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Acteurs et stratégies

Chapitre 1 Lobbying et démocratie : Une relation complexe

1.5 Innovations et renouveau méthodologiques :

1.5.2 Acteurs et stratégies

Deuxièmement, le lobbying est une stratégie qui relève de la décision des associations et des entreprises d’influencer les processus politiques. La recherche a ainsi examiné une foule de facteurs qui pèsent sur les choix stratégiques et l’influence des intérêts organisés. Comme stratégie politique, le lobbying serait d'abord un moyen de représentation employé par le monde des affaires. On explique ce phénomène par le fait que les intérêts des acteurs économiques sont plus concentrés et mieux définis par leurs représentants (Beyers, 2002). D'autres auteurs reconnaissent que la nature des objectifs poursuivis par les organisations, qui relèvent soit du

bien public ou du bien privé, est à la source des décisions concernant le recours aux communications directes avec le gouvernement (Hansen, Mitchell, Drope, 2005, Montpetit, 2002). De surcroît, non seulement la décision de faire du lobbying, mais également le succès de ce type de stratégie, seraient grandement affectés par le degré d'opacité et de transparence des processus décisionnels entourant les enjeux des activités de représentation. Dans cette optique, P. Culpepper (2010) note que les lobbies économiques sont plus efficaces lorsqu'il est question de décisions portant sur des enjeux complexes et techniques qui ne risquent pas de faire l'objet d'une publicité ou d'une couverture médiatique étendue. Cette dynamique d’influence s’explique en partie par le fait que les groupes d'intérêt public (Berry, 1977) et les organisations syndicales, qui sont les principaux opposants des intérêts économiques, favorisent des stratégies de représentation plus bruyantes visant à mobiliser un large groupe de membres et de sympathisants (grassroots) pour qu’il intervienne auprès du gouvernement, et dans les médias (Binderkrantz, 2008, Kollman, 1998, Nownes, 2006).

En bout de piste, la décision d'opter pour une approche de représentation directe comme le lobbying est partiellement déterminée par la nature des objectifs politiques d'une organisation, et aussi par les ressources qui sont à sa disposition (Binderkrantz, 2005, Binderkrantz et Kroyer, 2012, Eising, 2007). Les effets de ces facteurs sont multiples et apparaissent parfois inextricables d'un point de vue analytique et empirique. On sait que les organisations qui ont les ressources nécessaires au développement d'une expertise scientifique ont généralement un avantage en termes d'accès aux fonctionnaires puisque les acteurs bureaucratiques sont à la recherche de ce type de ressources (Vining, Shapiro, Borges, 2005). En ce qui concerne les activités de lobbying dirigées vers le processus législatif, on doit comprendre que, pour les élus, les organisations dont les membres ont le potentiel d'affecter les luttes électorales peuvent représenter des alliés (ou des

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ennemis) politiques de taille. Toujours selon cette logique, les entreprises et leurs associations adoptent des stratégies axées sur la branche exécutive, non seulement en raison de leurs ressources financières plus considérables, mais aussi en raison de leurs connaissances techniques des procédés et secteurs de production (Binderkrantz, Christiansen et Pedersen, 2015, Boehmke, Gailmard et Patty, 2013). Les organisations qui misent sur des stratégies de représentation visibles et bruyantes accordent quant à elles une attention prépondérante aux élus, des acteurs politiques qui œuvrent plus directement dans la lumière de l'espace public et médiatique.

Au final, la littérature sur les stratégies de lobbying aborde autant les décisions relevant du choix délibéré et volontaire des organisations que celles découlant de facteurs externes qui sont, du moins partiellement, hors de leur contrôle. Ce courant de recherche, qui a considérablement pris en importance dans les quinze dernières années (Hojnacki et collab., 2012), a contribué à notre compréhension de stratégies comme la construction de coalition (Hojnacki, 1997 & 1998, Holyoke, 2009, Hula, 1999), le choix des arènes politiques (Binderkrantz, Christiansen et Pedersen, 2015; Baumgartner et Jones, 1993) et le choix des cibles individuelles et institutionnelles des activités de représentation politique (Binderkrantz, Christiansen et Pedersen, 2015, Boehmke, Gailmard et Patty, 2006 & 2013, Carpenter, Esterling et Lazarus, 2004, Constantelos, 2007 & 2010, De figueiredo, Nickerson et Silverman, 2009, Goldstein, 1999, Heberlig, 2005, Hojnacki et Kimball, 1998, Holyoke, 2003).

Dans la dernière décennie, le parcours professionnel des lobbyistes, de même que la fréquence et la portée des campagnes de lobbying, ont fait l'objet d'une attention toute particulière. En effet, l'une des stratégies politiques les plus discutées par les médias et experts est le recours aux services de lobbyistes provenant d'une firme professionnelle. Au contraire des lobbyistes (in-house lobbyist) qui sont l’un des employés ou directeurs des associations et des

entreprises représentées, les lobbyistes des firmes spécialisées sont des professionnels engagés à titre de consultant externe. Le développement d'une lucrative industrie du lobbying professionnel aux États-Unis (Berry, 1984, Kaiser, 2009), dont les joueurs clés sont situés sur l'emblématique

K Street à Washington, est l'un des aspects du lobbying le plus mis en doute par les défenseurs

des principes démocratiques. Le Canada a connu, à plus petite échelle, le développement d'une industrie de la consultation similaire (Sawatsky, 1987). Avoir recours aux services de telles firmes demande d'investir des sommes financières importantes. Conséquemment, on s'attend à ce que la plupart des associations citoyennes et des groupes qui défendent des causes d'intérêt public négligent cette option puisqu'ils doivent bien souvent composer avec des budgets restreints. En plus, les membres et la direction de tels groupes seraient souvent réfractaires à l'emploi de ces stratégies de représentation (Young et Everitt, 2004, 90-91).

Les stratégies de « portes tournantes », aussi parfois nommées « connexions politiques » ou « pantouflage », sont un autre aspect du lobbying qui est décrié par les critiques. La présence, parmi l'équipe de lobbyistes d'une organisation, d'anciens ministres, hauts fonctionnaires ou députés peut être un moyen de s'assurer un meilleur accès au processus décisionnel (Blanes i Vidal, Draca et Fons-Rosen, 2012 et Lapira et Thomas, 2014). La littérature américaine souligne effectivement les avantages politiques obtenus par les firmes qui retiennent les services d'anciens politiciens et fonctionnaires. Ces dernières années, des analyses ont même été produites afin d'examiner les potentiels bénéfices apportés par l'embauche d'ancien(s) titulaire(s) de charge publique. Sauf pour quelques exceptions, les conclusions sont catégoriques : les firmes qui entretiennent des liens avec le monde politique - soit parce qu'ils emploient d'anciens politiciens et fonctionnaires ou parce qu'un de leurs anciens employés est maintenant à l'emploi du gouvernement - perçoivent des avantages supplémentaires lors de l'élaboration, de la mise en

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œuvre et de l'administration des politiques publiques (Blau, Brough et Thomas, 2013, Correia, 2014, Duching et Sosyuria, 2012, Faccio, Masulis et McConnell, 2006 et Lazarus et Mackay, 2012).

Les autres stratégies retenant actuellement l'attention des chercheurs en science politique se rapportent à la fréquence et à la diversité (ou portée) des activités de lobbying. En effet, la recherche sur les cibles institutionnelles des lobbies (venue-shopping) dénote un effet de débordement (spill-over) qui a un impact cumulatif sur l'accès aux institutions politiques. Les chercheurs observent notamment cet effet cumulatif dans la tendance des lobbies les plus actifs à diversifier les cibles institutionnelles et les branches de pouvoir (exécutive et législative) visées par leurs campagnes de lobbying (Binderkrantz, 2005 et 2015, Boemhke, Gailmard et Patty, 2013, Braun, 2012 et McKay, 2011). Plusieurs indices révèlent que les ressources allouées aux activités de lobbying financent des stratégies intégrées axées sur la diversité des cibles institutionnelles (Defigueiredo, 2009). En retour, la diversification des cibles de lobbying, de même que l'intervention répétée auprès des membres de chaque branche de pouvoir (McKay, 2012), sont des éléments cruciaux pour les organisations qui veulent construire, maintenir et faire croître leurs réseaux de contacts au sein du gouvernement.