7) Du matériau au dispositif
7.2. a) Les thermogénérateurs
restreint leur utilisation à des domaines très spécifiques, ne pouvant recourir à des technologies alternatives.38
Ils présentent toutefois des avantages inégalés en termes de compacité, de fiabilité et de longévité gr}ce à l’absence de pièces mécaniques en mouvement. De plus, les modules garantissent une conversion d’énergie sans émission de vibrations ou de bruit. Enfin, l’encombrement limité des dispositifs thermoélectriques offre la possibilité d’adapter les dimensions de la taille micrométrique jusqu’à l’échelle industrielle.
7.2.a) Les thermogénérateurs
Les travaux réalisés par Henri Le Chatelier en 1885 permettent une avancée significative dans l’utilisation du thermocouple. L’exploitation de l’effet Seebeck pour déterminer la température se généralise une quinzaine d’années plus tard et aboutit à la première utilisation commerciale d’un phénomène thermoélectrique.12, 39 Celleci demeure, de nos jours, l’application la plus répandue.
Dans le contexte socioéconomique actuel, la recherche de nouveaux matériaux pour la thermogénération concentre une grande partie des efforts menés sur la thermoélectricité.
Une des premières démonstrations convaincantes de l’effet Seebeck pour la génération d’énergie électrique date de 1864 avec la thermopile développée par Markus.40 Les performances de celleci sont cependant pénalisées en raison de l’utilisation d’alliages métalliques et de l’oxydation progressive du module lors de la thermogénération. Pendant de longues décennies, la génération d’énergie électrique par l’effet Seebeck demeure cantonnée au stade de démonstration technique. Le premier dispositif commercial permettant d’alimenter une radio gr}ce à la chaleur dégagée par un brûleur à gaz ne voit ainsi le jour qu’en 1925, sous le nom Thermattaix.41
Au cours des années 1950, les métaux sont remplacés par les semiconducteurs qui offrent un regain de performance et d’intérêt envers la thermoélectricité.17 Dès 1961, les modules thermoélectriques à base de PbTe sont utilisés au sein de générateurs
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thermoélectriques à radioisotopes (RTGs) pour la conquête spatiale (Figure I10a). Ceuxci puisent leur énergie de la chaleur fournie par la décroissance radioactive naturelle d’un élément radioactif (238Pu,210Po,90Sr).42 Les RTGs se sont rapidement imposés pour les missions d’exploration à la surface des planètes ainsi que pour les sondes voyageant loin du soleil. En effet, le rayonnement solaire insuffisant (ou intermittent) lors de ces expéditions exclut l’utilisation de panneaux photovoltaïques. De plus, les sondes nécessitent une source d’énergie fiable et stable sur plusieurs années/décennies sans possibilité de maintenance.43 Les RTGs prennent ainsi un ascendant indéniable sur les techniques de conversion d’énergie mécanique qui ne disposent pas d’une telle longévité. La sonde spatiale Voyager 1 lancée en 1977 offre une parfaite illustration de la fiabilité des RTGs.41 Elle est devenue en 2012 le premier objet humain à pénétrer dans le milieu interstellaire.44 Celleci est toujours alimentée par son RTG au SiGe et continue à transmettre de précieuses informations plus de 40 ans après le début de sa mission.
Les modules thermoélectriques sont donc des systèmes de choix pour l’alimentation d’équipements dans des environnements isolés (espace, phares/balises de navigation, stations météorologiques autonomes, systèmes de communication, équipements de sécurité...) ne pouvant bénéficier ni d’un réseau électrique, ni d’opérations de maintenance.45, 46 Figure I10 : (a) Représentation schématique d’un RTG47 (b) thermogénérateur utilisant la chaleur d’une source hydrothermale.46
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La puissance délivrée par les thermogénérateurs s’échelonne du kW (RTG) jusqu’au μW (microthermogénérateur) et couvre ainsi un vaste panel d’applications. La récente émergence de matériaux au ratio performance/prix plus avantageux coïncide avec l’apparition de nouveaux marchés. De cette conjoncture nait une opportunité inédite de démocratiser l’utilisation de la thermoélectricité à grande échelle. Parmi ces marchés en plein essor, l’«Internet des Objets » (IoT) ainsi que le secteur automobile présentent actuellement le plus fort potentiel de croissance pour le domaine thermoélectrique.
Depuis 2013, le nombre d’appareils connectés à Internet connait un accroissement exponentiel. Les estimations indiquent ainsi que ce marché devrait passer d’environ 13 milliards (en 2013) à 50 milliards d’objets connectés en 2025.48, 49 Parmi la pléthore de nouveaux usages créés par l’IoT, certains pourraient grandement bénéficier des avantages des modules thermoélectriques en termes d’autonomie, de longévité et de capacité de miniaturisation (encombrement et poids réduits). C’est notamment le cas de la domotique avec l’utilisation de détecteurs de paramètres physicochimiques, thermostats, détecteurs de fumée, systèmes de vidéosurveillance… voués à prendre place dans les futures maisons connectées. Ce constat est également partagé par les wearables qui comprennent les montres connectées, traqueurs d’activités, capteurs médicaux… qui requièrent une source d’alimentation compacte, fiable et peu onéreuse.50
L’utilisation de thermogénérateurs dans ces différents dispositifs offrirait une importante plusvalue en rendant l’objet parfaitement autonome sans nécessiter d’intervention de l’utilisateur (changer une pile, recharger une batterie…). Les actions réalisées par certains appareils connectés tels que la détection de paramètres physiques ou chimiques restent peu consommatrices d’énergie (quelques dizaines de μW).51 Or, les modules thermoélectriques ont prouvé depuis de nombreuses années leur viabilité dans des applications requérant quelques μW (montres à quartz)52 ou quelques dizaines de μW tels que dans les pacemakers (Figure I11).53, 54
Actuellement, les microthermogénérateurs équipent des appareils dont l’utilité est réservée à une faible fraction de la population en raison de leur coût important. Dans l’objectif de bénéficier des opportunités offertes par le marché de l’Internet des Objets, il est
37 primordial d’apporter une réponse adaptée au secteur visé, en développant des matériaux disposant d’un meilleur rapport performance/prix à partir d’éléments abondants. Figure I11 : (a) La Seiko thermic commercialisée en 1998 est la première montre alimentée uniquement grâce à la chaleur du corps humain. (b) Pacemaker utilisant un RTG au 238Pu.
Enfin, de nombreuses compagnies du secteur automobile tels que BMW, Ford, General Motors, Honda, Renault, Toyota, Volkswagen, Volvo… étudient la possibilité de faire appel à des thermogénérateurs.55, 56 En effet, les moteurs à combustion interne des véhicules actuels ont une efficacité d’environ 25 %. Ils perdent ainsi 5 % de l’énergie par friction, tandis que la dissipation sous forme de chaleur se fait à hauteur de 30 % dans le circuit de refroidissement et 40 % par les gaz d’échappement.57 La température de ces gaz est suffisamment élevée (500 °C) pour envisager de récupérer une partie de cette énergie sous forme d’électricité gr}ce à l’effet Seebeck. L’intégration de modules thermoélectriques sur la ligne d’échappement (Figure I12) permettrait de s’affranchir de l’alternateur présent dans les voitures, de réduire la consommation de carburant (entre 3 et 5 %) et ainsi de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.58
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D’autres initiatives sont également à l’étude, tel que la réalisation de vêtements thermoélectriques pour le domaine privé ou militaire.60–62 L’emploi de ces textiles par les soldats permettrait d’alimenter les équipements tactiques (GPS, systèmes de télécommunications…) tout en s’affranchissant des batteries, allégeant ainsi fortement la charge à transporter.