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mis en exergue en 1.3 : le temps, l’apprentissage, le changement et la stratégie. Enfin, le positionnement de la recherche au sein des PBS est précisé relativement aux courants voisins dans le champ théorique de l’organisation en 1.4.

La polysémie de la notion de pratique en sciences de gestion reflète la variété des approches au sein d’un courant théorique récemment structuré et toujours en cours d’évo- lution. Comme le souligne Gherardi [2009a], le terme de pratique au-delà du sens com- mun, désigne ce qui permet de décrire les « phénomènes fondamentaux de la société » [Schatzki 2005] dans la tradition de philosophes ([Lyotard 1979], [Foucault 1966]), de sociologues ([Bourdieu 1972], [Giddens 1987]) ou d’ethnologues ([Garfinkel 1967]). Dans une compréhension large, les pratiques sont des « manières partagées et reconnaissables de faire les choses [...] toujours enactées différemment par les acteurs conformément à leurs compétences et leurs intérêts, dans le respect des conditions changeantes et en relation avec d’autres pratiques locales » [Jarzabkowski et collab. 2017]. Précisons immédiatement qu’« une pratique ne doit pas être vue comme une unité circonscrite par des frontières données et constituée d’éléments définis mais plutôt comme une connexion dans l’action : c’est-à-dire un agencement » [Gherardi 2017, p. 3] matérialisant des relations d’influences.

1.1

Les études fondées sur la pratique

« Une approche basée sur la pratique suggère que l’unité d’analyse de base pour com- prendre les phénomènes organisationnels sont les pratiques et non les praticiens » [Nicolini 2012, p. 7]. Les aspects d’une pratique se définissent non pas par des propriétés objectives mais par leur enchevêtrement et leur utilité dans l’action. Nous nous intéressons en premier lieu aux questions relatives à la « performativité (ce que fait la pratique) » [Gherardi 2019, p. 2] en tenant compte de ce que la pratique a de spécifique et de situé dans l’espace et dans le temps. Selon la classification établie par Gond et collab. [2016], le terme de perfor-

mativité est à comprendre ici au sens de Barad (post humanisme) et de Latour (théorie de

l’acteur réseau) comme ce qui compte socio-matériellement en répondant notamment à la question de comment les choses constituent la réalité à travers les pratiques des praticiens [Gherardi 2019]. Les contours de la notion de pratique sont complétés plus spécifiquement dans un deuxième temps en 2.1.2.1. En effet, la compréhension de différents aspects de

1.1. LES ÉTUDES FONDÉES SUR LA PRATIQUE

connexions dans l’action à travers la description du courant est essentielle pour en saisir toute la richesse et le potentiel interprétatif.

Les études fondées sur la pratique (Practice based studies, PBS) regroupent des études relatives à l’observation des pratiques et des études relatives à la théorisation des pra- tiques [Gherardi 2000]. Les PBS ont pour ambition d’exploiter la « richesse » (au sens de Weick [2007]) des pratiques pour développer des théories pertinentes pour les prati- ciens [Sandberg et Tsoukas 2011]. Ces études visent à dépasser les problématiques duales « action-structure, humain-non-humain, corps-esprit » [Gherardi 2019, p. 4] et malgré une variété « convergent vers un intérêt commun pour la compréhension de la production et de l’usage des connaissances et son circuit de reproduction » [Gherardi 2009a, p. 116]. Le terme de pratique est capable de « faire écho à l’expérience que notre monde se compose de plus en plus de flux et d’interconnexions » [Nicolini 2012, p. 2] est parfaitement com- patible avec une ontologie du devenir basée sur le mouvement, le processus et l’émergence [Chia 1999] sous-jacente à notre recherche.

Les circonstances dans lesquelles les praticiens de l’organisation sont immergés « consti- tuent une totalité signifiante et révélatrice » [Sandberg et Tsoukas 2011, p. 341]. L’enche– vêtrement des outils, de leur utilisation, des circonstances et des participants constitue la « logique de la pratique » [Sandberg et Tsoukas 2011, p. 343]. Les pratiques « four- nissent un principe ordonnateur d’institutionnalisation d’activités et de manières de faire qui sont soutenues par des relations socio-matérielles » [Gherardi 2019, p. 3]. La richesse de la notion de pratique ainsi considérée a un corollaire : « les pratiques sont difficiles à atteindre, à observer, à mesurer et à représenter parce qu’elles sont cachées, tacites et souvent non exprimables linguistiquement avec des termes propositionnels » [Gherardi 2009a, p. 116]. Alors que, paradoxalement, le terme de « pratique a une connotation d’être quelque chose de transférable, enseignable, transmissible et reproductible » [Turner 1994] (cité par Corradi et collab. [2010]). Les situations et les contextes organisationnels étant multiples et évolutifs, dans une approche empirique, les pratiques sont à considérer dans leur multiplicité et leur indétermination [Gherardi 2019].

Un premier niveau de distinction peut être fait entre les pratiques considérées de l’inté-

1.1. LES ÉTUDES FONDÉES SUR LA PRATIQUE

— considérée de l’extérieur, une pratique est « une activité située se conformant à la logique de la situation [...] reconnue socialement comme une manière de faire institutionnalisée » [Gherardi 2009a] ;

— l’intérieur est le point de vue du praticien et de l’activité qui est en train d’être conduite dans son contexte, « la pratique est une action collective connaissable qui façonne les relations entre toutes les ressources disponibles et toutes les contraintes présentes » [Gherardi 2009a] ;

— les pratiques réflexives considérées comme « l’effet d’un tissage de connexion dans l’action » [Gherardi 2009a], impliquent l’analyse des effets délibérés et non-délibérés au cours du temps.

Les travaux sur les routines organisationnelles Feldman et Pentland [2003] illustrent les re- cherches sur les pratiques considérées de l’extérieur, en mettant l’accent sur la récursivité, la performance et la fonction des routines en tant que dispositif de réduction d’incerti- tude. Les pratiques considérées de l’intérieur, décentrant le sujet humain, constituent une manière qualifiée de « post-humaniste » [Gherardi 2009a, p. 117] d’étudier l’organisation. Les pratiques réflexives relèvent, quant à elles, du niveau de la reproduction de la société au sens de Bourdieu [1980]. Nous nous attachons au cours de notre analyse à préciser l’alternance de ces points de vue que nous mobilisons tour à tour.

La multiplication de l’usage des termes « pratique, praxis, interaction, activité, perfor- mativité ou performance » [Nicolini 2012, p. 1] reflète aussi une forme d’« effet de mode dans le champ académique » [Nicolini 2012, p. 1]. Certains débats académiques actuels peuvent être relativement tranchés et révéler des tensions fortes, voire des rejets, entre les auteurs des PBS critiques avec les auteurs mobilisant des conceptions réductrices1 (ex. entités discrètes décontextualisées représentées par des variables), parfois jugées dévoyées, de la pratique [Jarzabkowski et collab. 2017]. Quel qu’en soit le motif, Gherardi [2009a] interprète la diffusion rapide des PBS et le renouveau des théories fondées sur la pratique au cours des années 2000 comme l’effet d’un « pouvoir intrinsèque du concept de pra- tique » [Gherardi 2009a] capable de questionner les approches plus orthodoxes lorsqu’il n’est pas réduit à un synonyme de ce que les gens font vraiment. « La pratique permet aux