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152. En procédure pénale, on peut considérer que l‟intérêt général implique la réduction du nombre des infractions et le traitement de celles qui sont commises, par des moyens justes et rapides576. En entrant dans le procès pénal, l‟intérêt général acquiert une dimension rhétorique et normative. Il n‟est plus question de mise en équilibre de valeurs, mais de légitimation de choix pour lesquels il semble difficile de rigidifier la norme procédurale. Facteur d‟adaptabilité faiblement contraignant du point de vue de la motivation, il contribue à contourner les difficultés spécifiques d‟une affaire en aménageant les principes applicables577. Il est, en cela, un moyen nécessaire à la fluidité de la procédure.

153. Force est de constater que l‟analyse de cette définition nous amène à conclure, que presque toute la procédure pénale est imprégnée de la notion d‟intérêt général, et il serait d‟ailleurs impossible d‟en énumérer ici toutes les manifestations578, ce qui n‟est pas l‟objet de nos propos. Il conviendra d‟observer toutefois que c‟est parce qu‟il personnifie l‟intérêt

574 P. MALIBERT, Le ministère public, Litec, 1994 ( extrait du Juris-classeur de Procédure pénale ), n° 3 : « Les attributions du ministère public ne résultent pas d‟une construction législative correspondant à une conception théorique, mais sont nées de la pratique ».

575 A titre d‟exemple, la loi du 20 mai 1863 consacre les pratiques en cours des enquêtes officieuses en confiant exclusivement au Procureur de la république l‟instruction préparatoire en matière de flagrant délit.

576 Dictionnaire universel par Furetière, 1690, où l‟on trouve ces mots : « L‟intérêt particulier cède à la raison d‟Etat », in Dictionnaire du Grand Siècle, sous la direction de F. BLUCHE, Fayard, 1990, p. 557.

577 Conseil d‟Etat, Rapport public, 1999. Jurisprudence et avis de 1998. L’intérêt général, La Documentation française, coll. Etudes et documents, n° 50, p. 299 et s.

578 J. PRADEL, Notre procédure pénale défend-elle l’intérêt général ?, Rev. pénit. sept. 2005 ( n° 3 ), p. 503 et s. Ŕ J. BOSSAN, L’intérêt général dans le procès pénal, Rev. pénit. janvier-mars 2008 ( n° 1 ), doctr., p. 37 et s.

général en représentant la Société579, que le Ministère public bénéficie d‟une situation privilégiée par rapport aux parties privées580, comme en témoigne l‟extension de certains pouvoirs581 ou l‟originalité de l‟attribution d‟autres582.

154. En ce qui nous concerne, il nous faut sélectionner certaines situations juridiques.

L‟étude de l‟action publique met tout particulièrement en exergue le concept de l‟intérêt général, au cœur des préoccupations du Ministère public. Lors de l‟action publique, l‟intérêt général occupe effectivement une place privilégiée. Ses manifestations renvoient en réalité aux missions sociétales de la justice583. Cependant, elles n‟ont pas toutes la même nature, matérielle ou éthique, et concernent principalement pour certaines la gestion de l‟action publique ( § I ), et pour d‟autres, son utilité ( § II ).

§ I Ŕ Une action publique bien gérée

155. S‟il appartient aux juges du siège584 plutôt qu‟au Ministère public de se prononcer dans des affaires individuelles mettant en cause les libertés en général et les droits de la défense en particulier, c‟est en revanche sur le Ministère public que pèse la responsabilité de veiller à la bonne gestion de l‟action publique, à la bonne administration de la justice585, par

579 L. CHARBONNIER, Ministère public et Cour suprême, JCP 1991, I, 3532 : « Les magistrats du ministère public sont, à tous les niveaux, les représentants de l‟intérêt général. Ils ont spécialement pour rôle, dans toutes les juridictions, de veiller à ce que soit respectée une certaine dimension de la justice, qui est sa dimension sociale ».

580 M.-L. RASSAT, Le Ministère public. Entre son passé et son avenir, Thèse LGDJ, retirage 1975, § 190 Ŕ J.-P.

DINTILHAC, Le procureur de la République, L‟Harmattan, 2003, coll. La justice au quotidien, p. 16.

581 Voir notamment la faculté de demander la réalisation de toute mesure d‟instruction, art. 82 du CPP concernant les faits et art. 81-1 concernant la personnalité de la personne mise en examen.

Pareillement, il dispose de l‟opportunité de demander l‟annulation de tout acte, Cass. crim., 5 mars 1970 : Bull.

crim., n° 93 ; JCP 1970, II, 16556, note M.-L. RASSAT.

Enfin, la faculté d‟appel général se constate aussi à l‟égard de toutes les ordonnances rendues par le juge d‟instruction ou par le juge des libertés et de la détention, art. 185 al. 1er et 3. - Cf. pour illustration, Cass. crim., 25 mars 1954 : JCP 1954, II, 8128, note P. CHAMBON Ŕ et CA Paris, ch. acc., 5 avril 1993 : Gaz. Pal. 1993, I, 163.

L‟appel lui est ouvert, concernant l‟action publique, contre tout jugement de relaxe ou de condamnation devant le tribunal correctionnel, art. 497 du CPP ; et contre les décisions de condamnation ou d‟acquittement rendues par une cour d‟assises, art. 380-2.

582 Voir la possibilité de demander le placement en détention provisoire prévue à l‟article 137-4 du CPP concernant les crimes et les délits passibles de dix ans d‟emprisonnement et la faculté de rouvrir une instruction, art. 190 du CPP.

583 Dont le développement tend à encadrer l‟activité de l‟action publique tournée vers ses objectifs. Ces impératifs constituent des valeurs essentielles à la démocratie et au fonctionnement correct de la Société.

584 Se prononçant « au nom du peuple français » ( art. L. 111-1 du C. org. jud. ), le juge du siège va protéger les intérêts présents lors du procès. En cela, il constitue l‟intérêt général, devant l‟évaluer pour accomplir sa tâche.

Les affaires médiatiques, comme celle d‟Outreau, ont cependant contribué à dégrader l‟image du juge, principalement celle du juge d‟instruction, ce dernier étant parfois perçu comme un technicien éloigné des préoccupations des citoyens ( cf. R. MONTAGNON, Quel avenir pour les juridictions de proximité ?, L‟Harmattan, 2006, coll. Bibliothèque de droit, p. 15 ).

585 J. PRADEL, note sous Cass. crim., 6 juin 2001 : D. 2002, somm. comm., p. 1457 - J. ROBERT, La bonne

référence à la notion d‟intérêt général586. La bonne administration de la justice, lorsqu‟elle constitue une « notion-justification »587, renvoie effectivement à la satisfaction de l‟intérêt général. L‟expression apparaît d‟ailleurs à maintes reprises dans le Code de procédure pénale588. La notion n‟est certes pas définie par la loi ni par la jurisprudence589, mais il est possible d‟en déceler facilement sa signification590 à travers ses principales modalités, lesquelles résident dans la conduite d‟une action publique efficace ( A ) et rapide591 ( B ).

Aujourd‟hui, nul ne conteste en effet l‟impérieuse nécessité de l‟efficacité de la justice pénale, impliquant une répression rapide de la criminalité. L‟institution judiciaire est sommée d‟apporter la solution appropriée à chaque acte infractionnel. Par l‟attention prioritaire portée aux victimes et l‟importance politique du débat sur la sécurité, la société attend de la justice administration de la justice, AJDA 1995, p. 118 et s.

586 Les parquetiers et les juges connaîtraient des destins croisés. Si les premiers disposent d‟un renforcement flagrant de leur fonction et de leur légitimité à représenter l‟intérêt général, notamment dans la fortification de leur position avant et moment du choix des poursuites, les seconds voient leur situation fragilisée. Une telle mutation induit une modification du « centre de gravité du principe de séparation des fonctions » ( cf. G.

GIUDICELLI-DELAGE, Juste distance … Réflexions autour de mauvaises ( ? ) questions. A propos de la réforme de l’instruction et de la procédure pénale française, in Les droits et le droit, Mélanges dédiés à B.

BOULOC, Dalloz, 2007, p. 393 ). Ainsi aujourd‟hui, dans certaines procédures, l‟intérêt général semble être davantage déterminé par le Ministère public et non par les juges.

587 Par opposition à une « notion ambition », J. ROBERT, La bonne administration de la justice, AJDA 1995, p. 118 et s.

588 Selon l‟article 84 du Code de procédure pénale, le Procureur de la République, d‟office ou sur demande des parties, peut par requête motivée demander au président du tribunal le dessaisissement d‟un juge d‟instruction au profit d‟un collègue du même tribunal « dans l‟intérêt d‟une bonne administration de la justice ».

Selon l‟article 508 al. 5 du même code, relatif à l‟appel formé contre un jugement distinct du jugement sur le fond et ne mettant pas fin à la procédure, l‟examen immédiat de l‟appel est exclu sauf si le président de la chambre des appels correctionnels en décide autrement « dans l‟intérêt d‟une bonne administration de la justice ». Un système extrêmement proche est prévu pour le pourvoi en cassation aux articles 570 al. 1er et 571 al. 5.

En outre, l‟expression de « bonne administration de la justice » apparaît expressément à l‟article 665 du CPP, s‟agissant du renvoi.

589 Cass. crim., 4 novembre 1987 : Bull. crim., n° 384 ; D. 1988, IR, 10 Ŕ Cass. crim., 10 mars 1987 : Bull. crim., n° 115 Ŕ Cass. crim., 9 juin 1987 : Bull. crim., n° 237.

590 Par exemple, on comprend assez facilement la possibilité d‟un examen immédiat de l‟appel lorsque celui-ci est commandé par les nécessités de l‟administration de la justice, car il existe des cas où le non-examen immédiat générerait des complications et retarderait le jour de la décision. Imaginons que le tribunal ait rejeté une fin de non-recevoir, comme la prescription, par décision séparée. Si la chambre des appels correctionnels ne statue pas immédiatement sur l‟appel contre cette décision, le tribunal va statuer au fond et peut-être condamner le prévenu. Celui-ci fera alors appel contre les deux décisions et la juridiction d‟appel, si elle considère qu‟il y avait prescription, reformera la décision de condamnation, mais n fait plusieurs mois après le jugement. Si au contraire la chambre statue immédiatement sur l‟appel incident et si elle le réforme, admettant la prescription, la procédure est achevée ( sauf pourvoi en cassation ) et le sort du prévenu aura été réglé au plus vite. C‟est donc bien la bonne gestion de la justice qui préside au fonctionnement de l‟article 508 du CPP. La possibilité d‟un examen immédiat de l‟appel n ce cas est tellement utile, que la chambre criminelle a pour habitude de décider que l‟ordonnance du président de la chambre n‟a pas à être motivée et que ce magistrat peut même porter sa décision sur requête.

De la même manière, s‟agissant du renvoi que la Chambre criminelle de la Cour de cassation peut ordonner, la jurisprudence paraît admettre que la bonne administration de la justice puisse entraîner le dessaisissement d‟une juridiction. Le demandeur doit indiquer des motifs justifiant le dessaisissement.

591 Nous considérons que les termes de « rapidité » et de « célérité » sont rigoureusement synonymes. Seulement par souci de clarté, nous nous efforcerons au mieux d‟employer celui de « célérité », utilisé d‟ailleurs par la Doctrine ainsi que par le législateur.

des résultats. Ce désir social est relayé par les pouvoirs publics qui accentuent la pression sur le système pénal ( police et justice ) et exigent des résultats statistiques satisfaisants, parfois même au détriment du qualitatif592. Or s‟il est souhaitable que la justice ne soit pas rendue

« sous le boisseau »593, en revanche « il est naturel et normal que les autorités de police et de justice puissent procéder à toutes investigations utiles sans aucune entrave »594, puisque la manifestation de la vérité595 en dépend.

A Ŕ Intérêt général et efficacité

156. La mesure de l‟efficacité se pose lors de l‟action publique, ainsi qu‟à toutes les étapes de la chaîne pénale596. La criminologie a appréhendé ce phénomène par segments en s‟intéressant au « chiffre noir » de la délinquance, avant de travailler, de façon plus opérationnelle, sur les taux d‟élucidation des infractions par les différents services de police, la réduction du nombre de classements sans suite pour les affaires dont les auteurs sont identifiés, les délais de jugement, le taux d‟exécution effective des condamnations, ainsi que le taux de récidive597. Sur chacun de ces points, plusieurs rapports ont mis en évidence les difficultés de la justice pénale à répondre aux missions qui lui étaient assignées598. Face aux carences ainsi constatées, les responsables politiques, toutes tendances confondues, ont aujourd‟hui d‟une part, consacré l‟efficacité comme un impératif procédural assigné à la justice ( I ), et d‟autre part, conforté l‟institution judiciaire dans la conception de nouveaux modes de gestion de l‟action publique ( II ).

592 Cf. J.-P. JEAN, Politique criminelle et nouvelle économie du système pénal, in dossier La LOLF : réduire les coûts et améliorer la qualité de la justice, AJ Pénal 2006, p. 473.

593 J. LARGUIER, Le secret de l’instruction et l’article 11 du Code de procédure pénale, Rev. sc. crim. 1959, p.

313 et s.

594 H. MATSOPOULOU, Les enquêtes de police, Préface de B. BOULOC, Thèse LGDJ, 1996, t. 32, spéc. n°

976, p. 783.

595 H. BEKAERT, La manifestation de la vérité dans le procès pénal, éd. Bruylant, Bruxelles, 1972.

596 Depuis l‟intervention policière jusqu‟à la phase de l‟exécution de la sanction.

En particulier, le législateur a expressément assigné à la justice à compter du 1er janvier 2005, un objectif d‟efficacité totale en matière d‟exécution des peines. Ainsi l‟article 707 alinéa 1er du CPP issu de la loi du 9 mars 2004 dispose que : « Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais ».

597 L. MUCCHIELLI et Ph. ROBERT, Crime et sécurité : l’état des savoirs, La Découverte, 2002.

598 L’efficacité des sanctions pénales, Inspection des services judiciaires, rapport au garde des sceaux, juillet 2002. Parmi les rapports de l‟Assemblée nationale, J.-L. WARSMAN, Rapport sur les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, avril 2003 Ŕ P. CLEMENT, Sur le traitement de la récidive des infractions pénales, juillet 2004.

I Ŕ L’impératif d’efficacité

157. Le premier impératif procédural est l‟efficacité du système judiciaire599 assigné par les législateurs600 et les gouvernants. L‟efficacité de la répression par la forte probabilité d‟être pris et sanctionné, apparaît constituer la meilleure dissuasion pour tous ceux qui seraient susceptibles de commettre des infractions601.

158. L‟efficacité est d‟ailleurs reconnue par le droit européen comme un objectif nécessaire. Derrière l‟approche garantiste de protection des droits de l‟homme en matière pénale par la CEDH602, émerge le nouveau paradigme de l‟efficacité, concept plus large que celui d‟effectivité603, plus facilement lisible que celui d‟efficience604. Les travaux du Conseil de l‟Europe traduisent bien les évolutions auxquelles ont à faire face tous les systèmes judiciaires des 46 Etats membres. Le Conseil a ainsi créé la « Commission européenne pour l‟efficacité de la justice » ( CEPEJ )605, dont une des priorités d‟action est d‟éviter les retards injustifiés dans les procédures judiciaires, de réduire leur coût et d‟augmenter leur effectivité606. Pour réduire les délais de jugement, le Conseil de l‟Europe a notamment déjà recommandé la diversification des modes de réponse de la justice pénale, le recours aux

599 J.-P. JEAN, De l’efficacité en droit pénal, in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Mélanges offerts à J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 136 - et par le même auteur, Politique criminelle et nouvelle économie du système pénal, AJ Pénal 2006, p. 475.

600 Pour s‟en convaincre, cf. Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 relative à l‟efficacité de la procédure pénale : JO 24 juin 1999, p. 9247 ; D. 1999, lég. p. 311 ; rect. JO du 20 octobre 1999, p. 15647.

601 L‟exemple récent de la délinquance routière en constitue un exemple topique, tout comme les études criminologiques mettant en évidence qu‟une des sources les plus importantes de la délinquance et de récidive chez les jeunes résultent du sentiment d‟impunité qu‟ils ressentent du fait des très faibles taux d‟interpellation.

En ce sens, cf. S. ROCHE, Enquête sur la délinquance auto déclarée des jeunes, rapport de recherche, Grenoble, juin 2000.

Par ailleurs, la prévention du passage à l‟acte, notamment par les valeurs qui imprègnent la société et chaque individu par son environnement familial et social, joue un rôle sans doute plus essentiel, mais difficilement évaluable.

602 « Un système judiciaire efficace constitue une obligation pour les Etats membres non seulement au titre de la Convention européenne des droits de l‟homme mais à celui du Statut de l‟Organisation », in Déclaration de

l‟Ambassadeur Gérard PHILIPPS, vice-président des Délégués des Ministres, lors de la 792ème réunion ( Strasbourg, 17 avril 2002 ).

603 Cf. Ph. CONTE, Effectivité, inefficacité, sous-effectivité, surefficacité … Variations pour droit pénal, in Mélanges DECOCQ, Litec 2004, p. 175 et s. Ŕ C. PERES, Rapport introductif, in Colloque organisé par le CEJESCO le 15 mai 2008 à l‟Université de REIMS, L’Efficacité Economique en Droit : « Est effectif ce qui produit des effets. Etre efficace, c‟est ce qui produit l‟effet attendu. Ainsi une règle peut être effective, mais inefficace ».

604 Cf. G. CANIVET, Du principe d’efficience en droit judiciaire privé, in Mélanges Drai, Dalloz, 2000, p. 253 - C. PERES, Rapport précité : « l‟efficience désigne un moyen souhaité au moindre coup. Une règle efficiente est une règle économiquement efficace ».

605 Résolution ( Rés. ) ( 2002 ) 12 du 18 septembre 2002 établissant la Commission européenne pour l‟efficacité de la justice.

606 Cf. le programme cadre adopté le 15 septembre 2004 par le comité des ministres, intitulé : Un nouvel objectif pour les systèmes judiciaires : le traitement de chaque affaire dans un délai optimal et prévisible.

procédures simplifiées, en particulier celles fondées sur la transaction, de même qu‟aux procédures de guilty plea607.

II - L’efficacité comme mode de gestion de l’action publique

159. Cet enjeu renvoie à la conception plus globale de la justice considérée comme un service public et une administration ayant des obligations en termes de budget et dont l‟activité doit être évaluée608. Cette préoccupation paraît d‟autant plus nette depuis la mise en place de la loi organique du 1er août 2001 d‟orientation et de programmation pour les lois de finance609 qui implique l‟identification d‟objectifs précis, définis en fonction d‟intérêt général » à atteindre610. En particulier, cette loi a prévu, à partir de l‟exercice 2006, la globalisation des budgets des ministères, leur présentation en missions et programmes pour permettre, sous le contrôle du Parlement, l‟évaluation de leurs résultats par rapport aux objectifs fixés.

160. La mise en œuvre de cette réforme a abouti à la construction « d‟indicateurs de résultats » et de « performance » permettant au Ministère de la Justice de mesurer et de suivre en permanence l‟activité des tribunaux, comme le Ministère de l‟Intérieur le fait de son côté avec les préfets et les services de police concernant leurs résultats en matière de lutte contre la délinquance611. Cette « culture du résultat » instaurée au sein des services de police aboutit à une pression accrue sur tout l‟appareil judiciaire. Les procureurs doivent être totalement engagés dans les politiques locales menées avec les préfets et les maires au sein des dispositifs territoriaux de sécurité et de coopération pour la prévention et la lutte contre la délinquance612. Ils peuvent informer des mesures et décisions judiciaires les maires auxquels les policiers et

607 Recommandation N° R ( 87 ) 18 du 17 septembre 1987 concernant la simplification de la justice pénale.

608 J.-P. JEAN, Evaluation et qualité, in Dictionnaire de la Justice.

609 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001, pour une illustration concernant les coûts d‟enquêtes, cf.

N. GUIBERT, La justice piégée par l’explosion du coût des enquêtes, Le Monde, 30 novembre 2004, p. 13.

Pour une étude générale de l’intégration de la LOLF dans la justice pénale, cf. le dossier, La LOLF : réduire les coûts et améliorer la qualité de la justice, AJ Pénal 2006, p. 473 et s., spéc. pour une présentation des principes de la LOLF appliqués à l‟institution judiciaire, E. VAILLANT, La LOLF : principes directeurs et mis en œuvre dans l’institution judiciaire, p. 481 et s.

Cette approche est déjà en œuvre dans plusieurs pays européens, cf. J.-P. JEAN et H. PAULIAT, L’administration de la justice en Europe et l’évaluation de sa qualité, D. 2005, chron., p. 598 et s.

610 Cf. art. 7 I 2° ) de la loi organique précitée.

611 Les préfets sont désormais évalués selon l‟évolution des statistiques de la délinquance de leurs départements.

Des primes de résultat dépendant de fait et pour partie des réponses judiciaires, ont été proposées aux policiers selon « le nombre de mis en cause ( écroués, contrôles judiciaires, comparutions immédiates ) rapporté au nombre de déférés aux parquets » , selon un document de travail présenté par le Ministre de l‟Intérieur. Mais ces critères ont été contestés par les syndicats de policiers ( Le Monde du 6 février 2004 ).

612 Cf. décret n° 2002-999 du 17 juillet 2002 relatif aux dispositifs territoriaux de sécurité et de coopération pour la prévention et la lutte contre la délinquance.

gendarmes doivent rendre compte « sans délai » des infractions commises dans leur commune613.

161. Ces liens entre politique pénale, choix budgétaires et choix procéduraux sont ont mis en évidence dans le budget 2005 du Ministère de la Justice présenté avec 70 « indicateurs de résultats » permettant de mesurer l‟activité et les « performances » de chaque juridiction614. Le suivi permanent est assuré par un « baromètre trimestriel » qui récapitule leur activité sous

161. Ces liens entre politique pénale, choix budgétaires et choix procéduraux sont ont mis en évidence dans le budget 2005 du Ministère de la Justice présenté avec 70 « indicateurs de résultats » permettant de mesurer l‟activité et les « performances » de chaque juridiction614. Le suivi permanent est assuré par un « baromètre trimestriel » qui récapitule leur activité sous