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Dans notre enquête, les participants soulignaient la nécessité que le médecin généraliste leur accorde du temps et se montre disponible lors de la consultation. Ces facteurs étaient perçus comme des marques d’intérêt et d’implication du médecin, nécessaires à l’échange. La rapidité de la consultation et le sentiment de « bâclage » étaient d’ailleurs décrits comme des obstacles majeurs à la discussion, interprétés par les jeunes comme un manque de considération de la part du médecin. Des travaux en population adolescente montrent que la disponibilité du médecin est un critère pour se confier (87)(54). De même, le temps accordé en consultation est un facteur influant l’échange entre jeunes consommateurs et médecins généralistes (55). Par ailleurs, d’après une étude française, les jeunes ont tendance à ressentir une frustration après une consultation, l’impression « de ne pas avoir tout dit », et souhaiteraient discuter plus longuement avec leurs médecins, surtout lorsqu’ils sont déprimés ou ont des idées suicidaires (85). À cet âge, les ordonnances hâtives sont souvent perçues comme une fin de non-recevoir et à l’origine d’un sentiment de frustration (99). Il est donc nécessaire que le médecin généraliste accorde au jeune un temps suffisant pour lui permettre d’exprimer ses plaintes, et soit disposé à les prendre en considération.

De plus, dans notre étude, les participants verbalisaient leur souhait que la prise en charge s’inscrive dans la durée. En parallèle, du point de vue des médecins, les contraintes de temps et d’investissement personnel sont perçues comme les principaux obstacles à l’abord des conduites addictives (53)(132). D’après le baromètre santé 2009 de l’Inpes24, plus de 90% des médecins généralistes souhaiteraient disposer de plus de temps pour mener leurs missions de prévention et d’éducation (52). Quand une évaluation plus approfondie est nécessaire, pour pallier à la contrainte de temps en consultation, il est conseillé de proposer un prochain rendez-vous, dans un délai inversement proportionnel à la gravité de la situation (117)(122). Ceci est en général

102/131 bien accepté par les jeunes patients, surtout lorsqu’ils ressentent un mal-être difficile à exprimer, à condition qu’ils en aient compris les objectifs (117). La répétition des consultations permet une connaissance mutuelle progressive entre médecin et patient, et donne la possibilité d’explorer un sujet en partie, puis de l’approfondir par la suite, avec un rythme dicté par le patient. La proposition de se revoir témoigne de la disponibilité et de l’implication du médecin généraliste dans la prise en charge. Ainsi s’il manque de temps en consultation, le médecin généraliste bénéficie de la durée pour favoriser l’échange et instaurer une relation privilégiée.

I. Une relation privilégiée : dans la proximité et la durée

Les participants identifiaient l’absence de lien privilégié avec le médecin comme un frein pour se livrer en consultation. Ils demandaient à être bien connus de leur médecin, et d’avoir une relation singulière avec lui, ou au minimum « un bon feeling ». Dans de nombreuses études, principalement réalisées à l’hôpital, la fréquence du contact était un facteur influant sur l'ouverture et l'efficacité de la communication (126). En médecine générale, le fait d’être suivi dans le temps par le même médecin va plus de soi. Bien souvent, le patient connaît son médecin, le médecin connaît son patient. La stabilité est décrite comme un élément qui facilite le dialogue (51). De plus, la verbalisation d’une expérience difficile nécessite parfois plusieurs consultations (114). Cela s’entend, les adolescents ne souhaitent pas forcément parler et montrer leur corps à quelqu’un qu’ils connaissent mal, indépendamment de la simple question de timidité ou de pudeur (117). Il est nécessaire que le médecin s’applique à la création de liens durables avec l’adolescent, afin de favoriser l’autonomie du jeune et l’aider à consulter plus facilement de lui- même. Le médecin pourra alors être identifié comme une personne ressource par l’adolescent, en capacité de répondre à ses demandes. L’alliance thérapeutique repose sur cette relation singulière, donnant au jeune la possibilité de devenir partie prenante de son projet de soin, et permettant un travail de prévention dans la durée (99).

Pourtant, l’étude de C. Laporte révèle que pour les médecins généralistes, connaître le patient depuis longtemps représente un frein à l’abord du cannabis (53). De même, dans nos entretiens, certains des interviewés préféraient un nouveau médecin pour parler de leur consommation. Ce souhait était motivé d’une part par la recherche de discrétion vis-à-vis de l’entourage, le médecin de famille étant perçu comme « le médecin des parents ». D’autre part

103/131 ils préféraient rencontrer un médecin disposant d’une approche différente de leur médecin habituel, avec qui la relation ou les expériences de discussion ne les avaient pas suffisamment mis à l’aise pour aborder le sujet. Il apparaît en effet dans la littérature que consulter un nouveau médecin peut apporter un « regard neuf », facilitant l’instauration d’un dialogue (80). Comment gérer cette contradiction, entre les intérêts d’une relation durable et ceux d’un médecin récent? L’enjeu pour le généraliste, est de reconnaître à l’adolescent son statut de personne à part entière, indépendant de ses parents. S’il le suit depuis l’enfance, il est important que le médecin généraliste marque cette évolution en changeant le style de la consultation, en donnant la parole au jeune, et en le replaçant au centre des échanges et de l’attention. Cette exigence relationnelle doit toutefois permettre un récit de vie en fonction de la disposition du patient à se raconter. En cas de gêne manifeste, il appartiendra au médecin de reconnaître les difficultés en toute humilité, et d’en faire part à l’adolescent et à ses parents, quitte à leur suggérer de consulter un autre confrère si la gêne persiste (117).