Chapitre 2: les activités oscillatoires et leurs rôles dans le codage des
II) Bases des enregistrements de l'activité neuronale synchronisée 58
4) Évidences en faveur d'un rôle des activités oscillatoires dans le liage perceptif 64
A la fin des années 1980, les travaux des groupes de Eckhorn (Eckhorn et al., 1988) puis de Wolf Singer apportent des données expérimentales en faveur d’un codage neuronal temporel de l'information. L’enregistrement de plusieurs neurones simultanément dans les aires 17 et 18 du cortex visuel du chat anesthésié montre que les neurones activés par un même contour ont tendance à synchroniser leurs décharges avec une précision de l’ordre de la milliseconde. Ce n’est pas le cas en revanche lorsqu'ils sont activés par des contours différents (Gray and Singer, 1989; Gray et al., 1989). De plus, les auteurs démontrent que cette synchronisation est périodique avec une modulation oscillatoire de fréquence stable, entre 30 et 50 Hz (Singer, 1993). Ils ont aussi mis en évidence que les neurones appartenant à des colonnes visuelles séparées pouvaient synchroniser leur réponse oscillatoire. Cette synchronisation n'a pas de différence de phase et est influencé par les propriétés globales d'un stimulus. Ces études sont les premières à apporter des éléments montrant que la synchronisation des réponses oscillatoires de cellules spatialement distribuées permettrait d'établir des relations entre les différentes caractéristiques d'une même stimulation visuelle. Ces modifications de la synchronisation neuronale sont spécifiques d’un stimulus donné et suivent le décours de sa présentation. La synchronisation semble donc bien être liée à un groupement perceptuel au sein d'un système sensoriel.
Les études menées chez l’Homme ont également mis en évidence un potentiel rôle des activités oscillatoires dans la représentation d’objets visuels, en particulier l'activité dans la bande de fréquence gamma (correspondant en général à toute activité supérieure à 40 Hz) (Michalareas et al., 2016; Tallon et al., 1996; Tallon-‐Baudry and Bertrand, 1999). Par exemple, dans une étude de Tallon-‐Baudry et collaborateurs (Tallon-‐Baudry et al., 1996), les auteurs présentaient différentes figures à des sujets : certaines représentant des triangles (réels ou illusoires) et d'autres non. Les auteurs ont mesuré l'activité EEG pendant le test, et ont pu observer deux types d'activités oscillatoires successives. La première était une réponse oscillatoire évoquée à 40 Hz et calée en phase avec le début de chaque stimulation. Cette réponse évoquée ne différait pas suivant les différents types de stimulation et ne reflétait donc pas le phénomène de liage nécessaire pour percevoir les triangles. La seconde apparaissait plus tardivement et était comprise entre 30 et 60 Hz. Cette activité induite était plus forte en réponse à des stimuli cohérents (triangles) et aucune différence statistique n'a été trouvée entre l'activité induite par des triangles réels ou illusoire. Elle serait liée au phénomène de liage des différentes caractéristiques de l'image en une représentation cohérente d'un triangle (figure II-‐4).
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Figure II-‐ 4 : activité gamma induite et liage perceptif.
Cette figure illustre l'expérience réalisée par (Tallon-‐Baudry et al., 1996), réalisée chez l'Homme. Les auteurs ont enregistré l'activité EEG des sujets pendant une tâche de discrimination visuelle.
La figure A montre les différentes stimulations visuelles projetées aux sujets. Certaines
représentent des triangles dont les contours sont clairement définis (real triangle) ou non (illusory triangle). D'autres ne contiennent aucun triangle ("no triangle" stimulus).
La figure B montre une représentation en temps (en abscisse) et en fréquence (en ordonnée)
des activités oscillatoires enregistrées au niveau des aires visuelles pendant les stimulations. L'échelle de couleur représente la puissance des différentes activités oscillatoires. On peut voir un premier burst d'activité à 40 Hz, évoqué aux alentours de 100 ms par tous les types de stimulations. Un second burst d'activité est observé aux alentours de 280 ms après le début des stimulations pour lesquelles les sujets perçoivent un triangle. Figure modifiée à partir de (Tallon-‐Baudry and Bertrand, 1999)
En 1997, le groupe de Gilles Laurent a apporté une première preuve expérimentale que la synchronisation des neurones sur un mode oscillatoire pouvait avoir un rôle fonctionnel dans un système sensoriel, à savoir le système olfactif de l'abeille. L’injection de picrotoxine (un antagoniste du GABA) dans le lobe antennaire d'abeilles (analogue du bulbe olfactif chez les mammifères) produit une désynchronisation des neurones. L’activité oscillatoire est donc abolie, mais le taux de décharge des neurones de projection et leurs motifs temporels individuels de décharges ne sont pas altérés. Cette désynchronisation empêche les insectes de discriminer des odeurs structurellement proches, mais laisse intacte leur capacité à distinguer des odeurs très différentes (Stopfer et al., 1997). Ce point est d’importance dans la mesure où il indique que la synchronisation oscillatoire n’est pas seulement un corrélât du comportement de discrimination olfactive mais qu’elle est nécessaire pour qu’une discrimination fine puisse être réalisée. Cette étude suggère que la synchronisation neuronale et le codage temporel permettent au cerveau de différencier des stimuli proches. Il existe assez peu de données de ce type qui permettent de relier de manière causale un processus cérébral précis et un comportement particulier.
Plus récemment chez le modèle murin, des injections de picrotoxine au sein du bulbe olfactif, ont perturbé les rythmes oscillatoires gamma (40-‐100Hz) (Lepousez and Lledo, 2013), empêchant la discrimination des odeurs dans un test d'apprentissage olfactif. Ceci suggère là encore une importance fonctionnelle de l’activité oscillatoire.
Les études d’EEG (électro-‐encéphalographie) ou de MEG (magnéto encéphalographie) menées chez l’Homme et d'enregistrements PCL chez l'animal rapportent la présence d’activités oscillatoires pour toutes les modalités sensorielles, et dans des structures motrices (Bertrand and Tallon-‐Baudry, 2000; Kaiser et al., 2005; Martin and Ravel, 2014). Nous avons vu que différentes études suggèrent un rôle des oscillations dans le traitement de différentes stimulations sensorielles et dans le liage perceptif des caractéristiques d'un même objet. Dans la partie suivante, nous verrons que les activités oscillatoires sont également influencées par des mécanismes internes, comme l'attention ou les processus de mémoire du sujet.
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5) Évidences en faveur d'un rôle des activités oscillatoires dans les processus cognitifs