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Chapitre I : I ntroduction bibliographique

2. Le statut nutritionnel des femmes enceintes

2.1. Évaluation du statut nutritionnel des femmes enceintes dans les pays développés

Le contexte nutritionnel actuel des pays développés [ou à revenus élevés, membre de l’Organisation

de Coopération et de Développement Économique (OCDE)] est marqué par la consommation de

régimes denses en énergie et en nutriments identifiés comme défavorables (acides gras

saturés (AGS), sucres libres…) le plus souvent associée à des apports suboptimaux en vitamines et

minéraux (Andrieu et al., 2005; Kant, 2000). Cependant, dans certains cas, les recommandations quant à

la supplémentation en certains vitamines et minéraux durant la grossesse permettent de résoudre

certain(e)s déficiences et/ou risques de déficiences mais limitent la possibilité d’évaluer si un statut

2.1.1. Quelques données sur l’évaluation indirecte du statut nutritionnel des femmes enceintes

par l’utilisation de données de consommations alimentaires

Les femmes enceintes sont le plus souvent très peu représentées dans les enquêtes nationales sur

l’alimentation (Blumfield et al., 2012). À titre d’exemple, aux États-Unis, on compte 133 femmes

enceintes pour 2 957 femmes non enceintes, non allaitantes âgées de 19 à 50 ans examinées dans

l’enquête What We Eat In America sur la période 2007 – 2010 (Millen, 2015) ; et au Royaume-Uni,

les femmes enceintes ne sont pas incluses dans l’enquête Nationale sur l’Alimentation et la

Nutrition (National Diet and Nutrition Survey) (Henderson et al., 2003). Ainsi, afin d’évaluer les

apports alimentaires des femmes enceintes dans les pays développés, il est nécessaire de s’appuyer

sur des études spécifiques de plus petite envergure n’incluant que des femmes enceintes ou sur les

études de cohorte mère-enfant, mais qui ne sont donc, pour la plupart, pas représentatives de la

population. En Europe, en 2017, on dénombre 51 cohortes mère-enfant ayant évalué le régime

alimentaire de la mère au moins une fois juste avant, pendant ou juste après la

grossesse (Birthcohorts.net, 2017).

Une revue systématique et méta-analyse récente a permis d’évaluer l’adéquation des apports en

macronutriments des femmes enceintes dans les pays développés (Blumfield et al., 2012). Les études

sélectionnées sont au nombre de 90, ce qui correspond à un total de 126 242 femmes enceintes dont

les apports en macronutriments ont été évalués au moins une fois pendant la grossesse quelle que

soit la méthode d’évaluation des consommations (questionnaire de fréquence alimentaire (QFA),

rappels alimentaires de 24h, enregistrement des consommations avec estimation ou pesée, histoire

alimentaire). Les données ont été regroupées par région et ont été comparées aux recommandations

existantes dans chaque région (Tableau 4). La Figure 6 présente les apports journaliers moyens en

protéines, lipides totaux, AGS, acides gras polyinsaturés (AGPI) et acides gras mono-insaturés

(AGMI), glucides totaux et fibres des femmes enceintes après regroupement par pays ou par région.

Les apports en protéines sont variables selon les régions (autour de 85 g/j pour l’Europe, les

États-Unis/Canada et l’Australie/Nouvelle-Zélande, 73 g/j pour le Royaume-Uni et 67 g/j pour le

Japon) mais sont adéquats (entre 14,7 et 16,1 % de l’apport énergétique selon la région) par rapport

aux recommandations dans la région correspondante.

Les apports journaliers moyens en lipides totaux et en AGS (entre 35 et 37,1 % et entre 11,6 et

16,5 % pour les régions occidentales) sont supérieurs aux recommandations en vigueur alors que les

apports en glucides totaux sont assez faibles en comparaison avec les recommandations pour les

États-Unis et le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et le Japon et sont inférieurs aux

recommandations en Europe. En ce qui concerne les apports en AGPI, ils sont identifiés comme

assez faibles par rapport aux recommandations, mais la méta-analyse n’effectue pas de comparaison

suivant le type d’AGPI (n-3 et n-6).

Quelle que soit la région, les apports journaliers moyens en fibres étaient en-dessous des

recommandations (apport moyen observé le plus élevé à 22 g/j dans la région

Australie/Nouvelle-Zélande), même s’il convient de noter que trois études européennes rapportaient

des apports supérieurs à 25 g/j.

Même si les apports observés diffèrent pour un même nutriment selon les régions et les méthodes

d’évaluation, on constate de nombreuses inadéquations d’apports en macronutriments chez les

femmes enceintes dans les pays développés, en accord avec ce qui est observé dans les échantillons

représentatifs de femmes non enceintes adultes dans ces régions (Blumfield et al., 2012).

Depuis 2009 (date de la dernière étude incluse dans la méta-analyse de Blumfield), les apports des

femmes enceintes en chacun des principaux AGPI [acide alpha-linolénique (ALA), acide

linoléique (LA), acide docosahéxaénoïque (DHA), acide eicosapentaénoïque (EPA)] et en sucres

simples (ou en sucres ajoutés ou libres selon les études) ont été évalués dans plusieurs pays

développés. Ces études ont révélé que le profil d’apports en AGPI était le plus souvent inadéquat

chez les femmes enceintes (Denomme et al., 2005; Hauner et al., 2012; Oken et al., 2004; Sioen et al., 2017) et

que les apports en sucres étaient élevés (Borgen et al., 2012; Goletzke et al., 2015; Ley et al., 2011).

Une seconde revue et méta-analyse a été effectuée par la même équipe et selon les mêmes critères,

mais pour les apports en micronutriments (Blumfield et al., 2013). Les études sélectionnées sont au

nombre de 62, correspondant à un total de 108 733 femmes enceintes. Sur l’ensemble des vitamines

et minéraux inclus dans l’analyse (thiamine, riboflavine, niacine, folates, vitamines A, B12, C et D

et calcium, fer, magnésium et zinc), les auteurs rapportent des apports journaliers moyens inférieurs

aux BNM* pour les folates, la vitamine D et le fer pour toutes les régions, mais pas pour les autres

micronutriments (à l’exception de la thiamine pour l’Australie/Nouvelle-Zélande et du magnésium

pour le Japon, les États-Unis/Canada et l’Australie/Nouvelle-Zélande).

Certaines des études incluses dans l’analyse précédente ont identifié des inadéquations en d’autres

micronutriments.

Par exemple, une étude aux États-Unis a évalué les apports nutritionnels de 63 femmes enceintes

issues de classes sociales moyennes et supérieures à l’aide de trois jours d’enregistrement des

consommations alimentaires et a mis en évidence que 90 % et 53 % des participantes présentaient

un risque que leurs apports en fer et en magnésium soient inférieurs à leur besoin tel qu’évalué par

l’IoM (Turner et al., 2003).

Une étude néo-zélandaise a également mis en évidence une très forte prévalence d’une couverture

inadéquate des besoins en vitamine D, folates, fer et sélénium chez 196 femmes enceintes dont les

apports nutritionnels étaient évalués par 16 jours d’enregistrement des consommations alimentaires

par pesée (2 x 8 jours au quatrièmeet au septième mois de grossesse). Par ailleurs, les besoins en

acide pantothénique, vitamine B6, biotine, magnésium et calcium n’étaient pas couverts chez une

large majorité des femmes les moins éduquées, fumeuses ou bénéficiant de l’aide sociale (sauf pour

le calcium) (Watson et McDonald, 2009).

Dans ces études, l’approche choisie pour l’évaluation indirecte du statut nutritionnel est la

comparaison au BNM*, qui a été démontrée comme étant la plus adaptée lorsqu’on utilise des seuils

de coupure. Cependant, d’autres seuils de coupure que le BNM* peuvent être utilisés lors de

l’évaluation indirecte du statut nutritionnel. Les méthodes employant ces autres seuils de coupure

sont impropres pour estimer la prévalence d’inadéquation dans la population mais elles permettent

de fournir des indications du statut nutritionnel qui peuvent être utilisées de façon comparative

(de Lauzon et al., 2004).

Ces différents résultats illustrent les différentes inadéquations d’apports en macro- et

micronutriments existant chez les femmes enceintes vivant dans les pays développés et appellent à

une stratification des analyses selon les données sociodémographiques (statut tabagique, catégorie

socioprofessionnelle, niveau d’instruction, parité, âge…) afin d’identifier les groupes les plus à

2.1.2. Quelques données sur l’évaluation directe du statut nutritionnel des femmes enceintes

par l’utilisation de biomarqueurs

Le statut nutritionnel des femmes enceintes en certains vitamines et minéraux a été

préférentiellement évalué par l’utilisation de biomarqueurs. C’est par exemple le cas pour l’iode,

dont l’apport alimentaire est difficile à évaluer et pour lequel l’excrétion d’iode urinaire est un très

bon biomarqueur du statut (Ristic-Medic et al., 2009). Sur la base de mesures de l’iodurie,

une déficience en iode a pu être mise en évidence dans plusieurs échantillons de femmes enceintes

au Royaume-Uni (Rayman et Bath, 2015), en Espagne (Aguayo et al., 2013) ou lors des deuxième et

troisième trimestres de grossesse aux États-Unis (Caldwell et al., 2013), et cela, malgré la présence de

programmes d’iodation du sel dans ces trois pays (WHO, 2014).

Le suivi de grossesse dans les pays développés incluant plusieurs prélèvements sanguins, cela

facilite l’obtention de données permettant l’évaluation directe du statut nutritionnel. Ainsi,

l’utilisation de biomarqueurs pour évaluer le statut nutritionnel en AGPI (évaluation du profil

lipidique) (Bailey et al., 2015; van Eijsden et al., 2008; Gellert et al., 2016; Tamura et al., 2010) ou en d’autres

vitamines et minéraux (Achkar et al., 2015; Alwan et al., 2015; Chen et al., 2015; Furness et al., 2013;

Skröder et al., 2015) est également très courante pendant la grossesse et participe à l’enrichissement

des données relatives au statut nutritionnel des femmes enceintes.

2.1.3. Comment tenir compte de la supplémentation ?

Les deux méta-analyses décrites dans le paragraphe 2.1.1. ne prenaient pas en compte les

consommations de compléments alimentaires et présentaient uniquement les apports provenant de

l’alimentation (Blumfield et al., 2012; Blumfield et al., 2013). Cependant, la prise en compte ou non de la

consommation de compléments alimentaires peut avoir un impact important sur l’interprétation des

résultats.

Une étude de cohorte américaine ayant évalué les apports nutritionnels de 4 157 femmes enceintes

entre 13 et 21 SG à l’aide d’un unique rappel alimentaire de 24h permet d’illustrer l’importance de

dissocier l’alimentation seule et la prise de compléments lors de l’évaluation des apports

nutritionnels. Dans cette population, les apports moyens en macronutriments restaient proches de

ceux observés dans la population américaine.

Pour les micronutriments pour lesquels seul l’apport alimentaire était estimé (non prise en compte

des compléments), l’inadéquation des apports était assez fréquente. En effet, 20 % des femmes

enceintes de l’étude atteignaient l’ANC* [Recommended Dietary Allowance (RDA*)] pour le zinc,

27 % pour le magnésium, 34 % pour la vitamine E et 36 % pour le calcium. Cependant,

contrairement à ce qui est fréquemment observé lors de la grossesse, les apports en folates et en fer

étaient largement adéquats car la supplémentation était prise en compte (Morris et al., 2001). Même si

l’approche présente plusieurs limites sont à prendre en compte (notamment l’existence d’un seul

jour de rappel alimentaire et une évaluation fondée sur la comparaison de l’apport moyen à l’ANC*

uniquement), ces résultats montrent qu’il est important de dissocier supplémentation et alimentation

seule, particulièrement dans le cas de la grossesse, afin d’évaluer l’impact des politiques

d’encouragement à la supplémentation et d’identifier les nutriments pour lesquels il convient d’agir

en pratique.

2.1.4. L’effet des politiques d’enrichissement sur le statut nutritionnel des femmes enceintes

Il est intéressant de noter que dans les pays, comme les États-Unis, où une politique

d’enrichissement obligatoire des produits céréaliers en acide folique a été mise en place, le statut

nutritionnel des femmes enceintes en folates est désormais satisfaisant (Centers for Disease Control and

Prevention (CDC), 2008; Völgyi et al., 2013). Cependant, l’absence d’enrichissement obligatoire des

produits céréaliers en acide folique en Europe (Mills et Dimopoulos, 2015) ne permet pas de garantir la

couverture des besoins en folates et ainsi de réduire le risque d’anomalie de fermeture du tube