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1. CONTEXTE DU DROIT EUROPÉEN EN MATIÈRE DE PROTECTION DES DONNÉES

1.2. Mise en balance des droits

1.2.2. Accès aux documents

La liberté d’information conformément à l’article 11 de la Charte et à l’article 10 de la CEDH protège non seulement le droit de communiquer mais aussi celui de rece-voir des informations. L’importance de la transparence gouvernementale pour le fonctionnement d’une société démocratique se fait de plus en plus ressentir. Au cours des deux dernières décennies, le droit d’accès aux documents détenus par des autorités publiques a donc été reconnu comme un droit important de tout citoyen

31 CouEDH, Biriuk c. Lituanie, n° 23373/03, 25 novembre 2008.

européen, ainsi que de toute personne physique ou morale ayant son domicile ou son siège social dans un État membre.

Dans le droit du CdE, on peut renvoyer aux principes consacrés dans la recomman-dation sur l’accès aux documents officiels, dont les auteurs de la Convention sur l’ac-cès aux documents officiels (Convention 205)32 se sont inspirés.

Dans le droit européen, le droit d’accès aux documents est garanti par le règle-ment 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (règlement relatif à l’accès aux documents)33. L’article 42 de la Charte et l’article 15, paragraphe 3, du TFUE ont étendu ce droit d’accès aux « docu-ments des institutions, organes et organismes de l’Union, quelle que soit leur forme ».

Conformément à l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, le droit d’accès aux documents s’exerce également dans les conditions et limites définies à l’article 15, paragraphe 3, du TFUE. Ce droit peut s’opposer au droit à la protection des données si l’accès aux docu-ments peut avoir pour conséquence de révéler les données à caractère personnel de tiers. Des demandes d’accès à des documents ou informations détenus par des autori-tés publiques peuvent donc nécessiter une mise en balance avec le droit à la protection des données des personnes dont les données figurent dans les documents demandés.

Exemple : dans l’affaire Commission c. Bavarian Lager34, la CJUE a défini l’éten-due de la protection des données à caractère personnel dans le contexte de l’accès aux documents des institutions communautaires, ainsi que les relations entre les règlements 1049/2001 (règlement relatif à l’accès aux documents) et 45/2001 (règlement relatif à la protection des données). La société Bavarian Lager, créée en 1992, importait de la bière allemande en bouteille au Royaume-Uni, principalement pour des pubs et des bars. Elle avait toutefois rencontré des difficultés car la législation britannique favorisait de fait les producteurs natio-naux. En réponse à la plainte de Bavarian Lager, la Commission européenne a décidé d’engager une procédure contre le Royaume-Uni pour manquement à ses obligations, ce qui a abouti à la modification des dispositions contestées et à leur alignement sur le droit communautaire. Bavarian Lager a ensuite demandé

32 Conseil de l’Europe, Comité des Ministres (2002), Recommandation Rec (2002) 2 aux États membres sur l’accès aux documents publics, 21 février 2002 ; Conseil de l’Europe, Convention sur l’accès aux documents officiels, STCE n° 205, 18 juin 2009. La Convention n’est pas encore entrée en vigueur.

33 Règlement (CE) n °1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JO 2001 L 145.

34 CJUE, C-28/08 P, Commission européenne c. The Bavarian Lager Co. Ltd., 29 juin 2010, paras. 60, 63, 76, 78 et 79.

à la Commission, entre autres documents, une copie du procès-verbal d’une réunion à laquelle avaient participé des représentants de la Commission, des autorités britanniques et de la Confédération des Brasseurs du Marché Commun (CBMC). La Commission a accepté de communiquer certains documents relatifs à la réunion mais a occulté cinq noms dans le procès-verbal, deux personnes s’étant expressément opposées à la divulgation de leur identité et la Com-mission n’ayant pu contacter les trois autres. Par décision du 18 mars 2004, la Commission a rejeté un nouveau recours de Bavarian Lager visant à obtenir le procès-verbal complet de la réunion, citant notamment la protection de la vie privée de ces personnes, telle que garantie par le règlement relatif à la pro-tection des données. Insatisfaite de cette position, Bavarian Lager a formé un recours devant le tribunal de première instance, qui avait annulé la décision de la Commission par une décision du 8 novembre 2007 (affaire T-194/04, Bava-rian Lager c. Commission), considérant en particulier que la simple inscription des noms des personnes en question sur la liste des participants à une réunion pour le compte de l’institution qu’elles représentaient ne constituait pas une atteinte à la vie privée et n’exposait pas la vie privée de ces personnes à un quelconque danger.

Sur pourvoi de la Commission, la CJUE a annulé la décision du tribunal de pre-mière instance. La CJUE a retenu que le règlement relatif à l’accès aux docu-ments établit « un régime spécifique et renforcé de protection d’une personne dont les données à caractère personnel pourraient, le cas échéant, être commu-niquées au public ». Selon la CJUE, lorsqu’une demande fondée sur le règlement relatif à l’accès aux documents vise à obtenir l’accès à des documents com-prenant des données à caractère personnel, les dispositions dudit règlement deviennent intégralement applicables. La CJUE a ensuite conclu que c’était à bon droit que la Commission avait rejeté la demande d’accès au procès-verbal com-plet de la réunion d’octobre 1996. En l’absence du consentement des cinq par-ticipants à cette réunion, la Commission avait dûment respecté son obligation d’ouverture en communiquant une version du document en question occultant leurs noms.

De plus, selon la CJUE, « Bavarian Lager n’ayant fourni aucune justification expresse et légitime ni aucun argument convaincant pour démontrer la néces-sité du transfert de ces données personnelles, la Commission n’avait pas pu mettre en balance les différents intérêts des parties en cause. Elle ne pouvait non plus vérifier que ce transfert ne pourrait pas porter atteinte aux intérêts

légitimes des personnes concernées », ainsi que le prescrit le règlement relatif à la protection des données.

Selon cet arrêt, une ingérence dans le droit à la protection des données à l’égard de l’accès à des documents requiert un motif spécifique et justifié. Le droit d’accès à des documents ne peut automatiquement écarter le droit à la protection des données35. Un aspect particulier d’une demande d’accès a été traité dans l’arrêt suivant de la CouEDH.

Exemple : dans l’affaire Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie36, la requé-rante, une ONG ayant pour objectif la défense des droits de l’homme, deman-dait à la Cour constitutionnelle l’accès à des informations sur une affaire pendante. Sans consulter le parlementaire lui ayant soumis l’affaire, la Cour constitutionnelle a refusé l’accès au motif que des griefs dont elle était saisie ne pouvaient être communiqués à des tiers sans l’autorisation du plaignant. Les juridictions nationales ont confirmé ce refus au motif que la protection de telles données à caractère personnel ne pouvait s’effacer devant d’autres intérêts juridiques tels que l’accessibilité à des informations publiques. La requérante a agi comme « organisme de surveillance pour la société », ses activités visant à garantir une protection similaire à celle accordée à la presse. S’agissant de la liberté de la presse, la CouEDH a constamment retenu que le public a le droit d’obtenir des informations d’intérêt général. Les renseignements demandés par la requérante étaient « prêts et disponibles » et ne nécessitaient aucune collecte de données. Dans de telles circonstances, l’État avait l’obligation de ne pas entraver la circulation des informations demandées. En résumé, la CouEDH a considéré que les obstacles conçus pour empêcher l’accès à des informations d’intérêt général étaient de nature à dissuader les personnes travaillant dans le secteur des médias et d’autres secteurs connexes d’exercer leur rôle essentiel de « organisme de surveillance pour la société ». La CouEDH a conclu à une vio-lation de l’article 10.

35 Voir, toutefois, le détail des délibérations dans Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) (2011), Accès du public aux documents contenant des données à caractère personnel après l’arrêt rendu dans l’affaire Bavarian Lager, Bruxelles, 24 mars 2011, disponibles à l’adresse : www.edps.europa.eu/

EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/EDPS/Publications/Papers/BackgroundP/11-03-24_

Bavarian_Lager_FR.pdf.

36 CouEDH, Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie, n° 37374/05, 14 avril 2009 ; voir paras. 27, 36, 37 et 38.

Dans le droit de l’UE, l’importance de la transparence est fermement établie. Le prin-cipe de la transparence est consacré aux articles 1 et 10 du TUE et à l’article 15, para-graphe 1, du TFUE37. Aux termes du considérant 2 du règlement (CE) n° 1049/2001, la transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au proces-sus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et respon-sabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique38. Suivant ce raisonnement, le règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil relatif au financement de la politique agricole commune et le règlement (CE) n° 259/2008 de la Commission portant modalités de son application requièrent la publication d’infor-mations sur les bénéficiaires de certains fonds européens dans le secteur agricole et des montants perçus par chaque bénéficiaire39. La publication doit contribuer au contrôle public de l’utilisation appropriée de fonds publics par l’administration. La proportionnalité de cette publication a été contestée par plusieurs bénéficiaires.

Exemple : dans les affaires jointes Volker und Markus Schecke et Hartmut Eifert c. Land Hessen40, la CJUE devait se prononcer sur la proportionnalité de la publi-cation, requise par la législation européenne, du nom des bénéficiaires d’aides agricoles européennes, et des montants qu’ils avaient reçus.

La Cour, relevant que le droit à la protection des données n’est pas une préro-gative absolue, a soutenu que la publication sur un site internet des données nominatives relatives aux bénéficiaires de deux fonds agricoles européens et aux montants précis perçus par ceux-ci constitue une ingérence dans leur vie privée en général, et dans la protection de leurs données à caractère personnel, en particulier.

La Cour a considéré qu’une telle atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte était prévue par la loi et répondait à un objectif d’intérêt général reconnu par l’UE, à

37 UE (2012), versions consolidées du TUE et du TFUE, JO 2012 C 326.

38 CJUE, C-41/00 P, Interporc Im- und Export GmbH c. Commission des Communautés européennes, 6 mars 2003, para. 39 ; et CJUE, C-28/08 P, Commission européenne c. The Bavarian Lager Co. Ltd., 29 juin 2010, para. 54.

39 Règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil du 21 juin 2005 relatif au financement de la politique agricole commune, JO 2005 L 209 ; et règlement (CE) n° 259/2008 de la Commission du 18 mars 2008 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil en ce qui concerne la publication des informations relatives aux bénéficiaires de fonds en provenance du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), JO 2008 L 76.

40 CJUE, affaires jointes C-92/09 et C-93/09, Volker und Markus Schecke GbR et Hartmut Eifert c. Land Hessen, 9 novembre 2010, paras. 47 à 52, 58, 66 et 67, 75, 86 et 92.

savoir accroître la transparence de l’utilisation des fonds communautaires. Tou-tefois, la CJUE a considéré que la publication des noms des personnes physiques bénéficiaires des aides agricoles européennes relevant de ces deux fonds, et du montant exact reçu, constituait une mesure disproportionnée et n’était pas justifiée au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. La Cour a donc jugé partiellement nulle la législation européenne sur la publication d’informations relatives aux bénéficiaires de fonds agricoles européens.