6 La maladie d'Alzheimer
6.2 Le café [41][64][65][66][67]
6.2.2 Des études au niveau cellulaire et sur des animaux [41]
Pour étudier la MA, on utilise majoritairement des rongeurs dont le fonctionnement et le processus de vieillissement du cerveau sont très semblables à celui des humains. Néanmoins, aucun rongeur ne développe naturellement la MA, on injecte donc des substances exogènes comme des oligomères d’Aβ ou de la scopolamine (pour bloquer l’activité cholinergique). A ce jour aucun modèle animal qui développe tous les aspects de la MA n’est disponible.
On utilise des souris qui ont un vieillissement accéléré pour faire les recherches, ainsi que des souris transgéniques qui expriment dans leur ADN certains des gènes prédisposant à développer la maladie ; il existe des lignées qui ont plusieurs gènes mutés.
La recherche utilise donc majoritairement des rongeurs, mais il existe d’autres modèles animaux, allant du ver et de la mouche au chien et au primate non-‐humain.
6.2.2.1 Le café in toto[71][72]
Chu et al.[71] ont testé au niveau cellulaire l’ORAC*, « Oxygen Radical Absorbance Capacity », donc la capacité d'absorption des radicaux oxygénés du café normal et du décaféiné, vert et torréfié.
Entre café normal et décaféiné les chercheurs n’ont pas trouvé une différence flagrante de l’ORAC ce qui suggère que la caféine ne joue pas un rôle majeur dans la neutralisation des radicaux d’oxygène.
Les composés majeurs antioxydants dans le café sont les composés phénoliques ainsi que les mélanoïdines (formés lors de la torréfaction), ces classes de molécules sont plus ou moins lipophiles selon leur structure.
Les chercheurs ont comparé l’action des extraits hydrophiles et lipophiles.
Entre les fractions hydrophiles du café vert et du café torréfié les ORAC ne diffèrent pas significativement. Pour la fraction lipophile, l’ORAC est 30 fois supérieure pour le café torréfié par rapport au café vert. En effet, les composés lipophiles (à propriétés antioxydantes) sont quasi absents dans le café vert. Leur formation a lieu lors des réactions complexes qui se déroulent à la torréfaction (notamment formation de lactones à partir des ACGs)
On a ensuite traité, pendant deux heures, des lignées de cellules corticales avec les extraits de café (concentrations allant de 0 à 50 ng/mL). Puis on les a mises en présence d’un puissant dérivé réactif de l’oxygène qu’est le peroxyde d’hydrogène (H2O2). Il y a survie cellulaire pour tous les extraits à 50 ng/mL, mais la survie est supérieure pour les extraits de café torréfié avec un taux maximal pour le café non-‐décaféiné.
Le peroxyde d’hydrogène augmente la phosphorylation de certaines protéines-‐kinases qui sont impliquées dans l’apoptose des cellules neuronales. Les deux kinases sont les « extracellular signal-‐regulated kinases » 1 et 2, ERK1/2 ainsi que les « c-‐Jun N-‐terminal kinases » 1 et 2, JNK1/2.
La phosphorylation des ERK1/2 est atténuée par les extraits de café, seuls les cafés torréfiés diminuent la phosphorylation des JNK1/2.
Vu que le cerveau est un organe riche en lipides, l’effet neuroprotecteur du café est probablement dû en majeure partie à la fraction lipophile, pour laquelle la distribution est plus facile, ainsi qu’à l’atténuation de la phosphorylation de ERK1/2 et de JNK1/2.
Une étude de 1977[72], pendant laquelle des souris âgées entre deux et six mois n’ont eu à boire que du café, a montré que ce régime est néfaste. On a constaté des signes de
normal. Pour avoir les effets bénéfiques, il faut que la part de café dans le régime soit comprise entre un et cinq pour cent.
A été démontré par Tse et al.[73] que le café contient, en dehors de la caféine, des composants à action cholinomimétique qui ne sont pas retrouvés dans le thé et le cacao. Cette piste peut être intéressante pour des traitements vu qu’il existe un déficit en ACh dans la MA.
6.2.2.2 La caféine
Dans une étude de Querfurth et al.[74] en 1997, les auteurs concluent que la caféine peut éventuellement augmenter le taux de Aβ au niveau cellulaire. Entre temps cette hypothèse a été infirmée par d’autres études notamment sur des animaux.
En 2003 Dall’Igna et al.[75] ont étudié le blocage des récepteurs à l’adénosine ce qui est potentiellement neuroprotecteur. On a testé différents antagonistes des récepteurs A1 et A2A à l’adénosine. L’expérience a été conduite sur des cellules en grain du cervelet. Les cellules ont été mises en présence ou non d’Aβ ainsi que de caféine, de 8-‐cyclopentyltheophylline (CPT) ou de 4-‐(2-‐[7-‐amino-‐2-‐(2-‐furyl)(1,2,4)triazolo(2,3-‐ a)(1,3,5)triazin-‐5-‐yl-‐amino]éthyl)phénol (ZM241385). Ce dernier bloque sélectivement les récepteurs A2A, le CPT bloque les récepteurs A1. La caféine est un antagoniste des deux types de récepteurs.
Après 48h d’incubation, on a évalué le nombre de cellules viables. L’Aβ fait doubler le nombre de cellules mortes.
Pour l’antagoniste des récepteurs A1 il n’y a pas de protection des cellules vis-‐à-‐vis de l’Aβ, la survie est la même qu’avec l’Aβ seul.
Avec l’antagoniste des récepteurs A2A ainsi que la caféine, le taux de cellules viables est supérieur.
Il est donc très probable que la caféine puisse protéger contre l’effet neurotoxique de l’Aβ via blocage des récepteurs A2A dans le cerveau.
Prediger et al.[76] ont conduit une étude sur l’effet de la caféine sur le vieillissement de la reconnaissance olfactive et de l’interaction sociale chez des rats.
Ils ont utilisé des rats de 3, 6, 12 et 18 mois et leur ont injecté respectivement une solution physiologique, de la caféine (à des doses de 3, 10 ou 30 mg/kg), un antagoniste des récepteurs A1 ou un antagoniste des récepteurs A2A, le ZM241385.
Après 30 minutes, les rats ont été soumis à un test de discrimination olfactive : on leur a présenté deux chambres identiques, une dans laquelle ils ont passé 48h et l’autre qui était nettoyée et avait de la paille fraîche. Les deux chambres étaient reliées par une porte ouverte pendant cinq minutes.
Les rats de 3 et 6 mois non-‐traités passaient plus de temps dans la chambre nettoyée alors que les rats de 12 et 18 mois n’avaient pas de préférence. Ceci témoigne surement d’un déclin de la fonction olfactive chez les rats âgés.
Les rats de 12 mois traités par 10 ou 30 mg/kg de caféine et l’antagoniste des récepteurs A2A avaient un comportement semblable à celui des jeunes rats.
Une deuxième expérience sur les mêmes rats avec les mêmes produits injectés a testé la reconnaissance sociale des rats. Les rats avaient le choix d’interagir avec un rat connu ou non. La conclusion était la même, les jeunes rats non traités passaient moins de temps avec le rat connu alors que les vieux rats ne faisaient pas de différence. Les rats de 12 mois traités par le ZM241385 et la caféine à 10 et 30 mg/kg se comportaient comme les jeunes rats.
La conclusion est donc que la caféine et tout autre antagoniste des récepteurs A2A, mais non les antagonistes des récepteurs A1, retardent des déficits de la mémoire olfactive et la reconnaissance sociale.
Cao et al.[77] ont testé l’effet de la caféine (à court et à long terme) sur le taux d’Aβ chez des souris génétiquement modifiées pour produire l’Aβ.
Le résultat a montré qu’une injection de caféine réduisait le taux d’Aβ dans le plasma des souris transgéniques trois heures après.
Pour le long terme, le taux d’Aβ était également réduit mais revenait à la normale 9 jours après l’arrêt du traitement.
Ceci suggère que la caféine bloque l’activité de la γ-‐sécrétase et de la β-‐sécrétase qui clivent l’APP pour former l’Aβ plutôt que de dégrader l’Aβ déjà formé.
Prasanthi et al.[78] ont conduit une étude sur des lapins. Ils ont induit une maladie semblable à la MA chez l’homme en soumettant les lapins à un régime riche en cholestérol. La conséquence de cette alimentation était une augmentation du taux d’Aβ, de la β-‐sécrétase, du taux de phosphorylation de la protéine Tau ainsi qu’une augmentation du stress oxydatif avec entre autres l’élévation des ERO et la diminution du glutathion. De plus on a observé une diminution du taux d’« insulin degrading enzyme » (IDE), cette enzyme dégrade à côté de l’insuline également l’Aβ.
Les lapins ont ensuite reçu soit 0,5 mg soit 30 mg de caféine par jour, ceci pendant 12 semaines.
Les deux dosages de caféine ont diminué le taux d’Aβ, seule à 30 mg/j le taux de β-‐sécrétase est abaissé et uniquement pour le dosage de 0,5 mg/j on observe une augmentation en IDE.
La phosphorylation de la protéine Tau est augmentée d’un facteur 10 par le régime enrichi en cholestérol. Seul le dosage de 30 mg/j en caféine réduit de façon sensible l’hyperphosphorylation.
Seule la dose de 30 mg/j de caféine a réduit significativement le taux de ERO et contré la déplétion en glutathion, un des principaux agents antioxydants de l’organisme.
La caféine agit donc par une variété de mécanismes pour contrer la production d’Aβ, de protéine Tau et de ERO, les principales causes de la MA.
6.2.2.3 Les constituants phénoliques
Le café contient du 5-‐CQA et ses dérivés. Le 5-‐CQA et son dérivé l’acide caféique (AC), sont les principaux sujets de recherche en ce qui concerne les constituants phénoliques du café.
Kim et al.[79] ont travaillé sur des cellules de glioblastome traitées avec du 5-‐CQA pendant deux heures avant de les mettre en présence de peroxyde d’hydrogène. Les auteurs ont noté 50% de survie cellulaire, ce qui est supérieur par rapport à des cellules non traitées par du 5-‐CQA. L’apoptose des cellules est induite par la caspase-‐3. En plus ils ont trouvé que dans les cellules prétraitées, le stock en glutathion est plus important. Les deux effets sont dose-‐dépendants.
Le 5-‐CQA protègerait donc les neurones des dommages oxydatifs en augmentant la concentration de glutathion ainsi qu’en bloquant l’apoptose induite par la caspase-‐3.
Cho et al.[80] ont utilisé des cellules de phéochromocytome de rat pour les soumettre à un stress oxydatif par de l’H2O2. Les cellules ont été prétraitées par du café soluble décaféiné (1 ou 5 µg/mL d’eau) ou du 5-‐CQA (1 ou 5 µM).
La survie cellulaire après 24h d’exposition au H2O2 était de 30%. Avec 5 µg/mL de café soluble ou 1 µM de 5-‐CQA elle est augmentée à 65% et même à 85% avec 5 µM de 5-‐CQA. La fragmentation de l’ADN, caractéristique de l’apoptose, a été réduite considérablement. L’activation de la caspase-‐3 était moindre et l’accumulation intracellulaire de ERO était également moins importante.
En plus d’être antioxydant, le 5-‐CQA possède également une activité anti-‐
inflammatoire[81].
Au niveau du modèle murin, Bouayed et al.[82] ont démontré un effet anxiolytique du 5-‐CQA via les récepteurs aux benzodiazépines. Cet effet est donc bénéfique si on sait que le stress peut favoriser l’apparition d’Aβ et de protéines Tau. L’effet antioxydant a également été démontré dans cette étude.
Kwon et al.[83] ont découvert que le 5-‐CQA peut réduire l’activité de l’ACh-‐estérase dans l’hippocampe et dans le cortex frontal ce qui pourrait donc contrer la diminution cholinergique dans la MA.
L’effet de l’AC a été étudié par Nardini et al.[84], ils ont démontré un effet antioxydant ainsi qu’épargneur d’α-‐tocophérol, une forme de vitamine E, vitamine à propriétés antioxydantes.
6.2.2.4 Les autres constituants
Tohda et al.[85] ont découvert que la trigonelline favorise l’excroissance des neurites ce qui peut avoir un effet bénéfique sur la mémoire en créant de nouvelles connexions entre les neurones.
Les mêmes auteurs[86] ont fait une expérience sur des souris auxquelles on a injecté de l’Aβ. Les souris qui ont eu en même temps de la trigonelline per os étaient beaucoup plus performantes dans la résolution d’un labyrinthe que les souris qui n’ont eu que de l’eau.
Le kahweol et le cafestol sont deux autres constituants très intéressants que l’on retrouve dans le café.
Lee et Jeong[87] ont découvert que kahweol et cafestol inhibent la production intracellulaire de ERO et les dommages oxydatifs sur l’ADN.
Kim et al.[88] leur ont trouvé des vertus anti-‐inflammatoires.
Antonelli et al. ont traité des cochons d’Inde avec du pyroglutamate ce qui a eu comme conséquence un relargage accru d’ACh et de GABA. L’intérêt est surtout dans la libération accru de ACh, déficitaire dans la MA.
6.3 Conclusion
Dans les études épidémiologiques le café a été identifié comme facteur protecteur contre la MA en réduisant le déclin cognitif des candidats. Néanmoins aucune dose précise ne peut être conseillée eu égard à l’hétérogénéité des études. Mais il semble que des doses trop importantes de café peuvent avoir des conséquences néfastes.
Au niveau cellulaire ainsi que sur des expériences animalières, certains mécanismes et constituants bénéfiques ont pu être identifiés.
- L’action de la fraction antioxydante lipophile du café.
L’effet anxiolytique du café peut réduire considérablement le stress, facteur favorisant dans l’apparition de protéines Tau et d’Aβ.
- La caféine est un possible protecteur contre l’effet neurotoxique de l’Aβ via blocage des récepteurs A2A dans le cerveau. Elle semble bloquer l’activité de la γ-‐sécrétase et de la β-‐sécrétase qui clivent l’APP pour former d’Aβ. Elle aurait également un effet sur la formation de ERO et de protéines Tau.
- Le 5-‐CQA protègerait les neurones des dommages oxydatifs en augmentant la concentration de glutathion ainsi qu’en bloquant l’apoptose induite par la caspase-‐3. La fragmentation de l’ADN est réduite considérablement et l’accumulation intracellulaire de ERO est également moindre. Le 5-‐CQA possède également une activité anti-‐inflammatoire.
Le 5-‐CQA peut également réduire l’activité de l’ACh-‐estérase dans des parties du cerveau ce qui pourrait donc contrer la diminution cholinergique dans la MA.
- L’AC aurait un effet antioxydant ainsi qu’épargneur d’α-‐tocophérol.
D’autres constituants du café sont potentiellement intéressants d’un point de vue thérapeutique, mais il est nécessaire de faire d’autres études pour en être certain. Parmi ces principes, on compte notamment la trigonelline qui semble favoriser l’excroissance de neurites et protéger contre l’Aβ.
Le kahweol et le cafestol seraient protecteurs contre les ERO et anti-‐inflammatoires. Le pyroglutamate augmente la libération d’ACh.
On n’est qu’au début des recherches sur l’intérêt du café dans la MA et il est donc probable que dans les années à venir les chercheurs vont découvrir d’autres constituants du café pouvant avoir des vertus thérapeutiques. Et même le développement de médicaments à base de composés du café est envisageable étant donné que les traitements dont on dispose aujourd’hui pour combattre la MA sont plutôt des médicaments de confort et non pas curatifs. Il y a donc un réel besoin de trouver de nouveaux remèdes pour cette maladie qui se répand de plus en plus dans le monde.