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Chapitre 1. Les réseaux électriques actuels et futurs – contexte, enjeux et évolutions

B. Évolution du réseau : de moins en moins d’inertie

Le réseau du futur est amené à intégrer de plus en plus de sources d’énergie renouvelables intermittentes. Le remplacement progressif des groupes thermiques classiques par ce type de sources amène un certain nombre de contraintes sur le réglage de fréquence [ENT16].

1. Baisse de la réserve primaire

Le réglage de fréquence évoqué précédemment doit être réalisé par des sources pouvant adapter facilement leur puissance active produite, de façon à participer à la réserve primaire à chaque instant. Les sources pouvant adapter leur production rapidement suivant une consigne donnée sont dites « pilotables ». Le Tableau 1.3 présente une liste de sources renouvelables non émettrices de CO2 : seules le thermique solaire (centrale solaire à

concentration) et les centrales hydrauliques avec retenue sont pilotables en l’état actuel et peuvent donc garantir une réserve primaire.

Tableau 1.3. Pilotage des sources renouvelables

Source Pilotable ?

Éolienne Non

Solaire PV Non

Solaire Thermique Oui

Fil de l’eau Non

Centrale hydraulique avec retenue

(dont STEP) Oui

Géothermie Non

Marine Non

Les sources solaire PV et éolienne sont dites « fatales », à savoir qu’elles exploitent une énergie impossible à stocker dans sa forme brute (vent, soleil). Pour ne pas perdre cette énergie disponible, les turbines éoliennes et les générateurs PV sont commandés de façon à extraire le maximum de puissance électrique disponible à un moment donné par une commande de type « Maximum Power Point Tracking » (MPPT).

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Dans ce mode de régulation, le PV et l’éolien ne peuvent donc pas avoir de marge de manœuvre (réserve primaire) pour participer à l’équilibre des puissances actives via la régulation de fréquence. La commande par MPPT peut toutefois être dégradée en cas d’augmentation de la fréquence du réseau, même si ce procédé ne relève pas d’un réglage primaire en tant que tel. Ainsi, en l’état, le remplacement de groupes thermiques par des centrales éoliennes ou PV fonctionnant en MPPT conduit soit à l’augmentation de la part de réserve primaire allouée aux groupes tournants restants, soit à la baisse de la réserve primaire globale du réseau.

2. Augmentation de la sensibilité de la fréquence aux déséquilibres de puissance (ROCOF) Le solaire, le PV et les moyens de stockage qui leurs sont associés partagent la particularité d’être connectés au réseau via des dispositifs d’électronique de puissance (onduleur) et donc de ne pas être liés au réseau par l’équation (1.10). De ce fait, ces sources n’ajoutent pas d’inertie au réseau. Le remplacement progressif des groupes thermiques synchrones entraine donc une baisse de la constante d’inertie équivalente Heq. La fréquence est ainsi plus sensible

aux déséquilibres de puissances, donc plus susceptible de varier au-delà des limites admissibles.

3. Sensibilité des microréseaux aux instabilités

Les microréseaux sont davantage sensibles à ces variations de fréquence que les grands réseaux interconnectés. En effet, au regard de la puissance consommée sur le réseau, la part de puissance produite par une centrale est relativement plus importante sur un réseau de petite taille que sur un grand réseau. La perte d’un groupe ou d’une partie du réseau représente une perte de production proportionnellement plus importante sur un microréseau et entraine donc de plus amples perturbations. De ce fait, la baisse de la réserve primaire et l’augmentation du ROCOF ont un impact plus important sur les petits réseaux îlotés. Une comparaison chiffrée est notamment réalisée dans les travaux de G. Delille [DEL11], entre le super réseau Européen (représenté à l’époque de l’étude par l’UCTE et non ENTSO-E), et le réseau insulaire de la Guadeloupe. Le Tableau 1.4 résume la comparaison effectuée.

Tableau 1.4. Comparaison des réseaux européen et guadeloupéen - [DEL11]

Super réseau européen Guadeloupe

Charge nominale en période creuse 250 GW 150 MW

Incident de référence 3000 MW 25 MW

Énergie réglante primaire 15000 MW/Hz 70 MW/Hz

Inertie Équivalente 6s 3,5s

ROCOF pour l’incident de référence -0,05 Hz/s -1,2 Hz/s Fréquence après réglage primaire pour l’incident de référence 49,8 Hz 49,6 Hz

Seuil du 1er échelon 49 Hz 48,5 Hz

Si l’incident de référence (perte des deux groupes les plus importants) est plus de cent fois plus grand sur le réseau européen, il ne représente que 1,2% de la charge nominale en période

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creuse (250 GW). En revanche, l’incident de référence guadeloupéen représente 16,7 % de la charge nominale : ce dernier est donc plus impactant. Cet écart relatif se retrouve également sur l’énergie réglante primaire. Pour pallier à une chute de 1 Hz, le réseau européen libérera 15000 MW, soit 6% de la charge nominale. Le réseau guadeloupéen libérera quant à lui 70 MW, soit 46,7 % de la charge nominale. Pour garantir le maintien de la fréquence dans des bornes acceptables, le système électrique guadeloupéen devra donc disposer d’une réserve primaire relative nettement plus importante que celle du réseau européen.

De même, l’inertie équivalente du réseau guadeloupéen est près de deux fois plus faible, alors même que l’impact de référence est relativement plus important. Ceci conduit à un ROCOF 24 fois plus élevé que pour le réseau européen. Pour l’impact de référence, il suffit donc de 1,25 seconde pour que la fréquence du réseau Guadeloupéen chute en dessous du premier échelon. De ce fait, si le réglage primaire du réseau européen dispose d’une marge de 20 secondes pour agir et éviter de passer en dessous du premier échelon, le réglage primaire du réseau guadeloupéen doit être bien plus réactif pour éviter le délestage des charges.

Ainsi, la part accrue de sources solaires et éoliennes se fera d’autant plus sentir sur des petits réseaux insulaires, d’autant plus que ce sont sur ces réseaux que l’intégration d’EnR intermittentes risque d’aller le plus vite avec la chute des coûts des renouvelables.