métastases peuvent être spectaculaires. Dans les stades avancés, on peut utiliser un antagoniste du récepteur de la LH- RH et du diéthylstilbestrol. Ce dernier est un œstrogène synthétique tristement célèbre. Son emploi sous le nom de Distilbène®, chez des femmes enceintes a occasionné de nombreuses

malformations ainsi que des effets retardés chez des filles nées de femmes ayant pris le produit pendant leur grossesse (cancer du vagin à petites cellules, fausses couches multiples). Sa seule indication est le cancer prostatique avancé où il réduit les effets de la testostérone et exercerait des effets spécifiques indépendants de son récepteur.

L’hormonothérapie est aussi utilisée dans la prise en charge du cancer du sein sensible à l’action proliférative des oestrogènes. On utilise des antagonistes du récepteur des oestrogènes et des inhibiteurs de l’aromatase, une enzyme localisée dans de nombreux tissus comme l’ovaire, le cerveau, le tissu adipeux, la peau ou l’os et qui convertit la testostérone en oestradiol. Finalement, ce cancer peut aussi répondre à des dérivés synthétiques de la progestérone.

Les analogues de la somatostatine (agonistes du récepteur SSTR2) ont des indications limitées aux tumeurs neuroendocrines carcinoïdes.

b. Les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs de kinases :

- Anticorps monoclonaux dirigés contre les lymphocytes (cible entre parenthèses) : rituximab, (CD20, lymphocytes B) alemtuzumab (CD52, lymphocytes B et T) et catumaxomab (CD3, lymphocytes B)

- Anticorps monoclonaux dirigés contre les récepteurs HER (cible entre parenthèses) : cétuximab, (EGFR, HER1) panitumumab (EGFR, HER1) et trastuzumab (HER2)

- Anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF : bévacizumab

- Les inhibiteurs des tyrosines kinases (cible entre parenthèses) : dasatinib (Bcr-Abl), imatinib (Bcr-(Bcr-Abl), nilotinib (Bcr-(Bcr-Abl), erlotinib (HER1), géfitinib (HER1) et lapatinib (HER1/HER2)

- Les Inhibiteur de la protéine kinase mTOR : évérolimus, temsirolimus

La dernière révolution dans le domaine des médicaments anticancéreux porte sur le ciblage spécifique de voies de transduction intracellulaires impliquées dans le développement de certains cancers. On y trouve des anticorps monoclonaux et des inhibiteurs de kinases. Ces médicaments ciblent le récepteur de l’Epidermal Growth Factor (EGFR) et son activité tyrosine kinase ont été développés. Ce récepteur fait partie d’un groupe de quatre récepteurs à activité tyrosine kinase (Figure 4) : HER1 (= ErbB-1 ou EGFR), HER2 (= ErbB-2 ou HER2/c- neu), HER3 (= ErbB-3) et HER4 (= ErbB-4). L’homo ou l’hétérodimérisation de ces récepteurs conduit à la stimulation de leur activité enzymatique. Ils s’autophosphoryles sur les résidus tyrosine intracellulaires (Y) et activent ainsi leur voie de couplage qui conduit à la synthèse d’ADN et à la prolifération cellulaire. On dispose d’anticorps monoclonaux qui ciblent EGFR et HER2 (cétuximab, panitumumab, trastuzumab ; suffixe « mab » pour les anticorps monoclonaux) et des bloqueurs plus ou moins sélectifs de l’activité kinase (phosphorylation) des quatre récepteurs HER (géfitinib, erlotinib, lapatinib ; suffixe « nib » pour les inhibiteurs de tyrosine kinase) (Figure 4).

Figure 4: Exemple de bloqueurs de l’activité kinase des 4 récepteurs HER

II. Livret thérapeutique et prise en charge thérapeutique au