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SECTION 2 : DE L'HETEROGENEITE : DES EFFETS DE GENERATION ENTRAINANT

III. LES EFFETS DE GENERATIONS SOCIALEMENT CONSTRUITS, ET NON-

1. Une évolution du métier d'enseignant

Le métier d'enseignant lui-même a évolué, ce qui se mesure à partir de différents critères. Je ne soulèverai ici que les critères étant apparus à partir de mon terrain, soit dans mes entretiens formels ou informels avec mes enquêtés.

Tout d'abord, l'allongement de la durée des études supérieures afin de devenir enseignant. A l'époque de formation de mon ancienne génération d'enquêtés, soit entre 1968 et 1981, le recrutement

Page | 69 pour la formation d'enseignant se faisait à la sortie du baccalauréat, soit bac+0, sous la forme d'un concours d'entrée. Sa durée était de deux ans après le baccalauréat pour Maurice, (entré en formation en 1968), et de trois ans pour Simon et Angèle (entrés en formation respectivement en 1979 et 1981). Après cette formation les enseignants étaient diplômés. Ainsi, selon Angèle, cela différait d'aujourd'hui car il était difficile d'entrer à l'Ecole Normale, mais très peu de personnes ressortaient sans diplôme. Le niveau d'études exigé pour enseigner, lui, variait donc de Bac+2 à Bac+3.

Or, pour ma nouvelle génération d'engagés, entrés en formation entre 1996 et 2006, soit sur un modèle de formation que l'on retrouve aujourd'hui, le recrutement pour la formation se fait après avoir obtenu une licence, soit à bac+3. La formation est un Master, soit durant deux ans, avec le concours d'instituteur (devenu professeur des écoles) passé après la première année de Master, c'est- à-dire non plus sous forme de concours de recrutement à l'entrée, mais de sélection en milieu de formation.

Ainsi, le niveau d'études total exigé pour enseigner à plus de doublé entre ma première et deuxième génération, passant de Bac+2 à Bac+5, avec le concours déplacé au niveau bac+4 en instaurant donc une forme de sélection, qui avait lieu au niveau de bac+0 avant.

Également, la formation enseignante, à l'époque de mon ancienne génération d'engagés, était rémunérée, à la manière d'une bourse allouée à tous les étudiants de la formation, sans distinction sur des critères sociaux. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui et qui ne l'était plus non plus à l'époque de ma deuxième génération d'enquêtés.

« A l'époque, quand tu étais admis en formation professionnelle [à l'Ecole Normale], tu signais un contrat, et tu t'engageais pour les 10 ans à venir à être enseignant. En contrepartie, on te payait tout de suite ces 2 années de formation, mais si tu rompais le contrat, tu devais le rembourser », Maurice

Ainsi, à la fois la durée de formation, le niveau d'études exigé pour le recrutement à l'entrée de cette dernière, mais aussi la forme du recrutement ont évolué. La rémunération durant la formation a,elle, disparu.

Finalement, la formation continue enseignante à elle aussi évolué. En effet, à l'époque de ma première génération d'enquêtés, il était possible d'avoir accès aux formations pédagogiques Freinet dans le cadre de la formation continue telle qu'elle était à l'époque, soit plus fournie et conséquente que ce qu'elle est aujourd'hui, notamment en temps de formation.

« Donc y'a des tas d'enseignants par exemple, que tu verras... Bon maintenant on n'est plus dans la formation continue, forcément, les choses ont changé... Mais à l'époque, les gens [enseignants

extérieurs au mouvement Freinet] venaient... Ils venaient pas dans les stages du groupe

départemental, ah ben non ! Parce que y'avait des instits' qui disaient « Moi ma formation c'est pendant le temps d'école » […] donc ils faisaient les stages Freinet en formation continue […] Mais ça, ça a disparu ! », Maurice

Page | 70 Aussi, les enseignants pouvaient choisir les formations, contrairement à aujourd'hui :

« T'avais un plan de formation […] donc c'était complètement eux [les enseignants] qui choisissaient, et bien sûr que non ce n'était pas le même modèle que les formations actuelles, ça n'a rien à voir... », Maurice

Dès lors, il est facile d'imaginer que cette évolution de la formation continue ait un impact sur l'engagement des enseignants au mouvement Freinet lui-même, ainsi que sur le succès ou non de cette pédagogie :

« Et donc nous, notre stage [Freinet] on disait « on ouvre un stage à 25 personnes », puis bon, c'était publié dans le plan de formation, puis les gens s'inscrivaient, et on prenait les 25 premières personnes... Et on avait toujours du monde ! Ca a toujours été plein. Et ça, ça s'est arrêté quand les stages de formation continue de ce type se sont arrêtés », Maurice

Bien que je m’appuie ici uniquement sur les propos de mon enquêté Maurice et que ce soit ainsi un discours lui aussi socialement construit, dépendant de diverses éléments extérieurs aux faits (sa prise de position politique sur la question, les biais du récit rétrospectif, etc), j'ai cependant pu mesurer cet effet auprès de mes enquêtés. Et ce dans la mesure où, tous les engagés appartenant à la deuxième génération, sans exception, n'avaient pas ce type de stages institutionnalisés dans leur formation continue enseignante.

Ainsi, c'est aujourd'hui uniquement à travers leur engagement au mouvement Freinet qu'ils peuvent se former à cette pédagogie, rendant dès lors ces deux éléments indissociables, et nécessaires l'un pour l'autre. Ce qui permet, entre autres, de réfléchir à la notion de dépolitisation de l'engagement chez la nouvelle génération.

En effet, l'engagement au mouvement Freinet était presque de fait politique et dans un rapport fortement engagé, étant donné que pour le côté pédagogique de faire l'acte de se former, la formation continue le permettait, dans un cadre plus institutionnel. C'était donc un choix de s'investir en plus, sur son temps libre, au sein du mouvement Freinet. Or, aujourd'hui, les pistes sont brouillées étant donné que l'engagement au mouvement Freinet est un mélange entre formation et engagement/militantisme enseignant, et que ces deux sont nécessaires l'un pour l'autre.