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a) L’identification de Dora

Dans le document tel-00651477, version 1 - 13 Dec 2011 (Page 55-60)

Dans le Séminaire I84, Lacan soulève le problème de l‟interprétation freudienne :

« …il [Freud] ne s‟est pas aperçu de la position de Dora, c'est-à-dire de ce qu‟était l‟objet de Dora. Il ne s‟est pas aperçu, pour tout dire, qu‟en O‟ il y a pour elle Madame K. »

Le O‟ marque l‟image virtuelle au miroir. « Freud est là, qui dit à Dora Ŕ Vous aimez Monsieur K. » Ce qui rompt l‟analyse par la suggestion et l‟intervention de l‟ego de Freud.

Dora projette donc en O‟ son moi imaginaire, son idéal du moi sous les traits de Mme K. (et de la Madone). Au moment de la vision de cette image, le désir émerge avec angoisse nous dit Lacan : « À ce moment-là, le désir est, par le sujet, senti Ŕ il ne peut l‟être sans la conjonction de la parole. Et c‟est un moment de pure angoisse, et rien d‟autre. Le désir émerge dans une confrontation avec l‟image. Lorsque cette image qui avait été décomplétée, se complète, lorsque la face imaginaire qui était non-intégrée, réprimée, refoulée, surgit, alors l‟angoisse apparaît. C‟est le point fécond. »85

Dans le séminaire III, Lacan décrit la situation où se trouve Dora comme un menuet à quatre : Dora, son père, M. et Mme K.86 M. K. sert de moi à Dora pour soutenir son rapport à Mme K.

Dora se trouve dans un rapport d‟identification et de rivalité avec son père vis-à-vis de Mme K. Son aphonie se répète dans les moments de tête-à-tête avec son objet d‟amour, il s‟agit de l‟érotisation de la fonction orale. Nous pouvons schématiser la situation des personnages comme suit : Dora vise son objet (Mme K.) par et à travers l‟identification à M.

K. et entre en rivalité avec son père vis-à-vis de son objet de désir.

84 Lacan J. Séminaire I. p 286.

85 Lacan J. op.cit. p. 293.

86 Lacan J. Séminaire III (p 104 - 111) : (voir intervention sur le transfert dans écrit)

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Dora ---M. K. (moi) --- Mme K. (objet)

Père de Dora

Lorsque M. K. fait des avances à Dora et lui dit que sa femme n‟est rien pour lui, il y a rupture du quadrilatère et « à partir du moment où, le quatrième personnage s‟en allant, la situation se décompense, un petit syndrome, de persécution tout simplement, apparaît chez Dora par rapport à son père. »87 La persécution n‟est pas la psychose : comme symptôme différentiel, il y faut des troubles du langage (dans la psychose).

Se pose alors la question du narcissisme : « toute identification érotique, toute saisie de l‟autre par l‟image dans un rapport de captivation érotique, se fait par la voie de la relation narcissique Ŕ et c‟est aussi la base de la tension agressive. »88 Tension agressive entre le moi et l‟autre (dualité instauré au sein du sujet) dans le fonctionnement imaginaire. Lacan donne des exemples en éthologie sur la fonction imaginaire des animaux (épinoche) dans la reproduction et l‟agressivité. L‟imaginaire n‟est pas le propre de l‟Homme.

Lacan convoque alors le complexe d‟œdipe, c'est-à-dire l‟ordre symbolique, qui permet d‟éviter la décompensation : « Le complexe d‟œdipe veut dire que la relation imaginaire, conflictuelle, incestueuse en elle-même, est vouée au conflit et à la ruine. Pour que l‟être humain puisse établir la relation la plus naturelle, celle du mâle à la femelle, il faut qu‟intervienne un tiers, qui soit l‟image de quelque chose de réussi, le modèle d‟une harmonie. Ce n‟est pas assez dire Ŕ il y faut une loi, une chaîne, un ordre symbolique, l‟intervention de l‟ordre de la parole, c'est-à-dire du père. Non pas le père naturel mais ce qui s‟appelle père. L‟ordre qui empêche la collision et l‟éclatement de la situation dans l‟ensemble est fondé sur l‟existence de ce nom du père. »89

Voilà l‟ordre symbolique, garanti par le nom du père, qui vient faire tenir et maintenir l‟imaginaire : « …l‟ordre symbolique subsiste comme tel hors du sujet, distinct de son existence, et le déterminant. »

87 Lacan J. op. cit. p. 106.

88 Lacan J. op. cit. p.107.

89 Lacan J. op. cit. p. 111.

Rivalité Identification

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La fonction du moi est illusionniste, fondamentalement narcissique (imaginaire).

(N‟est ce pas d‟ailleurs cette part là qui est à l‟œuvre dans le scientisme, une projection narcissique, imaginaire donc, sur la construction de la réalité ? Le réel reste impossible.)

Lacan reprend cette problématique dans le séminaire III90 : Dora place dans M. K. son point d‟identification imaginaire. Son aphonie survient lorsqu‟elle est seule en présence de Mme K. L‟anatomie dans les phénomènes hystériques est fantasmatique et ne suit pas les branches nerveuses. « C‟est toujours d‟une anatomie imaginaire dont il s‟agit »91

La question de Dora et la question de l‟hystérique est : Qu‟est-ce qu‟être une femme ? (C‟est le problème de la dialectique de l‟imaginaire et du symbolique dans le complexe d‟œdipe dit Lacan.)

Les études de Freud sur la dissymétrie dans l‟œdipe font apparaître que : « ... la raison de la dissymétrie [dans le complexe d‟œdipe pour le garçon et la fille] se situe essentiellement au niveau symbolique, qu‟elle tient au signifiant. » Il n‟y a pas de symbolisation du sexe de la femme, nous dit Lacan, alors qu‟il y a une prévalence de la symbolique phallique dont il n‟y a pas d‟équivalent. Les deux sexes ont à passer par le même chemin de la castration.

« L‟expérience de l‟œdipe témoigne de la prédominance du signifiant dans les voies d‟accès de la réalisation subjective. »92

La question qui se pose alors est : comment le symbolique, autour du phallus, ordonne les places du sexué ?

La question de Dora autour du féminin rencontre son identification à l‟homme, porteur de pénis, qui lui sert à appréhender ce qu‟elle n‟arrive pas à symboliser : « Quand sa question prend forme sous l‟aspect de l‟hystérie, il est très facile à la femme de la poser par la voie la plus courte, à savoir l‟identification au père. »93

l‟Imaginaire, le S (A barré), le hors symbolique justement. Si nous suivons Lacan, il n‟y a pas de symbolisation possible de l‟origine : point aveugle que l‟on retrouve dans la science.

Par exemple sur l‟origine de l‟Univers et le début du Big Bang (le mur de Planck), ou, autre exemple, les origines de l‟homme (ce qui revient à se poser la question de l‟origine du symbolique). Le symbolique ne peut expliquer sa propre origine, ce qu‟il faut entendre comme le fait qu‟il n‟existe pas de méta-langage. D‟un point de vue topologique, nous pouvons nous référer à la bouteille de Klein : le S1 (le point de rebroussement) appelle un S2 (un point quelconque de la surface de la bouteille).

La question de l‟hystérique, au-delà du féminin, c‟est la question de l‟au-delà du symbolique, la question de la vie et du sexuel. Y a t-il un savoir et un discours tenable sans le recours au langage ? C‟est le discours intransmissible de l‟expérience mystique, sensorielle, corporelle. Le symbolique ne recouvre pas l‟imaginaire. Il n‟y a pas de garantie de la vérité du sujet dans le symbolique (malgré ce que pensait Descartes).

La question de l‟hystérique est donc cette question du féminin au-delà du symbolique qui se différencie de la question de l‟obsessionnel qui est d‟être déjà mort (ou immortel c‟est pareil) du fait de son inscription dans l‟ordre symbolique.

On voit donc se dessiner les places différentielles de l‟hystérique et de l‟obsessionnel : un au-delà de l‟ordre phallique (symbolique) pour l‟hystérique et le désordre qui en découle, par opposition à l‟inscription coûte que coûte de l‟obsessionnel dans un symbolique mortifère.

Dans le séminaire IV96, Lacan reprend la question de la position de l‟hystérique par rapport au phallus : Dora s‟est montrée complaisante dans la situation. Lacan note une carence phallique du père de Dora, son impuissance, qui traverse tout le cas. « Elle l‟aime précisément pour ce qu‟il ne lui donne pas. »97 Mais la question de Dora devient : qu‟est ce que mon père aime chez Mme K. ? Ce que désire Dora, au-delà de Mme K., c‟est ce qu‟elle n‟a pas, c'est-à-dire le phallus. « Dans le don d‟amour, quelque chose est donné pour rien, et qui ne peut être que rien. Autrement dit, ce qui fait le don, c‟est qu‟un sujet donne quelque chose d‟une façon gratuite, pour autant que derrière ce qu‟il donne il y a tout ce qui lui manque, c‟est que le sujet sacrifie au-delà de ce qu‟il a. »98

96 Lacan J. Séminaire IV (p.136 - 147)

97 Lacan J. op. cit. p. 141.

98 Lacan J. op. cit. p. 140.

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Voilà le schéma des relations de Dora tel que l‟établit Lacan99 (serait-ce ancêtre du schéma L ?) :

Mme K. M. K.

La question à qui Dora s‟identifie

Dora Père

Reste l‟Autre par excellence

L‟ordre se rompt lorsque M. K. dit à Dora que du côté de sa femme il n‟y a rien (c'est-à-dire qu‟il n‟y a pas le phallus du père de Dora). Dora ne peut se sentir désirée au simple titre d‟objet d‟amour par M. K. Ce « rabaissement » au rang d‟objet, elle ne le supporte pas car, nous dit Lacan, elle n‟a pas renoncé au phallus paternel conçu comme objet du don. Elle ne peut donc concevoir de recevoir un don d‟un autre homme et refuse de rentrer, en terme lévi-straussien, dans des échanges symboliques de la parenté, et donc dans une relation d‟amour avec un autre homme que le père.

M. K. est la métaphore de Dora, dixit Lacan. Comment comprendre ceci ? La question de Dora est : qu‟est-ce d‟être une femme ? Possède-t-elle le phallus puisqu‟elle est sujette au désir des hommes ? Mme K. pour son père, elle-même pour M. K. De quel phallus s‟agit-il ? Le phallus du père ou le phallus d‟un autre homme ? Le phallus circule donc, dans le quadrille sans que l‟on sache qui l‟a.

Le père désire Mme K., dépositaire du phallus, mais M. K. dit à Dora que sa femme ne l‟a pas mais qu‟elle le possède. En ce sens, M. K. est aussi indécis que Dora sur la localisation du phallus et c‟est en ce sens que l‟on comprend qu‟il soit la métaphore de Dora. Nous percevons alors l‟instabilité des identifications narcissiques de Dora et de M. K. sur l‟axe imaginaire (a-a‟).

Les symptômes hystériques de Dora sont des éléments métaphoriques de sa névrose : la circulation du phallus et l‟instabilité des identifications imaginaires. La toux, l‟asthme localisent le phallus, tandis que l‟aphonie de Dora localiserait le rien de la femme. Ici

99 Lacan J. op. cit. p. 143.

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s‟expose le lien entre le symbolique, les signifiants, et les symptômes de l‟hystérie. Le corps est le lieu d‟expression de la névrose et des signifiants.

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