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Évolution de la technologie financière (fintech)

3. Le secteur bancaire en Afrique australe

3.2. Évolution de la technologie financière (fintech)

L’Afrique australe, comme le reste de l’Afrique, a connu d’importantes innovations, principalement sous l’effet de la croissance de la téléphonie mobile. La pénétration de cette dernière est proche de 100 % sur de nombreux marchés, ce qui modifie radicalement l’accès aux communications des gens ordinaires, longtemps pénalisés par la pénurie d’infrastructures de téléphonie fixe. L’innovation financière a misé sur ce créneau de plusieurs manières, notamment en développant des services transactionnels. Sur de nombreux marchés, les transferts de fonds de membres de la famille partis travailler à l’étranger ou dans les grands centres urbains du pays sont la principale source de liquidités.

Les systèmes de transfert par téléphone mobile ont considérablement réduit le coût des envois de fonds vers le pays d’origine et facilité ces opérations. Certains proposent des technologies plus élaborées, notamment la tenue de comptes et la réalisation de transactions à l’aide de téléphones équipés d’un porte-monnaie mobile. Certains marchés ont ainsi sauté l’étape de la carte de crédit, les consommateurs étant désormais habitués à réaliser des opérations par téléphone mobile sans jamais avoir pris l’habitude de payer par carte, et encore moins par chèque. Le Botswana, la Tanzanie et le Zimbabwe sont les marchés les plus actifs de la région sur le plan du développement des services financiers mobiles. La Tanzanie, qui a adopté le très populaire système Kenyan MPesa, est devenue, à certains égards, le marché de la fintech le plus avancé du continent.

Sur certains marchés, l’évolution des technologies financières bénéficie aussi aux infrastructures bancaires de base. MFS Africa, par exemple, a été créé pour transférer des paiements entre les opérateurs de téléphonie mobile et les banques, devenant ainsi un service régional de transfert, sans équivalent auparavant. Cette évolution se déroule certes en dehors du secteur bancaire conventionnel, mais ces groupes spécialisés dans les technologies financières deviendront de plus en plus « la nouvelle norme » et constitueront, à l’avenir, des éléments essentiels du secteur financier.

Des jeunes pousses africaines ont été achetées par des banques internationales afin qu’elles puissent intégrer ces technologies dans leurs capacités de base. La société Tyme, de Johannesburg, en est un bon exemple : spécialisée dans le développement de systèmes de paiement par téléphone mobile et de porte-monnaie mobiles, elle a été rachetée par la Commonwealth Bank of Australia pour développer ses opérations en Inde, en Chine et au Viêt Nam.

Toutefois, à l’heure actuelle, l’incidence des technologies financières se cantonne essentiellement à ces services transactionnels. En particulier, l’accès au crédit n’a pas connu d’innovation majeure sur des marchés où le crédit bancaire est quasi-inexistant. En effet, sur ces marchés, ce sont souvent les institutions financières non bancaires, en particulier celles qui proposent des petits prêts non garantis, qui changent la donne pour les emprunteurs locaux, bien qu’en ayant généralement recours aux réseaux d’agence traditionnels. La faiblesse des régimes juridiques rendant souvent le recouvrement des titres presque impossible, les prêts non garantis sont devenus la norme. Les taux d’intérêt sont souvent très élevés et les signalements d’abus, comme la rétention des cartes bancaires et des documents d’identité des emprunteurs, sont courants.

Les taux d'intérêt élevés appliqués par les banques, y compris les grandes banques conventionnelles, sont également un obstacle important à la croissance du crédit au secteur privé. Pour de nombreuses banques, les titres d’État offrent un bon rendement, tandis que les dépôts sont accessibles à peu de frais. Elles sont donc peu disposées à prendre le risque de prêter au secteur privé lorsqu’elles peuvent réaliser des marges importantes en ne prenant quasiment aucun risque. Toutefois, chez les opérateurs non bancaires de téléphonie mobile, il y a eu davantage d’innovations. En Tanzanie, par exemple, l’opérateur de téléphonie mobile Vodacom propose désormais des petits prêts tandis que son concurrent Tigo verse une sorte d’intérêt aux clients qui épargnent dans leur porte-monnaie mobile.

Tableau 3.2 – Nombre d’abonnements à la téléphonie mobile, par rapport au nombre

Afrique subsaharienne 0,4 71,0

Swaziland 0,4 72,3

La fintech peut permettre de résoudre certaines des difficultés majeures auxquelles sont confrontés les marchés financiers de la CDAA mais, hormis ses effets sur les envois de fonds, son potentiel ne s’est pas encore concrétisé. Les aspects sur lesquels les technologies financières peuvent avoir une incidence importante sont, par exemple, l’identification des clients et l’utilisation des téléphones pour géolocaliser les clients sur des marchés où il n’existe ni cadastres ni adresses postales. Certains signes montrent que l’obtention de fonds de roulement par les PME pourrait être facilitée grâce aux téléphones étant donné que les entrepreneurs gèrent toutes leurs opérations à l’aide de systèmes de téléphonie mobile et que ceux-ci permettent d’obtenir un relevé fiable des flux de trésorerie. Les agriculteurs aussi pourraient bénéficier de cet appui en matière de fonds de roulement, tandis que des applications de téléphonie mobile pourraient les mettre en relation directe avec les acheteurs, avec lesquels ils pourraient fixer les prix à l’avance, ce qui éliminerait les risques et la longue chaîne d’intermédiaires qui font habituellement le lien entre les différents acteurs de la courte chaîne de valeur des produits agricoles. D’autres trouvent des moyens de proposer des produits d’épargne et d’assurance plus efficients.

Les nombreux entrepreneurs d’Afrique pourraient bien trouver d’autres moyens d’utiliser la croissance de l’accès aux réseaux de communication pour surmonter certains obstacles à l’accès aux services financiers. Les technologies financières peuvent offrir des solutions pour

contourner les obstacles qui limitent actuellement l’accès aux services bancaires, tels que le manque de données enregistrées dans les centres d'information sur la solvabilité des emprunteurs, des réseaux d’agences restreints et le manque de terminaux de paiement électronique. Les données accumulées grâce aux opérations réalisées par téléphone mobile pourraient déboucher sur de nouvelles façons d’analyser les profils de risque des clients et ainsi faciliter leur accès au crédit.

Contrairement à d’autres marchés bancaires, le secteur des technologies financières est moins une source de rupture qu’une source de services financiers auparavant indisponibles.

La seule innovation pouvant impliquer une rupture serait une nouvelle façon de mobiliser l’épargne qui offrirait aux consommateurs un meilleur rendement. Les banques en place sur de nombreux marchés africains versent peu d’intérêts aux déposants, utilisant ainsi cette clientèle de particuliers comme une source de dépôts leur permettant de financer des prêts aux administrations publiques et à de grandes entreprises présentant peu de risques.

Le développement des technologies financières, comme dans de nombreux autres marchés, doit aussi être facilité par l’évolution de la réglementation. Souvent, l’insuffisance ou l’absence de réglementation peut être un atout pour l’innovation dans les services financiers en Afrique, mais des contrôles stricts sur la collecte de dépôts ou les services transactionnels peuvent retarder leur développement. La bonne disposition des autorités de réglementation à cet égard est essentielle.

Sur ce point et sur d’autres, l’attitude des dirigeants politiques et des instances de réglementation sera essentielle au développement futur de ce marché. Le développement économique renforcera les bilans, l’appétit pour le risque et la profondeur des marchés de capitaux. Les technologies financières ont déjà eu des effets importants sur la vie des consommateurs et elles pourraient permettre de faire tomber les barrières actuelles à de nouvelles avancées de services financiers dans le secteur de la consommation.