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EAI évolution sociale /reclassement :

L’enseignement arabo-islamique supérieur privé :

IV. EAI évolution sociale /reclassement :

Dans son rapport de 2017 le projet SWEDD a noté « une nouvelle dynamique qui peut être salutaire pour le pays : la prolifération des mosquées et leur érection dans toutes les agglomé-rations villageoises ouvrent un espace inattendu à l’émancipation des couches sociales souf-frant d’anachronismes historiques »

En fait, la société mauritanienne dans toutes ses composantes était fortement hiérarchisée et le savoir aussi bien que le pouvoir religieux étaient du domaine exclusif de la classe marabou-tique. Or, avec la sahwa islamique du début des années 1980, les prédicateurs ont remis en question ce monopole, d’une part en expliquant que toute personne instruite devait instruire à son tour les autres et d’autre part en faisant du savoir islamique un idéal et une obligation que tout musulman quelque soit son rang social doit acquérir. Or, dans l’ordre ancien, les groupes dépendants n’avaient que très peu de connaissances sur le plan religieux, l’ignorance étant l’un des moyens les plus efficaces pour les maintenir dans la dépendance. Il est significatif de noter ici que c’est parmi les chefs religieux et le groupe maraboutique en général qu’on observera la plus grande résistance au mouvement de prédication et à la « démocratisation du savoir ».

Cette situation va provoquer une révolution culturelle surtout parmi la classe des haratines qui vont se lancer à l’assaut, non pas des écoles modernes, car il s’agit d’adultes, mais des écoles coraniques et des mahadras pour acquérir une culture islamique de base. Ce mouvement d’émancipation culturel donnera un second souffle à l’EAI et représente un aspect fondamen-tal de la demande eu égard à l’importance démographique de ce groupe social et à l’en-thousiasme qui l’anime. Dans le même ordre d’idées, on peut associer l’engouement pour les enseignements islamiques observé chez les descendants des ordres guerriers qui, quoiqu’ap-partenant à une classe dirigeante dans l’ancien ordre, n’avaient que peu de temps et d’inté-rêt pour les études qui pouvaient à la limite les ramollir.

L’EAI bénéficie donc d’une dynamique sociale qui remet à l’ordre du jour les valeurs et les idéaux religieux jusque-là portés par la classe maraboutique et qui entraînent l’enthousiasme pour les connaissances religieuses dont la source privilégiée demeure la mahadra.

CONCLUSION

A l’issue de cet exposé, on peut avancer que l’EAI en Mauritanie est d’un intérêt majeur et se trouve au cœur du dispositif éducatif dont elle a déterminé les politiques tout en représentant aujourd’hui encore un enjeu politique et un domaine convoité par l’État et les partenaires de développement en raison de sa grande influence au sein de la société et de l’efficacité des leviers de commande qu’il détient.

Sur un plan purement éducatif, sa contribution est importante aussi bien dans le domaine de l’offre que dans celui de la demande qui connaît un grand développement eu égard aux transformations sociales récentes.

Contrairement aux autres pays du Sahel, l’intérêt accordé par l’État à l’EAI n’a pas été tardif et a accompagné les premières années de l’indépendance.

Une autre différence de taille avec les pays du Sahel est le fait que l’appellation même d’en-seignement arabo-islamique apparaît souvent inappropriée pour un pays où même l’ensei-gnement séculier est arabisé à l’exception de certaines rares filières techniques et scientifiques et où l’empreinte des études islamiques est perceptible en particulier à travers l’instruction isla-mique qui est une discipline transversale. Pour ces raisons, la Mauritanie se prête mal à l’étude comparative dans le contexte sahélien.

L’EAI formel connaît une progression régulière et s’inscrit dans la dynamique générale du sys-tème éducatif et de ses institutions. Il est de plus en plus sollicité au point qu’il semble se substi-tuer aux mahadras pour beaucoup d’étudiants mauritaniens qui y trouvent une combinaison heureuse entre l’enseignement arabo-islamique et les commodités de la vie citadine, d’une part, et les possibilités d’insertion professionnelle, d’autre part.

Les écoles coraniques connaissent un grand essor et assurent, en plus de leur finalité qui est la mémorisation du Coran, un rôle primordial dans l’action d’alphabétisation et dans les expé-riences de jumelage avec les écoles primaires.

La mahadra, quant à elle, connaît dans sa forme classique (mahadra de renommée) un aban-don consécutif à l’exode rural mais cette lacune semble trouver une compensation dans l’af-flux des étudiants étrangers et l’adoption des techniques du e-learning. Ce sang nouveau semble conforter ces établissements dans le maintien de leur système séculaire.

L’affluence de ces étrangers soulève cependant la question de la radicalisation et fait planer des doutes sur la possibilité de la contagion terroriste. Ceci est d’autant plus grave que les mauritaniensont généralement peu de réserves par rapport aux visiteurs étrangers et que ces établissements sont isolés et réfractaires aux relations avec l’État.

La question de la radicalisation se manifeste aussi à travers le financement de l’EAI car en dépit des efforts du gouvernement de fournir des subventions et de contrôler les mahadras, il existe un grand faisceau de réseaux de financement, notamment en provenance des pays du Golfe qui rend difficile la traçabilité des flux monétaires et met ses récipiendaires hors de portée des contrôles.

Les nouvelles mahadra constituent par contre les collaborateurs incontournables de l’État ainsi que des partenaires au développement dans les politiques d’éradication de l’extrémisme et d’alphabétisation.

Les débats actuels se préoccupent des possibilités de renouvellement de générations ayant les mêmes compétences que leurs prédécesseurs et s’alarment devant les risques d’extinction dans les cas d’absence d’héritiers intellectuels du cheikh. Pour leur part, les contestataires de

l’ordre ancien, pensent qu’il y a lieu de s’insurger contre la mahadra pour assurer la promotion sociale et la modernisation du pays en introduisant plus de rationalisme dans les stratégies.

L’EAI en Mauritanie, en dépit de certaines controverses financières, politiques ou sociales, con-tribue de manière appréciable à l’offre éducative et aux actions d’alphabétisation et d’EPT tout en participant à pérenniser le rayonnement culturel international du pays.