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Abus de confiance et relations de travail

Commet un abus de confiance celui qui s'approprie indümeut une chose qui lui a été confiée ou emploie sans droit une chose ou une valeur, somme d'argent par exemple, qui lui appartieut juridique-ment, mais qui reste économiquement la propriété d'autrui. Ce qui est reproché dans les deux cas, c'est une déloyauté consistant, pour le dire d'une manière simplifiée, à substituer à l'intérêt d'autrui son propre 17 Sur les deux questions -les art. 140 et 159 CP comme violations

d'obliga-tions contractuelles et l'importance relativement secondaire du contrat

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travail, voir l'étude approfondie de POPP, op.cit. note 15, pp. 283 ss.

18 En revanche, l'on ne s'arrêtera pas sur la question, fort controversée en doc-trine, de savoir quelle disposition s'applique prioritairement sur l'autre.

Réflexion de base chez SCHMID, op.cit. note 15: l'abus de confiance s'ap-plique en priorité en raison de la clause punitive plus lourde de l'infraction de base; au cas où c'est la gestion déloyale aggravée en raison de la présence chez l'auteur du dessein de lucre (art. 159 ch. 2 CP), c'est cette dernière dis-position qui s'applique. Par la suite, le Tribunal fédéral a assoupli sa défini-tion du lucre, jusqu'à l'assimiler au dessein d'enrichissement illégitime; cl:

ce fait, c'est le plus souvent l'art. 159 ch.2 qui s'applique en cas de concours apparent des deux dispositions, cf. STRATENWERfH, op.cit. note 14, p. 366. La nouvelle mouture du Code tient compte de cette évolution juris-prudentielle à l'art. 158 ch.2 (gestion déloyale dans la nouvelle numérota-tion), et aligne la clause punitive de la gestion déloyale aggravée sur celle de l'abus de confiance simple (art. 138 nCP):empriSOtUlement ou réclusion jusqu'à cinq ans. Le choix de la disposition applicable en cas de concours ne pourra donc plus dépendre que de l'élément qualificatif prépondérant: rap-port de confiance ou qualité de gérant.

32 Robert ROTH intérêt ou éventuellement l'intérêt d'un tiers non légitimé19 C'est donc en fonction des intérêts de l'employeur/ayant droit que se définissent les obligations de l'employé. Il en va d'ailleurs de même, en sens in-verse: dans les cas, devenant semble-t-il malheureusement plus fré-quents, de détournement de cotisations sociales, il est reproché à ce pouvoir. Ainsi, le chef de bureau d'une association professionnelle qui mélange la caisse d'assurance chômage de l'association avec ses biens propres commet un abus de confiance : "Du seul fait de l'existence du contrat de travail", écrit le Tribunal fédéral, "(l'employé) ne pouvait et ne devait administrer les caisses de service que dans l'intérêt de l'employeur"22 ,

19 Le critère de la substitution à l'intérêt de l'ayant droit d'un autre intérêt est cbahutéen doctrine (cf. CASSAN!, U., La protection pénale du patrimoine, Lausanne, 1988, pp. 153 ss.) et dans la jurisprudence: il est par exemple confiance est une forme de détournement qualifié, puisqu'il est présenté comme un cas particulier de l'infraction de base qu'est le détournement simple ("appropriation illégitime'') réprimé par le nouvel art. 137 CP.

22 ATF!05 IV 29; cf. un arrêt cantonal très illustratif, PKG 1970, p. 85.

Dans un tel cas, la simple confllsion des deux caisses snffit à consommer l'infraction, puisque l'employé avait l'obligation de les garder distinctes, de les gérer séparément. Il en va différemment lorsque l'employé se voit confier une somme d'argent pour accomplir une tâcbe quelconque; dans ce cas, il est légitimé à mélanger cet argent avec le sien et en devient donc le propriétaire juridique sans en être le propriétaire économique. Au cas où il détourne la somme, c'est l'art. 140 cb. 1 al. 2 (emploi sans droit d'un bien cœfié) qui s'applique et non l'art. 140 ch. 1 al. 1 (appropriation d'une chose confiée); sur toute la problématique, lire CASSAN!, op.cil. note 19, pp. 149 ss.

Le statut de l'employé est donc déterminant. Deux questions se posent dès lors :

La position de l'employé dans la hiérarchie modifie-t-elle la qualification juridique de ses agissements déloyaux?

Jusqu'où vont ses obligations dans l'hypothèse où il n'agit pas, mais laisse faire un collègue qui, lui-même, se comporte de ma-nière déloyale.

La jurisprudence apporte une réponse hésitante à la première question, ct plus déterminée à la seconde.

1. Position de l'employé, abus de confiance ou vol

Le premier problème, qui a donné lieu à unc évolution jurispru-dentielle quelque peu chaotique, amène à s'interroger sur le sens du terme "confier" et à délimiter les champs d'application respectifs du vol (art. 137 CP) et de l'abus de confiance.

Aux termes de la jurisprudence la plus récente, une chose n'est confiée au sens de l'art. 140 CP que si l'employé acquiert de ce fait une pleine maîtrise sur cette chose, complémentaire à celle que conserve son emtoyeur et de même rang qu'elle23. Sinon, il ne pourra y avoir qu'un vol C'est la place de l'employé dans la hiérarchie qui fera la différence: "Un travailleur employé dans un magasin n'a pas le même pouvoir de disposer des marchandises qu'un chef d'entreprise ou une personne responsable de l'exploitation; il ne jouit pas d'un pouvoir de disposer qui s'exerce au moins momentanément sans qu'il soit soumis à un contrôle"25. Ainsi, schématiquement parlant, l'employé qui disparaît avec une marchandise appartenant à son entreprise sera un voleur s'il occupe un poste subalterne, car il brise la possession exclusive ou dominante d'autrui; il commettra un abus de confiance s'il est cadre intermédiaire ou supérieur, puisqu'il abusera alors de sa position de possesseur de rang égal à celui de son em-ployeur.

23 Dernier état: ATF 109 IV 33 = JdT 1984 IV 44. Jurisprudence cantonale plus récente: BJP 1989 no 588; 1991 no 179.

24 Infraction dont la clause punitive sera d'ailleurs bientOt identique à celle de l'abus de confiance, cf. note 18 ci-dessus.

25 Arrêt de l'Obergericht du canton de Thurgovie du 1er décembre 1987, cité d'après BJP 1991 no 179.

34 Robert Rarn 2. Obligation d'empêcher un acte déloyal?

Une situation qui se rencontre fréquemment en pratique, surtout dans les entreprises de services, est celle d'un employé, témoin passif d'agissements incorrects d'un collègue: a-t-il une obligation juridique d'intervenir? Le Tribunal fédéral a répondu clairement dans une dé-cision de 1987 : "En Suisse, l'on n'admet pas qu'un employé ait l'obli-gation d'intervenir envers des égaux ou des supérieurs. Une exception à cette règle ne se justifie que si des circonstances particulières impo-sent clairement à l'employé l'obligation de prévenir une infraction commise par un collègue" ( ... ) Toute interprétation plus large du de-voir de fidélité aboutirait à criminaliser abusivement le défaut d'ac-complissement de certains actes"26 Même une position hiérarchique dominante ne suffit pas à elle seule à fonder une obligation27 d'empê-cher un subordonné de porter atteinte aux intérêts de l'employeur: ce qui est déterminant, souligne le Tribunal fédéral dans son arrêt cité, c'est "la nature de l'activité professionnelle". Seul peut se voir pour-suivi celui dont le contrat ou le cahier des charges mentionne spécifi-quement l'obligation de veiller sur la chose ou la somme d'argent qui a fait l'objet de l'indélicatesse. "Il importe donc de rechercher concrète-ment en quoi consiste le devoir de fidélité et quelle est son importance par rapport à d'autres obligahons"28. Comme il a été dit plus haut, le contrat de travail en tant que tel ne suffit pas à créer une obligation de veiller à la sauvegarde des intérêts pécuniaires de l'employeur. Voilà une bonne illustration de l'autonomie de la protection pénale vis-à-vis du devoir général de fidélité.

26 ATF 113 IV 75-76 = IdT 1988 IV 78-79.

27 L'abstention n'est punissable qu'au cas où l'auteur avait une obligation juri~

dique spéciale d'agir, i.e. "de protéger un bien juridique contre toute atteinte ou contre certaines atteintes"( dRA VEN", Ph., La responsabilité pénale du chef d'entreprise et de l'entreprise elle-même, SI 1985, p. 506). C'est ce que les pénalistes appellent la position de garant (Garantenstellung; sur l'appli-cation au chef d'entreprise, voir également ZAPPELU, P., La responsabilité pénale des organes d'une personne morale, RPS 1988, pp. 2m ss.). Le CP actuel ne contient aucune disposition sur les conditions de la punissabilité du garant. L'avant-projet de révision de juillet 1993 introduit, à son article 22, une telle disposition.

28 ATF 113 IV 73 = IdT 1988 IV 76.

B. L'aulonomie du travailleur eomme condition