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En termes de capacités de production des composés oxo, qui ne cessent de croître chaque année, le rhodium se trouve largement majoritaire et a supplanté le cobalt depuis le milieu des années 80. Toutefois, cette considération est en grande partie due à la place qu’occupe la synthèse du butanal à partir du propène, qui reste la principale application dans les procédés d’hydroformylation et pour laquelle le rhodium se montre tout à fait adapté.

Pour ce qui est des aldéhydes à chaînes carbonées plus longues (C6-C18), le rhodium se montre thermiquement trop sensible pour pouvoir leur transposer les procédés classiques appliqués aux alcènes légers. De ce fait, les complexes du cobalt sont encore utilisés pour transformer des alcènes au-delà des termes en C6, dans des procédés quasiment inchangés depuis leur apparition, avec toute la lourdeur de conduite que nous avons évoquée précédemment. De plus, le cobalt possède la propriété intrinsèque, de par sa petite taille, de favoriser l’isomérisation des doubles liaisons internes vers la position terminale et permet ainsi d’obtenir une majorité d’aldéhydes terminaux lors de l’hydroformylation d’un mélange quelconque d’alcènes.

C’est cette propriété d’isomérisation catalysée par le cobalt que l’Institut Français du Pétrole a souhaité mettre à profit pour transformer une coupe C8 composée d’environ 60% d’alcènes mono-ramifiés, 34% de di-ramifiés et seulement 6% d’alcènes terminaux, obtenue lors du procédé IFP Dimersol X de dimérisation des butènes.

Afin d’effectuer un recyclage simplifié et efficace, sans nuire aux performances catalytiques, des travaux antérieurs à cette étude, menés à l’IFP, se sont portés sur la mise en œuvre d’un système biphasique, employant les milieux liquides ioniques non-aqueux. Pour optimiser la rétention du catalyseur dans la phase ionique en fin de réaction, deux approches peuvent être envisagées.

La première est d’employer des ligands, le plus souvent phosphorés ou azotés, porteurs d’un groupement fonctionnel ionique qui présentent, de ce fait, une affinité pour le solvant de récupération, comme par exemple dans les systèmes biphasiques aqueux. Néanmoins, les changements apportés à la sphère de coordination du métal modifient sensiblement les sélectivités de la réaction. Cet effet est notamment visible avec l’utilisation de ligands phosphorés qui augmentent l’activité hydrogénante du système et amènent à la conversion d’une partie de l’alcène en alcane.

La deuxième possibilité consiste à apporter directement une modification au complexe sur le centre métallique pour obtenir un précurseur catalytique de forme ionique, par un changement du degré d’oxydation du métal. En considérant le précurseur neutre [Co2(CO)8], habituellement utilisé dans les systèmes homogènes, la propriété de dismutation de ce dimère par les bases de Lewis (cf. I.2.2.) permettrait d’obtenir un précurseur ionique, de la forme [Co(B)6][Co(CO)4]2, et la rétention du catalyseur en phase ionique serait induite par la nature même du complexe.

C’est cette deuxième approche qui a été retenue car sa mise en œuvre ne nécessite pas la conception de ligands spécifiques au milieu utilisé et les composés de départ sont facilement accessibles sur le marché. Comme l’indique la littérature, l’obtention d’une paire d'ions Co(II)/Co(-I) à partir du dicobalt octacarbonyle s’opère par l’action d’une base dure de Lewis, notamment des bases azotées ou oxygénées. Dans les conditions de la réaction, l'eau et les alcools sont susceptibles de donner lieu à des réactions parasites alors que certaines amines, notamment les pyridines, restent inertes vis-à-vis du milieu.

Le système catalytique qui nous occupe ici a été élaboré autour du dimère [Co2(CO)8], associé à une pyridine, dans un milieu biphasique constitué de l’heptane comme solvant pour la phase organique et d’un sel de 1-butyl-3-méthylimidazolium ([BMI]+ A-) pour la phase ionique. Les premiers essais menés sur ce système ont permis d’obtenir des résultats encourageants et ont conduit l’IFP à un dépôt de brevet.1 En effet, le système montre une activité satisfaisante en hydroformylation ainsi que les capacités attendues pour la récupération du cobalt en fin de réaction et la réutilisation de la phase catalytique dans plusieurs cycles successifs.

Ces résultats permettent d’établir un principe de fonctionnement qui peut se résumer comme suit (fig. 23) :

Figure 23 : Principe de la catalyse biphasique avec un système [Co2(CO)8]/Pyridine/Liquide ionique.

- dans les conditions normales de température et de pression, le précurseur du cobalt est entièrement contenu dans le liquide ionique, sous forme ionique.

- placé dans les conditions de la catalyse, le système génère l’espèce active et effectue l’hydroformylation.

- lors du retour aux conditions ambiantes, le cobalt adopte à nouveau une forme ionique et est récupéré par le liquide ionique.

- la séparation des produits de réaction et du catalyseur s’effectue par simple décantation.

Par comparaison avec un système homogène classique, les modifications essentielles apportées ici proviennent, d’une part, de la présence d’une base de Lewis qui implique le caractère ionique du précurseur catalytique et, d’autre part, de la présence d’un liquide ionique non-aqueux qui véhicule les espèces ioniques du cobalt.

Les questions qui se posent en présence d’un tel système concernent, premièrement, la nature neutre ou ionique de l’espèce catalytique active, qui induit la localisation de la catalyse dans l’une ou l’autre des phases, et le caractère substitué ou non de cette espèce, qui a une influence sur sa réactivité et sur la stéréochimie des produits obtenus. Une partie de la réponse a été apportée en comparant les résultats obtenus, en termes de conversion et de sélectivité, entre le système {[Co2(CO)8]/Pyridine/Liquide ionique} et un système homogène classique au

Génération de l’espèce active Catalyse Conditions catalytiques [Co] Alcane Aldéhyde Conditions ambiantes Phase organique Phase ionique [Co] Alcane Alcène Conditions ambiantes Augmentation Température Pression H2/CO Retour aux conditions ambiantes Mise en conditions catalytiques Baisse Température Pression H2/CO Génération de l’espèce active Catalyse Conditions catalytiques [Co] Alcane Aldéhyde Conditions ambiantes Phase organique Phase ionique [Co] Alcane Alcène Conditions ambiantes Augmentation Température Pression H2/CO Retour aux conditions ambiantes Mise en conditions catalytiques Baisse Température Pression H2/CO

départ de [Co2(CO)8]. Ces premières conclusions ont été recoupées par l’observation infrarouge des changements apportés à ce système lorsqu’il est placé à haute température sous pression de H2/CO.

Une fois l’espèce active identifiée, se pose la question de son origine, à partir du précurseur catalytique ionique (Co(II)/Co(-I)), afin de déterminer si la totalité du cobalt introduit joue un rôle actif dans la réaction ou si l’une des deux parties reste spectatrice. Les observations séparées des parties anionique et cationique, dans des conditions assez proches de celles de la catalyse, ont amené à la détermination des équilibres d’oxydo-réduction conduisant à l’activité de ce système et à l’implication de chacune des parties du précurseur.

Enfin, la connaissance du processus permettant la récupération du cobalt dans la phase ionique en fin de catalyse et la réutilisation d’un même mélange catalytique est nécessaire afin de déterminer les causes possibles de désactivation du système et d’optimiser, au besoin, l’affinité du catalyseur pour le milieu de récupération. Ceci a pu être fait grâce à une série d’essais catalytiques, ainsi que par infrarouge sous pression, et ont conduit à l’identification des équilibres responsables de la formation réversible de l’espèce active.

1

Institut Français du Pétrole (L. Magna, H. Olivier-Bourbigou, L. Saussine, V. Kruger-Tissot) EP1352889 A1 (2003).

Chapitre III.