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Les acteurs et les savoirs : médiation, tutelle, étayage

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 82-86)

Chapitre 3 - Savoir

3. Les acteurs et les savoirs : médiation, tutelle, étayage

L’accès aux savoirs par les acteurs mobilise, entre autres, les notions de médiation, de tutelle et d’étayage. Vygotski s’intéresse aux interactions sociales et fait un lien fort entre la pensée et le langage. Ainsi, pour lui, l’histoire, la culture et le social contribuent tous aux acquisitions des compétences de l’individu qui s’inscrit dans une relation de

« collaboration » avec autrui. D’où l’importance du concept de « médiation » dans son approche. Les apprentissages découlent de la culture environnante. Il s’agit d’une construction sociale des fonctions cognitives. Un processus qui se déroule, non pas en interne, comme c’est le cas chez Piaget, mais qui va du social vers l’individuel. Bruner en prolongeant cette approche développe l’idée d’« interaction de tutelle », c’est-à-dire d’un « système de support, fourni par l’adulte à travers le discours ou la communication plus généralement, est un peu comme un étayage, à travers lequel l’adulte restreint la complexité de la tâche permettant à l’enfant de résoudre des problèmes qu’il ne peut accomplir seul » (Bruner, 1983). Pour Bruner, la médiation sociale s’exerce sur un mode communicationnel. Le concept d’étayage est lié au concept de « Zone Proximale de Développement » (ZPD). La zone proximale de développement « est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres

enfants plus avancés » (Bruner, 1983). Bruner repère 6 fonctions d’étayage : l’enrôlement, la réduction des degrés de liberté, le maintien de l’orientation, la signalisation des caractéristiques déterminantes, le contrôle de la frustration, la démonstration. Pour Bruner, apprendre est « un processus interactif dans lequel les gens apprennent les uns des autres » (Bruner, 1983).

Le concept de médiation a été mobilisé comme suit dans la publication 3 (ACL-3).

Le concept de médiation renvoie à la notion d'intermédiaire, de lien entre le singulier et le collectif. Elle permet de concilier deux choses jusque-là non rassemblées pour établir une communication et un accès à l’information. On peut considérer la médiation comme un processus créateur d’un nouveau message, non arbitraire, qui implique un certain aménagement (dispositif) et constitue un passage, même si « ce qui se joue dans une situation de médiation ne concerne pas seulement une relation entre acteurs, mais un rapport au monde » (Jeanneret 2008). Ce passage peut-être une transformation (comme peut l'être un codage) mais en position d'une quasi-identité. Autrement dit, la médiation est porteuse d’une certaine matière informationnelle qui augmente les significations à réception. Malgré la polysémie de la notion de médiation on peut dire que celle-ci intervient pour faciliter la circulation de sens et l’appropriation du message initial même si le sens donné à réception n’est prévisible ni par l’émetteur ni par d’éventuels médiateurs car « dans la circulation de sens intervient une multitude de variables indépendantes : c’est la définition même d’un système complexe » (Véron, 1991).

Quand une intention marquée accompagne l’émission et la diffusion de l’information, elle est formée en vue de la meilleure lecture possible mais oblige néanmoins à mobiliser une culture pour la comprendre et pour l’utiliser. La médiation comprend une dimension symbolique et une dimension logistique, elle peut se définir comme une communication médiatisée et en ce sens comprend également une dimension sociale, technique et langagière. Ainsi « L’interposition d’un tiers crée un espace de jeu et d’interprétation particulier. Si l’on parle de «récepteur» pour désigner ce que le sémioticien préfère nommer l’interprète c’est parce que les sujets n’en viennent à interpréter que ce qu’ils ont corporellement saisi : il n’interprète du texte, dans un monde intellectuel et sensible, que dans la mesure où il reçoit des objets, dans un monde matériel » (Jeanneret, 2008). Ce monde matériel formalise une communication médiée et médiatisée de l’information dans des dispositifs qui permettent aux savoirs de

circuler et c’est dans ce sens que l’on peut avancer l’idée d’une médiation des savoirs. « L’expression « médiations des savoirs » […] évoque les formes de médiations épistémique et sémiocognitive […] qui sont à l’œuvre notamment dans la communication éducative » (Peraya et al. 2012).

La médiation, qui peut se définir comme une communication médiatisée, comprend d’une part, une dimension symbolique et une dimension logistique et, d’autre part, une dimension sociale, technique et langagière. En effet, l’enseignant expérimenté a pour visée de permettre à l’enseignant novice de se « rapprocher » de savoirs professionnels, au sens d’appréhension de ces savoirs.

L’importance du contexte social dans les apprentissages est issue de l'école vygotskienne, et notamment au travers des notions de Zone Proximale de Développement, d’étayage brunérien et enfin à la médiation. Dans ces théories, intervient un autrui qui a une position différente par rapport à l’objet de l’apprentissage, il est plus expert et intervient de façon explicite pour modifier les connaissances de l’apprenant. Le plus souvent, il s’agit de l’enseignant qui occupe cette position. Ces hypothèses entrent en jeu dans la conception de séquences d’enseignement qui accordent un rôle moteur dans l’apprentissage aux interventions de l’enseignant (Duit et Treagust, 1998).

La cognition située considère aussi le développement des facultés mentales des humains comme profondément marqué par les situations sociales dans lesquelles il a lieu mais elle va plus loin en postulant que la connaissance n’est qu’un phénomène émergeant des activités et dépendant intimement des ressources particulières de la situation où ces activités prennent place (Lave, 1988). Resnick (1991) écrit ainsi que « every cognitive act must be viewed as a specific response to a specific act of circumstances ». Notons que le mot « situation » qui sert justement à qualifier le type de cognition envisagé apparaît ici avec le sens qu’il a dans la communauté anglo-saxonne, celui de contexte tant sur le plan matériel qu’intellectuel et social. L’hypothèse de cognition située n’est pas reprise de façon aussi stricte dans la construction de dispositifs didactiques ; c’est souvent l’hypothèse selon laquelle le contexte et les ressources influent sur l’activité cognitive de l’apprenant, qui est gardée dans la construction de dispositifs didactiques autour d’un artefact (Noss et Hoyles, 1996), ou dans la construction de « milieu » favorisant des apprentissages.

Nous avons précisé dans la publication 6 (OS-2) les liens entre la médiation et les médiateurs, notamment autour de la problématique du partage des savoirs entre chercheurs et praticiens. Nous entendons par partage l’action de partager, de diviser en parts ainsi que le résultat de cette action. Partager les savoirs est donc « le fait d'avoir part à quelque chose avec quelqu'un »8.

Si l’on considère l’ensemble des interactions entre chercheurs et praticiens dans ces processus de recherche collaborative et leur médiatisation par des outils théoriques, on peut dire que les tiers espaces créés s’alimentent d’une médiation des savoirs. La médiation des savoirs permet de mettre en place, grâce à un tiers, des interfaces qui accompagnent et facilitent les actes. Elle permet de concilier deux choses jusque-là non rassemblées pour établir une communication et permettre aux savoirs de circuler. Elle s’appuie sur des composants humains ou matériels qu’on peut distinguer en

« médiateurs sociaux « naturels » (normes, valeurs,…), médiateurs humains (négociateurs, chefs…), dispositifs complexes (agencements matériels et géographiques, organisationnels et techniques…) » (Muchielli, 1995 cité par Fabre, 2007). Les médiateurs enrôlent en éveillant la curiosité, ils motivent, réduisent les difficultés, ils simplifient la tâche pour la circonscrire dans des limites surmontables par les autres acteurs. Ainsi les médiateurs maintiennent l’orientation vers le but de la tâche, pour éviter la dispersion, ou la dérive vers autre chose. Ils aident à faire le point sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qui reste à faire. On peut repérer quelques constituants de la médiation des savoirs en jeu dans les processus de recherche collaborative que sont l’intentionnalité et la réciprocité dans ce qui est partagé. La transcendance, c’est-à-dire identifier le problème dans un contexte, par rapport à un but. La signification : le sens des contenus est précisé et/ou spécifié. Le sentiment de compétence : le sujet prend conscience de ce qu’il sait faire et de ce qui lui manque pour parvenir à le faire. La régulation du comportement au travers de la réflexion qui diffère l’entrée dans la tâche.

La coopération où le point de vue de l’autre est pris en compte, par collaboration et/ou interactions verbales. Enfin le changement au travers du retour réflexif qui permet la prise de conscience des progrès effectués.

Dans cette perspective, Dumas Carré et Weil-Barais (1998) ont étudié les interactions humaines dans la classe de physique, en prenant en compte les aspects langagiers mais

8 http://www.cnrtl.fr/definition/partage

aussi les manifestations émotionnelles (gestes, mimiques…) ou conventionnelles, telles les routines. Les analyses et les comparaisons des interactions didactiques, avec des enjeux essentiels de formation de maîtres, ont conduit à distinguer deux postures du professeur : soit de tutelle, soit de médiateur. Dans le cadre de la tutelle, qui se rapproche de la conception d’étayage de Bruner (1983), l’enseignant est un tuteur qui exerce une action sur l’élève, c'est le diagnostic de l’état de progression des élèves et l'exécution des tâches de celui-ci qui déterminent ses interventions. Dans un cadre de médiation, l’enseignant est un médiateur, intermédiaire entre, d’une part, le « monde » des connaissances et des pratiques scientifiques et, d’autre part, les élèves. « Sa fonction est de négocier avec les élèves des changements cognitifs » et c'est le rapport au savoir qui est travaillé. Les corpus, provenant de plusieurs classes, ont conduit à caractériser les moments de tutelle et de médiation, et à étudier la construction d’une coréférence, en particulier lors de l’interprétation d’une situation expérimentale.

Nous avons abordé la question des savoirs des enseignants dans l’appréhension plus large des pratiques d’enseignement tant du point de vue du rapport au métier que de la référentialité des savoirs à enseigner. Le lien entre les pratiques et les savoirs tels que nous les avons proposés, questionne le développement professionnel des enseignants.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 82-86)